On les appelle les « revenants ». Malik est de ceux-là, partis faire le djihad aux côtés d’autres combattants. C’est l’aîné d’une famille de bergers, qui revient dans Brotherhood à son village au nord du pays, après avoir rejoint les théâtres d’opération irako-syriens et laissé sa famille endeuillée. Ce retour secoue Mohamed, le père au cœur dur, d’autant plus que l’aîné est accompagné de sa jeune épouse enceinte. Contrairement à la mère qui compose avec la nouvelle donne, le père ne s’y résigne pas, car il a du mal à accepter Reem, sa belle-fille en niqab, et la paternité naissante de Malik. Cette ombre pesante, avec les non-dits qu’elle charrie, polarise père et fils irréconciliables.
C’est sur ce tableau contrasté que se joue une histoire de filiation en demi-teinte, où le même clair-obscur embrasse situations et sentiments. C’est une histoire plus murmurée que dite, qui aurait pu, entre d’autres mains, se résumer à sa sociologie ambiante. Bien sûr, Malik ne vient pas de nulle part. Et pour éviter la schématisation, Meryam Joobeur prend soin d’inscrire cette histoire dans un paysage précis, elle l’enracine dans une terre et donne à voir une masse de petits gestes, en apparence anodins. Les travaux et les jours sont là, sur l’écran. Les images sont très cinégéniques grâce à une photographie très douce, avec le plus de lumière naturelle possible. La scène de l’égorgement du mouton qui ouvre le film, où le père demande à son fils cadet de ne pas faiblir pour accomplir la tâche, s’inscrit en contrepoint de ce qu’avait commis Malik. La tension qui s’invite dans le paysage comme sur les visages, donne ainsi le ton, paisible et apocalyptique.
À ces choix esthétiques, répond une complexité dans la conduite des personnages qu’il appartient à la mise en scène de creuser, en misant sur la difficile coprésence du fils et du père à l’intérieur d’un même cadre filmique fixe. La scène du dîner amorce cette difficulté sous le regard de la mère et de la fratrie, comme pour mieux rendre compte du manque de communication qui irrigue la situation. Car les rares dialogues sont reproches, hostilité et rejet. En champs-contrechamps, la caméra alterne les points de vue qui subissent plus qu’ils ne suscitent l’incompréhension. Ce qui donne un aspect amorti à la narration, que la cinéaste s’efforce de compenser en faisant monter la tension au moment où le père, après avoir dénoncé son fils aux flics, apprend que le bébé que celui-ci attend avec Reem n’est pas le sien. Tout bascule alors avec la volte-face du père, quand il s’empresse de retrouver son fils avant l’arrivée des flics. À la lumière de ce coup de théâtre, que ne laissait pas espérer le postulat de départ, le film aurait pu être percutant s’il nous avait conduits vers cette chute autrement qu’en nous tenant la main.
À défaut de nous tenir en haleine, l’idée n’en est pas moins intéressante. Meryam Joobeur trouve de belles options pour filmer cette histoire de non-dit à la dimension des deux protagonistes. Ce qui suppose le moins de mise en scène stricte possible afin d’offrir aux non-acteurs la possibilité d’un jeu naturel. L’écriture de Brotherhood allie, dans la composition des plans comme dans la conduite scénaristique, un jeu sur le net et le flou et une absence de perspectives rarement contredite. Le film varie également la disposition des gros plans à l’intérieur du cadre quand il y a plusieurs visages. En témoigne le regard poignant dont la caméra portée accompagne séparément la fratrie et le père, dans les deux dernières scènes montées en parallèle. Il fallait pouvoir resserrer les cadres, pour donner toute l’importance au teint des visages roux, aux yeux du père irrités par le vent – à l’intériorité donc, puisque c’est là que se joue le drame.
Bien que la caméra de Meryam Joobeur ait pu ouvrir quelques poches d’air, le résultat paraît inégal. Si, dans ses prémisses, le récit n’a droit qu’au drame, le peu d’aspérité le laisse comme en roue libre. La faiblesse des dialogues sous-vitaminés s’exerçant à son détriment, elle l’oblige en quelque sorte à faire les pieds au mur. On regrette aussi que le dilemme du père entre silence et dénonciation, amour et option de raison, s’expédie sans de vraies précautions. Serait-ce trop demander au scénario, ou attendre ce qu’il n’est pas, mais qui l’aurait rendu un peu plus fouillé ? Ce qu’il y gagne en tension, il le perd alors en souffle et ne parvient pas à sauver l’ensemble d’une application qui touche sans pour autant convaincre. Cela confirme chez Meryam Joobeur un réel désir de cinéma, sincère dans sa facture mais un peu guindé dans l’esprit.
Bravo pour cette excellente analyse critique du court-métrage.
A la décharge de la réalisatrice: son âge. Elle est encore très jeune et vient juste d’entamer l’expérience cinématographique.