Dans sa première expérience cinématographique, Nidhal Saadi, incarnant le rôle de Lotfi, un père qui a quitté sa femme et le pays dès qu’il a appris que son fils Youssef, interprété par Idryss Kharroubi, est autiste. Mais au bout de sept ans à l’étranger, où il a refait sa vie avec une autre femme et en lançant un projet de commerce, il se trouve contraint à rentrer à Tunis, pour s’occuper de son fils suite à un accident cérébral vasculaire de son ex-femme. Le tempérament colérique de Lotfi et la culpabilité qui le rongent le poussent à arracher son fils de 8 ans des bras de sa tante Khadija, jouée par Sawssen Maalej. D’ailleurs, cette dernière signe avec ce film un retour marquant aux premiers rôles. On retrouve beaucoup de maturité dans son interprétation de ce personnage à la fois imposant et affectueux.
C’est ensuite que Lotfi se rend compte que la situation est beaucoup plus compliquée qu’il le croyait. Il n’arrive pas à communiquer avec Youssef qui vit dans son propre monde. Ignorant tout sur les troubles comportementaux de l’autisme et répétant agressivement l’expression « Regarde-moi quand je t’adresse la parole », d’où le titre du film, le père cherche laborieusement et à travers plusieurs moyens de créer un lien avec son fils. L’enfant ne supporte aucun regard, même pas celui des yeux de ses jouets. Il leur arrachait d’ailleurs les yeux et brouillait ceux des personnes sur les photos de famille, y compris les siens !
Regards divers et divergents
Chaque personnage du film véhicule un message sur la perception de l’autisme. La tante croit fermement que l’enfant devrait être admis dans un centre spécialisé. Le père tient à élever son fils en comptant sur son instinct et une succession d’actes improvisés, souvent sans succès. La grand-mère traite son petit-fils de fou et la nounou pense qu’il est possédé par un démon. Toutes ces perceptions sont assez représentatives des différents regards portés sur les autistes dans notre société ! Quant au regard du réalisateur, sans dévaloriser le rôle des centres de réhabilitation, se focalise sur l’importance de l’encadrement familial de l’enfant autiste, mettant un exergue la dimension humaine de la chose.
Le sens du détail
Dans ce film, Nejib Belkadhi met à nu l’hypocrisie sociale à travers des détails révélateurs tels que le geste du piercing que Lotfi a enlevé avant de voir sa mère qui s’avère ultérieurement conformiste puis l’incident du centre commercial dont le responsable a pris Youssef pour une fille à cause de ses cheveux longs. Pour sa part, le père s’est résolu à acheter une casquette pour cacher les cheveux longs de son fils. De quoi mettre en valeur un trait majeur de l’attitude de Lotfi, ayant tendance à étouffer les malaises plutôt que les traiter. Un comportement qui nous amène à s’interroger sur la différence ; principal questionnement de sujet de ce film.
Ode à la différence
« Tu veux qu’il soit comme toi ?», ainsi reprochait Khadija à son beau-frère son obstination. Et effectivement, Lotfi a mis du temps pour accepter que son fils est différent et qu’il sera incapable de le modeler conformément aux stéréotypes sociaux. D’ailleurs, il n’est pas le seul, même les enfants de son âge ne toléraient pas sa différence. Sa grand-mère, de son côté, à part qu’elle le considérait comme « un fou », n’hésitait pas à demander à son fils Lotfi de lui couper les cheveux car il ressemblait à une fille. Après plusieurs tentatives de tissage de lien entre père et fils, Lotfi remarque que seule la lumière est capable de capter l’attention de son fils. Il tend une guirlande lumineuse dans sa chambre afin de le calmer et l’aider à dormir. Muni d’un caméscope, le père se met à filmer le quotidien de son fils. Petit à petit, l’enfant commence à interagir, à sourire, à dire « Papa » jusqu’au jour où il arrive à manipuler la caméra seul marquant ainsi la fin du film et l’impact de la famille dans l’amélioration de son état. La moindre des choses qu’on puisse dire de Regarde-moi est que c’est un film qui sort du lot, déjà avec son sujet, « l’autisme » qu’on retrouve soit dans les émissions médicales cabinet médical télévisé ou dans les capsules virales qui font parfois scandale sur les réseaux sociaux. Il a fallu attendre beaucoup pour pouvoir voir un film qui traite un tel sujet social avec autant de minutie.
On pourrait filer la métaphore, et prendre au sérieux cette impossibilité de se voir ou rencontrer le regard d’autrui. C’est peut-être la société tunisienne qui se révèle autiste, et au fond la fuite du père ne serait qu’un exil de soi-même faute de porter la responsabilité de père atteint dans son image… lorsque le réel le rattrape et le contraint..
Comme pour l’étiologie de l’autisme, il convient de fixer le regard sur cette tragédie qui parle de notre tragédie collective. Voire…