Ce sport né à la fin du 18ème siècle au Royaume-Uni, est arrivé en Tunisie par la voie de la colonisation. Le tout premier terrain de golf en Tunisie, situé à La Soukra, a ouvert ses portes en 1927, destiné à la clientèle française. D’autres ont suivi après l’indépendance, dans des zones touristiques telles que Monastir, Hammamet, Tabarka et Sousse. Au total, ce sont 8 terrains de golf qui sont en activité. Si ce nombre est élevé par rapport à celui des joueurs de golf en Tunisie, qui ne dépasse pas les 3000 personnes selon la Fédération Tunisienne de Golf (FTG), il est négligeable lorsqu’on le compare au nombre de terrains en activité dans des pays de la région qui, comme la Tunisie, se veulent des destinations privilégiées pour les golfeurs étrangers. A cet entredeux stérile, signe d’une absence d’implication de l’Etat, s’ajoute la carte blanche laissée par ce dernier aux investisseurs étrangers porteurs de mégaprojets destinés à la couche la plus fine des riches, inaugurant ainsi l’ère du compound sécurisé. Le projet Tunis Bay, qui prévoit la construction d’un golf de 18 trous entouré de villas ultra-luxueuses à Raoued, illustre cette tendance de plus en plus affirmée à la polarisation classiste de la ville de Tunis. Un sport qui dit beaucoup, dans un pays où la pauvreté en eau devient de plus en plus criante.
Le golf, un sport de riches ?
A la question « Le golf est-il un sport de riches ? », la plupart de nos interlocuteurs se rebiffent et cherchent à nous prouver qu’il n’en est pas un. Quelques nuances en effet doivent être apportées, mais dans l’ensemble, difficile de contester le caractère fort bourgeois de ce sport. La démocratisation relative du golf revient à l’ouverture qui s’est faite depuis deux décennies aux habitants des quartiers entourant les golfs, souvent issus des classes populaires. Chaque golf a un club qui forme les plus jeunes, l’accès au terrain est gratuit et le matériel est fourni par la FTG, souvent présidée par des chefs d’entreprises. D’après Naoufel Chouchen, directeur technique de la FTG, « environ 40% des 30 membres de l’équipe nationale sont issus des classes populaires ».
Cependant, les débouchés sont assez faibles, la fédération ne s’occupe que du golf amateur, qui n’est pas à but lucratif. La règle veut que les dotations pour les tournois amateurs ne dépassent pas les 2250 dinars par an. Seuls les professionnels ont le droit de jouer pour de l’argent. Or, l’association en charge des professionnels est aux dires du représentant de la fédération, « peu active voire inexistante ». Un constat qui est partagé par Leyth Khaled, directeur commercial du Golf de Carthage et lui-même professeur de golf. « Pour devenir professionnel de toute façon, il faut aller faire des études aux Etats-Unis, ça demande beaucoup d’argent donc il faudrait des sponsors, et en Tunisie, ça n’existe pas », explique notre interlocuteur. Leyth Khaled est le seul à dire sans ambages que le golf est un sport de riches : « Il faut compter entre 4500 et 6000 dinars pour un bon set de clubs, une bonne balle coute 15 dinars, en moyenne une partie de golf c’est 3 balles, il y a aussi l’abonnement pour pouvoir jouer sur un terrain, qui tourne en moyenne autour de 2400 dinars par an, et à ça il faut ajouter la nourriture, les boissons et éventuellement, les services du caddy et la location d’une voiturette ».
Potentiel touristique peu compétitif
Les golfs sont donc en priorité destinés aux touristes. La localisation des terrains de golf, situés tout près des zones touristiques du pays le montre assez bien. En effet, le tourisme golfique est un marché prisé, surtout à cause du pouvoir d’achat présumé élevé des joueurs de golf. Mais depuis 2011, la morosité du secteur touristique a pesé sur le tourisme golfique si bien qu’un des derniers nés du circuit, le golf de Tozeur, inauguré en 2009, a fermé depuis, criblé par les dettes. La crise du tourisme a joué un rôle de révélateur des carences du tourisme golfique en Tunisie, notamment en termes d’infrastructure.
« Dans les années 90, la Tunisie était un des leaders du pourtour méditerranéen, les Marocains venaient ici pour apprendre de nous. Aujourd’hui, nous sommes en net recul tandis que le Maroc est devenu l’une des destinations les plus prisées des golfeurs, avec quelques 40 terrains de golf à travers le pays », regrette Naoufel Chouchen. S’il y a reprise aujourd’hui, le problème reste avant tout structurel pour Leyth Khaled : « Aujourd’hui, la Tunisie n’attire plus que le golfeur moyen. Si on veut vraiment investir dans le tourisme golfique, il faudrait 20 voire 30 nouveaux golfs ».
Un avenir privatisé mais incertain
La crise du tourisme a accentué par ailleurs, une préférence pour la privatisation qui s’affirme de plus en plus nettement chez les autorités, propriétaires de la plupart des golfs du pays. Une partie d’entre eux sont loués à des entreprises privées, souvent à des prix dérisoires (Naoufel Chouchen avance le chiffre de 90 000 dinars la location annuelle du Golf de Carthage). D’autres terrains ont été revendus, comme celui de Tabarka en 2012 ou sont à la recherche de locataires comme celui de Monastir, en proie à des difficultés financières. Parallèlement à l’abandon du golf par l’Etat au niveau du tourisme, se dessine une voie nouvelle, que l’on pensait abandonnée avec la chute de Ben Ali : les mégaprojets. L’un de ces projets, Tunis Sports City, qui devait construire un complexe sportif de luxe à Ain Zaghouan Nord est au point mort, malgré des rumeurs de reprises ici ou là. Incertitude qui n’empêche pas les promoteurs immobiliers des Jardins de Carthage voisins de vendre la perspective d’un nouveau golf près du complexe immobilier qu’ils promeuvent. Mais aujourd’hui un autre mégaprojet pour très riches muni d’un golf est en train de voir le jour sur les côtes de Raoued, Tunis Bay, qui promet un golf à 18 trous entouré de villas de luxe.
L’évolution des golfs en Tunisie qu’ils soient destinés aux touristes amateurs de ce sport ou aux futurs habitants de Tunis Bay reste conditionnée par une contrainte des plus importantes : l’eau. En effet, les terrains de golf en Tunisie sont approvisionnés en eau par l’Office Nationale de l’Assainissement (ONAS). Ce sont donc les eaux usées traitées qui arrosent le gazon des golfs, eaux usées qui proviennent le plus souvent des zones touristiques. En 2016, environ 10,5% des eaux usées traitées sont allées vers les terrains de golfs. Un chiffre peut être dérisoire face aux 70% d’eaux usées consacrées aux golfs au Maroc mais significatif compte tenu du fait que, la même année, seuls 4,5% des eaux usées ont été consacrées aux espaces verts, qui eux, sont ouverts à tous. Alors que la Tunisie s’enfonce de plus en plus profondément dans une crise de l’eau, qui ne fera que s’accroitre avec les années, la question de l’avenir du golf en Tunisie est posée.
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