Au 20ème siècle, toutes les tentatives de dépassement de la propriété des moyens de production se sont soldées par un échec, pour une raison très simple, c’est que ces expériences n’ont pas voulu abolir la propriété. Les expériences de coopératives et des mutuelles gardaient l’aspect privé de ces propriétés. Quand on est extérieur à ces mutuelles, il s’agit d’une propriété privée. Ces échecs sont attribués à la notion même de propriété, qui est par nature excluante et centralisatrice. Les socialistes du 19ème siècle, dont Jean Jaurès fait figure de proue, vénéraient l’idée des coopératives, pensée comme outil de démocratie productive ouvrière. En revanche, ils présument que ces coopératives doivent rester la propriété de l’Etat.
L’expérience soviétique représente la meilleure illustration de cette vision étatiste de la propriété. Les dérives de cette expérience sont connues : une bureaucratie sclérosante et paralysante, l’accaparation de la propriété par l’Etat qui planifie la production, laissant les travailleurs en position subordonnée comme dans les entreprises capitalistes. A ce propos, l’expérience yougoslave en rupture avec le stalinisme, montre bien les avantages et les limites de ce genre d’expériences dépassant la propriété des moyens de production.
Au début, l’Etat yougoslave était le principal propriétaire, il s’ensuit une phase d’autogestion. Dans les années 50-60, les travailleurs yougoslaves ont formé des collectifs de travail en cogestion, avec des résultats économiques impressionnants. Dans l’ordre des choses, les travailleurs ont demandé plus d’autogestion. Or, l’Etat yougoslave ne voulait pas abandonner les manettes de l’économie et va répondre par un socialisme de marché et une autonomie des entreprises. C’est ainsi que la Yougoslavie est entré dans le système capitaliste avec toutes ses dérives et ses impasses.
L’auteur propose plusieurs pistes pour dépasser la propriété des moyens de production parmi lesquelles les cotisations sociales et la dette. Son idée, consistant à s’intéresser au passif de l’entreprise (en l’occurrence l’endettement), n’est pas récente. Dès 1848, Proudhon a imaginé une « banque du peuple » : un crédit mutuel et gratuit qui donnerait la possibilité aux travailleurs de posséder le capital afin de s’affranchir des propriétaires. L’auteur rappelle que Proudhon envisageait la non-propriété pas forcément par la possession des moyens de production, mais surtout par le fait que tout le monde peut y accéder.
Le rapport du créancier à l’entreprise est différent du rapport du propriétaire à l’entreprise. Le propriétaire dirige et est actionnaire, alors que le créancier ne dirige pas l’entreprise mais attend des intérêts et le retour des sommes. L’idée d’endetter les entreprises vis-à-vis du secteur financier paraît rebutante pour certains. Constituer un secteur financier socialisé chargé de financer l’ensemble des entreprises dans la totalité de leurs actifs, pourrait faire disparaître la notion de fonds propres et donc la notion de propriété, toujours selon l’auteur.
Le 20ème siècle apporte avec lui des nouveautés qui permettent d’envisager la suppression de la propriété productive : les cotisations sociales, car elles remettent en cause le régime de la propriété par l’imposition de règles de distribution des revenus, et le financement des actifs des entreprises par endettement, car il ouvre la voie à la disparition des fonds propres. L’auteur suggère de dépasser les coopératives en proposant que les citoyens s’érigent en commun afin de constituer un commun social et géographique. Ce commun sociogéographique pourrait concerner une région, un pays, etc. L’auteur préconise une démocratie ouvrière permettant de se prononcer sur les grandes orientations économiques et la création de banques autogérées par leurs travailleurs.
Le grand débat reste celui des rémunérations, les idées dans ce sens foisonnent du revenu universel, aux cotisations sociales qui de facto contestent la notion de propriété, allant jusqu’à Bernard Friot qui préconise un salaire à vie. Malheureusement, les tenants du catéchisme capitaliste et les actionnaires veulent nous interdire d’avoir ce débat.
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