« Semeurs de fitna », « Dieu a envoyé en 1999 le président Bouteflika pour réformer cette nation ». C’est par un classique de la langue de bois accusatrice et par une outrance que le coordonnateur du Front de Libération Nationale (FLN), parti au pouvoir depuis l’indépendance, et président de l’Assemblée nationale, Mouad Bouchareb, a réagi aux grandes manifestations qui se sont déroulées en Algérie, vendredi 22 février 2019, contre un cinquième mandat pour le président Abdelaziz Bouteflika.
Des dizaines de milliers de jeunes ont déferlé dans les rues de nombreuses villes du pays dont Alger où les manifestations sont empêchées depuis 2001. Les appels à manifester après la prière du vendredi lancés sur les réseaux sociaux ont reçu un écho au-delà de toute espérance. La peur d’un retour aux affres de la guerre civile des années 90 sans cesse rappelée par les hommes du pouvoir n’a pas fonctionné.
La volonté des groupes d’intérêts au pouvoir de préserver le statu quo en imposant pour un cinquième mandat un vieil homme malade était vécu par une grande partie des Algériens comme l’expression d’un profond mépris. Les scènes grotesques des clientèles du régime organisant depuis plus d’une année des cérémonies hallucinantes autour du cadre de Bouteflika étaient vécues comme une humiliation.
Une colère sous-estimée
Le pouvoir ne l’ignorait pas, mais, tout comme l’opposition, il a sous-estimé l’ampleur de la colère qui s’exprimait avec une grande puissance sur les réseaux sociaux. Vendredi 22 février 2019, les Algériens dans la rue étaient eux-mêmes surpris et enchantés d’être si nombreux à avoir osé. Et ils ont couverts, par eux-mêmes, relayés par quelques médias électroniques (les chaînes TV privées comme la chaîne publique s’offrant le ridicule et le discrédit de faire le blackout) une irruption des jeunes des classes populaires qui fait bouger les lignes. Même les plus âgés qui ont une mémoire brûlante des années de guerre civile se sont soudainement sentis libérés. La hogra du pouvoir a fait sauter le verrou de la peur. Ainsi que l’écrit joliment le jeune poète Salah Badis, l’Algérie se retrouve, depuis vendredi dernier devant une “extension du domaine possible”.
L’Algérie qui avait refusé de prendre le chemin des printemps arabes en 2011 s’est remise en marche. Les opposants, divisés, émiettés et surtout impuissants dans un pays verrouillé, sont ragaillardis. Le 24 février à l’appel du mouvement Mouwatana, coalition de forces politiques et citoyennes dissidentes, ils ont été plus de deux milles à occuper le centre-ville d’Alger malgré un dispositif policier particulièrement musclé. Mardi 26 février, des milliers d’étudiants sont entrés en scène pour clamer haut et fort leur rejet de Bouteflika.
Sans plan B
Le régime, qui s’est piégé avec Bouteflika dans un crépuscule bourguibien, ne semble pas avoir de plan B. Les acteurs de ce régime qui tenaient le pavé au cours des derniers mois autour du “cadre” sont tétanisés. Le patron de l’organisation syndicale UGTA, totalement inféodée au pouvoir, Abdelmadjid Sidi Saïd, a outrancièrement menacé les Algériens: « Vous voulez revenir aux jours de sang et de larmes et des maisons incendiées ? » a-t-il déclaré d’Adrar, dans le sud du pays où était commémorée, loin d’Alger, l’anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures en 1971.
Pourtant, même dans la lointaine Adrar, Abdelmalek Sellal, directeur de la campagne de Bouteflika et Sidi Said Abdelmadjid, ont été conspués par des manifestants contre le cinquième mandat. Le Forum des chefs d’entreprises (FCE), organisation patronale qui regroupe les oligarques qui ont émergé sous le règne de Bouteflika, est sans voix. Les partis dits de “l’allégeance”, notamment le FLN et le Rassemblement National Démocratique (RND) que dirige le Premier ministre Ahmed Ouyahia, sont également sonnés. Ahmed Ouyahia qui avertissait il y a encore une quinzaine de jours que le gouvernement ne permettra pas des manifestations de rue s’est subitement souvenu que la “Constitution garantit au citoyen de manifester pacifiquement dans le cadre de la loi”. Pourtant, ce droit a été constamment refusé aux Algérois et très rarement permis aux Algériens dans les autres villes. Mais le discours des officiels cherche encore à sauver la candidature de Bouteflika contre laquelle se cristallise la contestation qui continue d’enfler. Chacun est « libre de défendre ou de s’opposer à tel ou tel candidat lors de l’élection présidentielle » a affirmé Ouyahia en assurant que le dernier mot reviendra au peuple qui tranchera « de manière pacifique et civilisée par l’urne ». Une réponse qui a peu de chance d’être acceptée, tout le monde ayant la conviction qu’une élection avec Bouteflika est pliée d’avance.
Le discours « légaliste » d’Ouyahia traduit clairement l’impasse dans laquelle se retrouvent les différentes factions du régime. Elles sont, pour la première fois, sur la défensive. Le scénario du pouvoir, l’unique, du passage en force de Bouteflika pour un cinquième mandat, est contesté frontalement par des pans entiers de la population. Comme toujours en Algérie, les changements viennent soit d’une intervention directe de l’armée ou à la suite d’une intrusion des classes populaires qui viennent bousculer l’ordre établi comme en 1988.
Quid de l’armée?
Les acteurs du régime – le syndicat UGTA, les oligarques d’affaires menés par Ali Haddad qui ont été mis sur orbite par le clan Bouteflika ainsi que les appareils partisans, comme le FLN et le RND – ne sont pas d’un grand secours dans cette crise. La tentation, toujours présente, d’organiser des contre-manifestations en faveur de Bouteflika comporte de grands risques de dérapages.
Que fera l’armée face à cette crise qui vient perturber considérablement le scénario censé être sans encombres du cinquième mandat pour Bouteflika? C’est la question que tout le monde se pose en Algérie. Certes, le 13 février dernier, le chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd-Salah, lié, dit-on, par la « parole donnée » à Bouteflika avait fustigé avec une extrême violence les adversaires du cinquième mandat qualifiés “d’ingrats” et “d’ennemis de l’intérieur”.
Le chef de l’armée – dont les adversaires potentiels au sein de l’institution militaire, notamment l’ancien patron de l’ex Département du renseignement et de la sécurité (DRS), le général Mohamed Mediene dit Toufik ont été poussés vers la sortie – est le principal bouclier du cinquième mandat. Mais l’entrée en jeu de la jeunesse algérienne à travers les manifestations de rue change considérablement la donne. Prendra-t-il le risque de maintenir un soutien sans faille à l’option d’un cinquième mandat à Bouteflika alors que ce dernier est l’objet de toutes les colères? La journée du vendredi où de nouvelles manifestations sont annoncées après la prière pourrait lui donner matière à réflexion.
time to throw few rats out
get rid of the shit heads algeria