Le petit monarque (Danaus chrysippus ; photo 1)1 est un papillon de jour qui égaie nos campagnes pendant quelques mois. Sa répartition mondiale couvre l’Afrique, les îles Canaries, l’Europe du Sud (côtes méditerranéennes), la Turquie, l’Arabie Saoudite, l’Asie tropicale, l’Australie et la Nouvelle Zélande.
Ce gros papillon a une envergure de 70 à 80 mm. Les spécimens deux sexes ont des ailes orange pâle avec des bordures marginales noires. Ils montrent une série de taches blanches sur fond noir sur la région latérale des ailes. Les dessous sont beaucoup plus pâles. L’aile postérieure porte des taches noires2. Ce papillon a été le premier à avoir été représenté, il y a environ 3500 ans, sur une tombe de la vallée des rois en Égypte3.
Il a été signalé en Tunisie depuis 1953. Les localités où l’espèce a été observée sont Gabès, Tozeur, Nefta, Douz, Degache, El Guettar, Gafsa, Moularayes, Feriana, Sbeitla, Kairouan, Sfax, El Djem, Monastir, Sousse, Sidi Bou Ali, Hammamet, Tunis, Mégrine, Jendouba, Aïn Draham, Barrage de l’Oued Kebir (?), Le Kef et Kesra4. On peut ajouter la région de Tabarka, au nord-ouest.
Les dates d’observation de l’espèce en Tunisie s’étendent sur toute l’année5. A relever cependant que ces observations couvrent l’ensemble du pays, et qu’il n’y a pas d’observations étalées sur une année dans une seule région où l’espèce a été signalée.
En Tunisie, des signes de reproduction ont été signalés par Tennent (1995) en mai à Sousse, en octobre à Douz et à Gabès. Les plantes hôtes de la larve sont des Asclepiadaceae, à savoir Pergularia tomentosa et Cynanchum acutum. Nous ajoutons nos propres observations d’accouplements (photo 2) en janvier à Chat Mariam et en novembre dans la région de Kairouan. L’espèce est également signalée reproductrice au Sahara algérien6 où la plante hôte de la larve est Calotropis procera, une Asclepiadaceae connue en Tunisie du sud de Ben Guerdane. Toujours en Algérie7, dans la région de Biskra, la plante hôte de la larve est la Pergularia tomentosa.
A noter que l’adulte se nourrit de nectar, et ne semble pas affectionner une espèce particulière ou une famille de plantes. Nous l’avons vu s’alimenter sur le Lycium, retam, Echiochilon fruticosum, ou aussi des annuelles, notamment le pissenlit…
Cette espèce est connue pour être migratrice. Elle fréquente les friches, broussailles, généralement près des zones cultivées et jardins8. Comme il s’agit d’un papillon, son cycle de vie comprend un œuf duquel sort une larve (photo 3) qui se transforme en chrysalide (photo 4) de laquelle émerge un papillon adulte. La particularité du petit monarque est que ses larves se nourrissent de plantes toxiques de la famille des Asclepiadaceae.
En Tunisie, les plantes hôtes de la larve sont surtout Pergularia tomentosa et Cynanchum acutum, connue dans le sud du pays. La consommation de ces plantes toxiques rend les larves indigestes pour leurs prédateurs qui évitent de les consommer (goût amer)9. Les adultes le sont aussi ; leurs couleurs vives sont indicatrices de toxicité pour leurs prédateurs.
Les plantes desquelles les larves se nourrissent ne sont pas consommées par le bétail et ne présentent aucun intérêt pour l’homme. La reproduction de l’espèce serait donc déterminée par la présence des plantes hôtes, notamment des Asclepiadaceae.
En Tunisie, cette famille (Asclepiadaceae) comprend six espèces dont deux sont déjà connues pour être utilisées par les papillons en Tunisie (Pergularia tomentosa et Cynanchum acutum). Aucune indication ne concerne l’utilisation de Calotropis procera, connue d’Algérie, ni du reste des autres espèces. Il serait intéressant de voir si elles sont ou non utilisées par les larves du petit monarque.
Menaces
L’espèce est menacée par la destruction de son habitat, notamment au nord de Sousse, où pousse sa plante hôte, sur le littoral. En effet, la localisation de Pergularia tomentosa sur les dunes fixées la rend particulièrement vulnérable à la destruction, puisque les terrains sur lesquels elle pousse sont destinés à la construction (photo 5) !
La logique écologique ne résiste pas face à celle de l’économie, mais il est regrettable de constater qu’aucun espace témoin de l’état de la végétation naturelle originelle de la région ne persiste. Ceci dit, nous ne pouvons que regretter la disparition annoncée du petit monarque de cette région, à cause de la cupidité des uns et de l’indifférence totale du reste !
Notes
- Merci à Mr Ikbel CHAIEB avec qui les discussions sur l’espèce ont inspiré le présent papier.
- Pour plus de détails, voir Rao K. E., Chandar G. S. & Atluri J. B., 2016. Life Cycle and biology of Danaus Chrysippus (L.) (Plain Tiger) on Asclepias Curassavica (L.) at Andhra University Campus, Visakhapatnam. IOSR Journal of Pharmacy and Biological Sciences (IOSR-JPBS), 11 (3): 91-98.
- Smith D. A. S., Traut W., Martin S. H., Ireri P., Omufwoko K. S., ffrench-Constant R.& Gordon I. J., 2019. Neo sex chromosomes, colour polymorphism and male-killing in the African Queen Butterfly, Danaus chrysippus (L.). Insects, 10: 291; doi:10.3390/insects10090291
- Tennent J., 1995. Danaus chrysippus Linnaeus, 1758; a review of records and present status in the Maghreb countries of Morocco, Algeria and Tunisia (Lepidoptera, Danainae). Nota lepid., 17 (3/4): 201-216.
- Combinaison entre les dates de nos observations et celles de Tennet (1995).
- Samraoui B., 1996. Breeding status and range expansion of Danaus chrysippus (Linnaeus, 1758) in the Algerian Sahara (Lepidoptera: Nymphalidae Danainae). Nota Lepidopterologica, 19 (3-4): 261-263
- Kheloufi A., Mansouri L. M. & Belatreche R., 2019. Coexistence of Danaus chrysippus (Linnaeus, 1758) (Lepidoptera Nymphalidae) on the Milkweed Pergularia tomentosa L. (Asclepiadaceae) in Aïn Naga (Biskra, Algeria). Biodiv. J., 10 (4): 315-320
- Tolman T. & Lewington R., 2014. Papillons d’Europe et d’Afrique du Nord, Delachaux et Niestlé, Paris, 382 p.
- Smith et al., 2019. Référence citée
Merci beaucoup cher Mohsen pour cet article important, et pour trouver le temps et la force de signaler de telles pertes graves pour la biodiversité en Tunisie.
Quels recours possible y’a t-il dans le droit tunisien pour protéger la biodiversité et pour la conservation de l’habitat des insectes ?
Merci Khalil pour ce commentaire. Au fait, aucune loi ne permet un recours en justice dans ce genre de cas.
Pour des actions possibles, on peut penser à multiplier la plante hôte (même dans un jardin), car le papillon n’endommage rien, mais ses larves sont spécialisées, d’où le problème.
Dans le cas présent, tous les terrains côtiers sont voués à la construction. La défense de la biodiversité perd son sens devant la logique marchande, hélas!
Par loi je fais pas seulement référence aux possibilités de recours en justice. mais aussi, et surtout, aux lois qui organisent les missions des agences et administrations de l’état en relation avec la protection de la biodiversité (en fait je ne suis même pas sûr si le concept de biodiversité est entré dans la législation Tunisienne).
Il faut suivre la question de près. Encore bravo pour l’article Mohsen. Ca fait chaud au coeur de savoir qu’il y’a des personnes engagées sur le sujet :)