On a beau vouloir accueillir sa proposition d’un œil bienveillant, Majadhib reste un navrant ratage. Faut-il en dire quelque chose ? On serait bien en peine de le faire, le film n’en demandant pas tant. Il faut pourtant dire et spécifier les raisons de ce ratage, car oui, naufrage il y a à tous les niveaux. Sans doute qu’un documentaire, ce que promet d’être ce deuxième long-métrage de Chiraz Bouzidi, devait négocier au moins deux choses : la relation qu’il établit avec une réalité donnée comme non scénarisée, et la place qu’il réserve en cela au spectateur. Mais Majadhib se fait fort de passer à côté de l’essentiel, flottant avec une naïveté assez décomplexée entre le sujet qui lui tend les bras et la manière dont la caméra engage sa restitution documentaire.
Et le cinéma ? Tout dit qu’il est le dernier des soucis de Majadhib quand il s’agit pour la cinéaste de prendre en charge l’essentiel. Au programme, pourtant, une pioche qui n’est pas mal. Le film se loge, sur le mode d’un portrait collectif, dans le quotidien d’une troupe de Stambali de la ville de Redeyef, au sud-ouest tunisien. Le trentenaire Mohammad, dit « Rayouna », dirige ce groupe de jeunes percussionnistes, dont une fratrie. Déscolarisés, ne dépassant pas la vingtaine d’années, ils partagent tous des conditions de vie difficiles. S’ils gagent un peu d’argent au marché grâce à leur petit commerce de pigeons, sous les yeux d’une mère paralysée, leur troupe se produit occasionnellement au cours de petits festivals locaux ou dans quelques cérémonies de hadhra. C’est le seul moyen pour ces jeunes de parer à la misère et la délinquance.
De tout cela, Majadhib ne tirera rien, n’ayant pas plus d’axe que de point de vue pour prendre son sujet de front. Alors qu’il semble lancé sur les rails d’un portrait de ce trentenaire dont la santé mentale s’est détériorée après un séjour en prison, le film s’intéresse à tout le monde sans vraiment s’intéresser à aucun personnage. On n’a pas tant l’impression de suivre « Rayouna » que de tourner, à coups de lamentos extradiégétiques, les pages d’un découpage mal raccordé que la cinéaste voulait faire passer pour un portrait de groupe. Or l’un des deux personnages – Lempatchi, le petit de la fratrie, ou celui qui va reprendre par la suite la direction de la troupe – aurait pu se convertir en pivot du film si Chiraz Bouzidi s’y était frottée autrement qu’à une curiosité. Si la non-maîtrise frappe d’inanité Majadhib et torpille son ventre mou, c’est pire encore quand il arrive à la réalisatrice de prendre la tangente, comme dans la scène de la transe qu’elle s’applique incroyablement à rater. En cause, une caméra qu’elle ne sait pas où placer.
Les conséquences de cette non-maîtrise ne se font pas attendre au niveau des choix de mise en scène. Trop anémique pour restituer à sa caméra la capacité d’observation ou d’immersion requise, la réalisatrice nous laisse d’une part mariner du côté des situations reconstituées. Première conséquence : les sujets filmés s’y inventent en des pelures de personnages. Trop occupées d’autre part à compiler ses scènes arrangées en un feuilleté terne, les mises en situations tendent vainement les fils pour faire décoller les répétitions à ciel ouvert ou les escapades de la troupe entre les rochers escarpés. Deuxième conséquence : les relations entre les personnages ne dépassent pas le niveau de l’anecdote. À cela s’ajoutent les témoignages oscillant entre voix off et plans fixes rapprochés, que le film ratatine en circuit fermé. En matière de montage, c’est du bout à bout sur toute la ligne dramaturgique, sans trop savoir quoi faire des situations que Chiraz Bouzidi s’obstine sans raison à appuyer, sinon se payer le luxe d’une poignée de plans au drone par lesquels Majadhib voudrait prendre de la hauteur faute d’avoir pu toucher le sol.
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