On ne sait toujours pas ce qui passe par la tête d’un cinéaste. Et on ne le saura peut-être jamais. Surtout avec nombre de cinéastes tunisiens. Qu’ils fassent dans le méli-mélo ou dans le comique, ils sont souvent bourrés d’intentions, mais se coltinent rarement les idées. Walid Tayaa ne déroge pas à cette règle. Avec Fataria, il nous donne de ses nouvelles, après des années d’éclipse. S’il fait mine de ne pas plonger dans la comédie tête baissée, il n’en patauge pas moins dans les clichés. Sous ses dehors de comédie loufoque,  ce film se veut bordélique à l’image de ce qui s’y raconte. Comptant sur les vannes qu’il peine à ouvrir grand, sa vacuité n’en referme que de toutes petites. C’est d’une bêtise, d’une mièvrerie et d’une facilité qui suffisent d’ores et déjà à le propulser vers les premières loges de nos futures pires fictions de 2019.

Nous sommes en 2004. Sur fond du Sommet Arabe, Fataria fait mine d’explorer l’envers du décor du système, dont les percussions du tabbal en fond sonore font office d’hymne d’allégeance. Ils ne sont pas moins de cinq à y être impliqués. Tout le monde se démène d’une manière ou d’une autre pour survivre. Il y a le vieux Ammar, joué par Issa Harrath, qui galère pour se faire soigner à l’hôpital, sans le moindre égard du personnel. Il y a aussi Jamel Madani, dans la peau de Hammadi, qui tombe sous le charme de Naziha, incarnée par Sabeh Bouzouita dans le rôle d’une quinquagénaire divorcée qui habite l’immeuble dans lequel cet électricien paumé doit intervenir. Mais il y a surtout Salha, dynamo du quartier joué par Rim Hamrouni, dealer autant que pleureuse patentée qui peine à joindre les deux bouts, ainsi que la chorégraphe Nadia Saïji à l’impassibilité patibulaire qui tente le bras de fer avec son voisin corrompu. A ces personnages, Walid Tayaa s’efforce de tailler des habits d’anges et de démons. Mais loin de faire de leurs rapports un nœud coulant, il tombe sur les clichés de leurs névroses comme dans une ornière.

Jamel Madani dans “Fataria”

Il y a en effet, avec cette sauce qui se mijote à température tiède, une tendance à mettre tous les sujets sur la table. Entre corruption policière, propagande, règne de la débrouille, détresse psychologique  et misère sociale, la somme en est trop furtive. Le tout, Fataria l’orchestre dans une sorte de chevauchement choral entre serviteurs et victimes du système, mais sans véritable développement dans la durée. Mais il faut compter avec une mise en scène qui a par moments les symptômes des trouvailles dont le réalisateur ne sait que faire. Là où la caméra, en poste d’observation, renvoie le point de vue par moments aux dispositifs de surveillance, la mise en scène cède souvent aux dialogues téléphonés. Là encore, les situations ont beau être prétextes à des séquences comiques, grâce à un mot, à travers un relâchement physique ou même par une paire de nichons, Walid Tayaa persiste à perdre ce qui s’y amorce d’un peu intelligent dans un déroulement assez étriqué. Mi-amoraux mi-forcés, les rires sont loin de se départir de leur lot d’abêtissement.

Sans doute, les personnages étoffant la galerie de Fataria ne ménagent-ils pas leurs efforts en négociation à l’avenant. En faisant rejouer tout ce qui grince en coulisses, Walid Tayaa a la tête ainsi faite qu’il fait semblant de ne pas dédouaner les protagonistes de leurs faiblesses ou accointances. Mais dans le registre burlesque où il refuse d’appuyer l’opposition entre serviteurs et victimes du système, la tentative d’alléger le poids du contexte politique se solde d’une lourdeur qui révèle toute la mécanique démonstrative du film. Couvert de grosses pustules, même quand il veut rendre son microcosme social un tant soit peu caustique, Fataria frise le ridicule. Avec son air vicié du remâchage du mou, on dirait qu’il ne cherche à rendre partageable que sa propre vacuité.