Crédit photo : Seif Koussani

Native de Djebel Jelloud tout comme son mari, Naïma n’a jamais cessé de travailler dans les différentes usines de la région. Elle voit dans son nouveau commerce une sorte de délivrance après de longues années « fatigantes » dans ces dites usines. « Je suis chez moi, auprès de mes enfants, tout en travaillant, c’est nettement mieux », dit-elle. L’échoppe de mlawi de Naïma fait partie de sa maisonnette. En y accédant, on aperçoit sa cuisine ou plutôt le petit coin qui lui sert de cuisine. Une gazinière portable y est installée. Naïma prépare le déjeuner entre deux clients servis. Son mari travaille dans l’usine en face. Sa maison, c’est sa seule fortune.

Crédit photo : Seif Koussani

Il y a deux ans, Naïma habitait le même quartier mais avec sa belle-famille. Elle la partageait avec sa belle-mère, son beau-frère handicapé ainsi que sa belle-sœur divorcée et mère de trois enfants. « Tous entassés dans quelques mètres carrés », raconte-t-elle. « C’était la misère mais j’avais de bons rapports avec ma belle-famille. Depuis qu’on a pris notre indépendance, ce n’est plus le cas ». La maison, tant enviée par la belle-famille d’après Naïma, ne compte que deux pièces bâties par un maçon du coin avec l’aide de son fils et son mari.

Trois familles dans une seule maison

Les embrouilles familiales n’ont pas empêché la belle-mère, appelée Khadija, de s’introduire dans la conversation. « Etes-vous de l’association Khalil ? », nous demande-t-elle. Âgée de 69 ans, elle cherche du travail comme femme de ménage « dans n’importe quelle administration pas loin », espère-t-elle. Il y a presque un an, elle travaillait pour une famille à Mégrine comme aide-ménagère. « Avec l’âge, les allers-retours me fatiguent beaucoup. La maison dans laquelle je travaille est dans une zone reculée. Pour m’y rendre, je dois prendre des transports et terminer le trajet à pieds. Je ne peux plus le faire ».  Alors, pour gagner sa vie, elle ramasse des bouteilles de plastique, « mais il me faut un travail plus stable, je ne peux pas vivre de la retraite de mon mari, soit 200 dinars par mois », revendique Khadija. Et de poursuivre : « Puis, sur qui puis-je compter ? Personne. J’ai un enfant handicapé à charge. Quant à ma fille, elle est divorcée et elle galère aussi bien que moi !», se lamente-t-elle.

La fille en question apparaît, un bâton à la main pour cantonner son fils de 10 ans qui voulait sortir de la maison. « Nous sommes très pauvres, et parler ne changera rien », s’exclame-t-elle. « Elle travaille également dans les maisons comme aide-ménagère. Un homme de la région distribue 10 dinars par semaine aux nécessiteux et elle en bénéficie. Elle sollicite parfois l’aide des gens des usines », déplore sa maman, tentant de justifier la colère de sa fille.

Nasr, incarnation de l’espoir ?

Naïma investit une partie de son argent dans l’éducation de son fils Nasr. Evincé du lycée public, il étudie dans un lycée privé à Bab Dzira. « Je veux qu’on s’éloigne des mauvaises fréquentations d’ici. Qu’il pense à son avenir ! Son père lui a promis qu’une fois son bac obtenu, il l’introduira dans la police », dit-elle. Nasr esquisse un sourire en écoutant sa maman. « Je n’aime pas les policiers, je ne veux pas être des leurs », lance-t-il. Des propos qui attisent la colère de sa mère : « Tu veux prendre un bateau et t’en aller, c’est bien ça, n’est-ce pas ? », rétorque-t-elle.  Le jeune, âgé de 18 ans, tente de la rassurer : « Je veux quitter le pays mais légalement, ne t’inquiète pas ». Naïma laisse échapper un sourire amer. Elle ne le croit pas.

Le jeune homme parle de sa détresse, d’une sensation d’étouffement : « Ici, tu n’as rien à faire… soit roder avec les garçons qui fument du cannabis ou en vendent, soit errer au centre-ville ». Même au centre-ville, les problèmes continuent, raconte le jeune homme « Les policiers nous interdisent d’assister aux concerts à l’avenue Bourguiba dès qu’ils s’aperçoivent qu’on vient de Djebel Jelloud. Dans chaque bagarre, on est accusés, même si on a rien fait »,fustige-t-il.

Frustration, zatla et rapport de force

Nasr confie être un fumeur de cannabis. « Ça te fait voyager tout en étant à Djebel Jelloud », ironise-t-il. Selon lui, presque tous les jeunes s’y adonnent dans la région, au vu et au su de tout le monde, même les policiers, qui n’osent plus s’approcher des coins de rencontres ou se mêlent les dizaines de consommateurs et vendeurs du quartier en plein jour. « Difficile de ne pas sombrer dans ça, il y a toujours un ami qui veut te traîner avec lui », avoue le jeune homme. Et ce n’est pas que le cannabis qui circule, toutes sortes d’autres drogues également. Tout ce beau monde se retrouve aussi sur les artères du lycée secondaire de Djebel Jelloud, drogue et alcool, servent ainsi de distraction pour les filles et les garçons, selon Nasr. Les professeurs comme les parents « sont épuisés et laissent faire désormais », explique Naïma. Ce n’est pas le cas de Salah, son mari. Ayant passé 20 ans de sa vie entre centre de rééducation et prison, Salah ne veut pas que son fils suive son chemin. Rongé par les regrets et des épreuves d’une vie rude, il espère mieux pour son fils, quitte à user de la violence, raconte Naïma. « Tantôt, il me dit à force de le frapper, je vais un jour le tuer et retourner en prison. Tantôt, il affirme qu’on devait vendre la maison et partir d’ici », ajoute-t-elle.  

Nasr l’écoute, le visage grave et les larmes visiblement retenues, il se dit reconnaissant vis-à-vis de ses parents. Quant à Sawsen, 16 ans, l’autre fille de Naïma, opine du chef pour appuyer le récit de sa mère. « Elle est toujours avec moi et n’a pas d’autres préoccupations que son portable. Elle ne sort qu’avec moi et je compte bien la préserver des mauvaises fréquentations »,conclut Naïma. Sawsen affiche un sourire rassurant à sa maman. Son regard esquisse bien d’histoires bien gardées.


This feature was supported by the Rosa Luxemburg Stiftung with funds from the German Federal Ministry for Economic Development and Cooperation.
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