Ici, nombreuses sont les familles qui cultivent depuis des décennies la poterie des vieux fours (kanoun). Le savoir-faire se transmet des parents aux enfants. Zina, 53 ans, parle de cette transmission comme d’une fatalité. « Dès l’enfance, j’ai vu mes grands-parents à l’œuvre, puis mon père. C’est ainsi que je me suis trouvée dedans », confie-t-elle. Venue il y a 50 ans de Siliana, la famille de Zina s’est installée dans ce quartier pour s’adonner à cette activité. Elle se rappelle du temps où son père transportait ses fours (kanoun) sur son âne pour aller les vendre, quand des familles travaillaient dans la place désertique à la lisière de la grande route. Chaque famille avait sa baraque. Elle y confinait ses fours (kanoun) ou s’y abritait en hiver. Zina se montre nostalgique de cette époque, pas si lointaine. Son métier s’est sédentarisé : rares les familles qui vendent encore leur marchandise sur des ânes. Les huttes ont été démolies par la mairie pour les remplacer par un village d’artisanat, en cours de construction. « Sous le coup d’une décision de déconstruction depuis des années, on s’est dit pourquoi ne pas organiser ce secteur et construire un village d’artisanat », a affirmé Dorsaf Yacoubi, présidente de l’association Moussenda, qui a porté cette initiative.
L’activité des artisans, les déchets qu’elle entraine sur place et le va-et-vient des clients n’étaient pas vu d’un bon œil par les autres riverains d’où la décision de démolition des constructions anarchiques qui recouvraient le lieu. Désormais, les artisans prennent place devant leurs maisons et y installent leurs fours. Habitant seule depuis le décès de son père, Zina consacre sa vie à la poterie. Des fours de toutes les tailles sont alignés dans sa modeste demeure. Comme tous les autres, c’est à l’entrée de sa maison qu’elle travaille. « Entre le transport de la matière première, son traitement, la sculpture, le séchage et la vente, c’est un travail pénible et pas assez rentable », regrette-t-elle. Elle vend les fours (kanoun) à 800 millimes. « Notre gain est dérisoire par rapport à celui du vendeur qui les vend à 3 dinars au client », se désole-t-elle.
Les seules périodes d’aubaine pour les artisans sont celles de l’avant l’Aid El Kébir et de Ramadan, explique Zina. Elle aimerait bien gagner davantage mais dit faire face à la désorganisation du secteur. « On n’arrive pas à se mettre d’accord. Si j’augmente mon prix, d’autres sont prêtes à vendre moins cher. Ce n’est pas possible », explique-t-elle avec amertume. Si Zina semble s’être habituée à la pénibilité de son travail, elle a du mal à supporter les factures d’eau impayées qui s’accumulent. Pour pétrir et modeler la pâte céramique, elle a besoin de beaucoup d’eau. « Aucune aide n’est dispensée aux artisans d’ici. Pourtant, nous sommes peu nombreux et nous avons nos certificats d’artisans », déplore-t-elle.
Elles sont au total 30 familles à perdurer cet artisanat à Hay Hlel, dont une majorité de femmes, avance Dorsaf Yacoubi. Parmi elles, Dawla, 62 ans. L’artisane a pris place devant sa maison à la vue des passants qui arpentent la ruelle. Certains d’entre eux entament une discussion avec elle. Jambes écartées pour laisser place à l’œuvre, elle s’ouvre à eux en gardant ses mains, couvertes de pâte, à l’ouvrage. Ses gestes, mécaniques et précuis, semblent instinctifs. « L’infortune t’oblige à apprendre bien des choses », lance-t-elle, en rigolant. Originaire du Kef, la famille de Dawla s’est installée dans le quartier en 1975. Elle a appris le métier de ses parents. « On n’a pas fait d’études, on s’est retrouvé naturellement dedans», se souvient-t-elle. Mère de cinq enfants, Dawla compte continuer à travailler faute de mieux. « J’arrêterai le jour où une fortune nous tombera du ciel ou le jour où je ne pourrais plus bouger », ajoute-t-elle d’un ton à la fois déterminé et fataliste. A 75 ans, son mari continue aussi à travailler. Il était maçon avant d’abandonner ce métier en vieillissant. Depuis, il s’adonne au ramassage des bouteilles en plastique. « Sinon on n’arriva pas à joindre les deux bouts », dit-elle. Dawla et son mari entretiennent encore leurs enfants comme sa fille, mariée, qui s’est réfugiée chez ses parents car son mari est incapable de payer un loyer. La fille de Dawla ne compte pas prendre la relève de sa mère. : « J’ai essayé. Je n’ai pas l’aisance de ma mère », explique sa fille.
Dawla comme Zina souffrent du rhumatisme. « La nuit je souffre le martyr. Le médecin m’a expliqué que je dois m’épargner le contact permanent avec l’eau, de m’exposer au froid mais mon métier me l’impose », déplore-t-elle. Dawla et Zina ne peuvent compter que sur la fidélité de quelques clients pour continuer à pratiquer ce métier. Elles ne cherchent pas la fortune, assurent-t-elles, juste la dignité.
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