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La sonnette d’alarme a été déclenchée en décembre 2019. Une maladie infectieuse causée par le dernier coronavirus a été découverte. Ce nouveau virus était inconnu avant l’apparition de la flambée à Wuhan, en Chine. Face à une situation s’aggravant de jour en jour, l’Organisation Mondiale de Santé (OMS) a déclaré le 30 janvier 2020 que « l’épidémie de coronavirus constitue une urgence de santé publique de portée internationale ». Tous les Etats touchés ou en voie de l’être ont répondu aux appels de l’OMS qui préconisait pour chaque pays l’adoption d’une approche gouvernementale interministérielle pour faire face à la crise.

Malgré les modestes efforts fournis pour stopper la propagation du virus dans le monde, l’épidémie Covid-19 est devenue une pandémie, nécessitant une meilleure coordination entre tous les pays du monde. En effet, l’expansion du nouveau coronavirus reste préoccupante si de nombreux pays ne prennent pas les mesures urgentes, adéquates voire « agressives » pour diminuer et limiter la propagation. Dans tous les cas, aucun ne peut nier que tous les Etats (même les plus avancés), y compris la Tunisie, consacrent toutes leurs capacités pour répondre aux  insuffisances de leurs systèmes sanitaires et sociaux. Aujourd’hui, le personnel médical se trouve en première ligne. Il y a, encore, ceux qui travaillent dans les services essentiels : la distribution alimentaire, la livraison, la sécurité, les services publics… et font des heures supplémentaires pour contribuer à l’effort de leurs pays.

Face à une crise sans précédent, le chef de l’Organisation des Nations Unies (ONU) a appelé, en mars 2020,  à « affronter ensemble un ennemi commun ». Il était logique qu’un tel appel, tardif, trouve une réponse rapide de la part de tous les Etats pour assurer une coordination internationale face au covid-19 et mettre en évidence une solidarité mondiale tant attendue.

Vers une solidarité mondiale

Avec le passage à une pandémie, chaque Etat s’est trouvé contraint d’exploiter son arsenal national notamment en termes d’équipements médicaux. Toutefois, de nombreux Etats n’ont pas la capacité de prendre en charge toutes les personnes testées positives au covid-19 dans des établissements de santé spécialisés. Alors, il était primordial qu’une solidarité mondiale intervienne face à la situation dramatique dans plusieurs Etats. Certes, plusieurs entretiens entre les chefs des Etats sont intervenus pour exprimer certaines initiatives de coordination et coopération contre le virus. Néanmoins, la gravité de la situation (la vitesse de propagation du virus et la hausse du taux de mortalité dans plusieurs pays) exige, désormais, une « centralisation » de la gestion de crise au niveau international.

L’ONU, avec toutes ses entités, est la mieux placée pour remplir cette mission. D’ailleurs, l’article premier de la Charte des Nations Unies (NU) affiche notamment pour but : « Être un centre où s’harmonisent les efforts des nations vers des fins communes ». Or le monde, aujourd’hui, partage un même objectif, celui d’éliminer le virus et juguler sa propagation malgré les différences de gestion et de lutte. Nous pensons que cette centralisation de la gestion de crise Covid-19 facilitera son élimination et évitera des probables « conflits » qu’englobent plusieurs politiques suivies par certains Etats.

En Tunisie, à l’initiative du secrétaire général de la Confédération générale de travail, une pétition a été lancée sur internet invitant l’ONU à organiser la solidarité mondiale contre le Covid-19. Le président de la République s’est aligné sur cette initiative et il a indiqué dans son discours du 20 mars 2020, à l’issue de la réunion du Conseil de sécurité nationale,  que « la crise doit prendre une dimension internationale et il a évoqué la nécessité de l’intervention des Nations Unies contre cette menace ». Le président tunisien a appelé à convoquer une réunion d’urgence du Conseil de Sécurité de l’ONU. Depuis la date de la réunion, le président a entamé une campagne internationale pour faire aboutir cette initiative et mobiliser l’appui de plusieurs Etats.  L’initiative du président de la République (projet de résolution)  a suscité certaines questions.

Rappelons, d’abord, que l’urgence mondiale sanitaire a entraîné la mobilisation de la quasi-totalité des entités internationales (AIEA, BM, CNUCED…) pour freiner la propagation du virus. L’ONU  a lancé le 31 mars 2020 un appel de fonds de deux milliards de dollars pour lutter contre le Covid-19. Elle a besoin des fonds afin de protéger des millions de personnes et d’empêcher le virus de « refaire le tour du monde ».

L’assemblée générale de l’ONU, dans une résolution du 3 avril 2020 intitulée « Solidarité mondiale pour lutter contre la maladie de coronavirus 2019 », a réclamé une intensification de la coopération internationale. Elle réaffirme « son attachement à la coopération internationale et au multilatéralisme et son ferme soutien au rôle central du système des Nations Unies dans la réponse mondiale à la pandémie ». De plus, l’assemblée demande une intensification des efforts pour contenir, atténuer et vaincre la pandémie en échangeant des informations et des meilleures pratiques tout en appliquant les lignes directrices pertinentes recommandées par l’OMS. Ce qui était étonnant pour nous, c’est que la Tunisie, qui a appelé à l’intervention de l’ONU pour la coordination et l’unification des efforts contre le virus, ne figure pas parmi les Etats qui ont votés pour ladite résolution.

En revanche, la lecture de la résolution peut, dans des limites, donner des réponses aux questionnements avancés. La première concerne la compétence du conseil de sécurité de l’ONU. En effet, la résolution de l’assemblée générale ne contient que des recommandations qui sont dépourvues de toutes obligations à l’égard des Etats, et ce, conformément à l’article 13 de la charte des NU qui dispose que l’assemblée peut faire des recommandations en vue de développer la coopération internationale dans divers domaines y compris la santé publique. Dès lors, le caractère non-coercitif  des recommandations pourrait probablement expliquer la tendance du chef de l’Etat tunisien à proposer un projet de résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU malgré les voix qui se sont levées contre la compétence dudit conseil en matière d’urgence sanitaire.

Nous estimons, d’une part, que la compétence du conseil de sécurité de l’ONU englobe l’urgence sanitaire mondiale. En effet, l’article 24 de la charte des NU charge le conseil d’agir en vue de la réalisation des buts selon les principes des nations unies. De tels buts englobent la préservation des droits fondamentaux de l’Homme. Le droit à la vie, aujourd’hui menacé par le Covid-19, devrait être au centre des préoccupations du conseil surtout avec le « détournement des équipements médicaux » que connait  le monde. Dès lors, il est nécessaire qu’un tel organe, ayant la capacité d’infliger des sanctions, intervienne contre toute menace à la santé internationale et permette d’assurer une coordination efficace face à la crise du Covid-19. D’une autre part,  les résolutions adoptées par le conseil de sécurité sont considérées comme contraignantes. L’article 25 de la charte des NU dispose que « les membres de l’organisation conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du conseil de sécurité… ».

Il faut signaler que la solidarité internationale contre le Covid-19 doit être réellement concrétisée par l’échange des informations, de pratiques, d’équipements, etc. Pour ce faire, un organe spécialisé est nécessaire. L’OMS est au cœur de la crise. Elle est le moteur de la gestion et le centre de l’échange et de la coordination. En effet, dans les situations d’urgence, le rôle opérationnel de l’OMS consiste notamment à diriger et à coordonner la réponse sanitaire à l’appui des pays. Elle procède à l’évaluation des risques, identifie les priorités et instaure les stratégies en les traduisant en lignes directrices auxquelles tous les Etats doivent se conformer. Signalons que l’intervention de l’OMS était relativement tardive pour certaines raisons, y compris d’ordre politique, surtout pour un nouveau virus qui fait  le tour du monde avec le risque d’un changement de génome d’un Etat à l’autre.

Une guerre sanitaire

L’ONU, venue remédier aux souffrances des deux guerres mondiales, doit être le centre où s’harmonisent tous les efforts pour lutter contre l’ennemi commun. Comme nous l’avons précisé, il faut que cette organisation, en coopération avec toutes les entités du droit international, veille à la sécurité sanitaire du monde et dépasse cette vision restrictive du « maintien de la paix et de la sécurité » surtout que les droits de l’Homme sont en jeu avec la propagation du virus (droit à la vie, droit à la santé…). Signalons que cette guerre sanitaire s’ajoute à d’autres guerres continues et permanentes et dont les parties n’ont pas pris en considération la crise que connait le monde et sans prendre en considération ses répercussions. Pour sa part, l’ONU, a appelé le 23 mars 2020 à « un cessez de feu mondial » car le virus n’épargne aucune nation. Toutefois, cet appel n’a pas trouvé une réponse des parties en conflit, d’où la nécessité de l’intervention urgente du Conseil de Sécurité.

L’intervention tardive de l’ONU pour assurer la coordination et la solidarité mondiale (et elle est encore attendue) a conduit plusieurs Etats à agir seuls dans leur propre guerre. Tous les Etats ont lancé leur guerre sanitaire contre le covid-19 et ont pris les mesures urgentes et exceptionnelles conformément au droit interne avec une modeste coordination avec l’OMS. Pendant une guerre sanitaire, l’exceptionnel domine. Les peuples se sont trouvés dans une situation inhabituelle (l’interdiction de sortie des foyers) non connue même pendant les deux guerres mondiales.

La Tunisie, n’était pas à l’abri de ce danger. Les décideurs ont, progressivement, annoncés des procédures et mesures pour limiter la propagation du covid-19 sur le territoire tunisien. Fermeture des frontières, Interdiction de circulation et un confinement général étaient décidés[1]. Des mesures socio-économiques ont été, ainsi,  introduites pour faire face aux conséquences des mesures susmentionnées[2]. La situation était similaire dans la quasi-totalité des pays touchés par le virus ou presque, mais ces mesures sont-elles suffisantes surtout avec la hausse du taux de mortalité au tour du monde ?

Face à la situation dramatique, nous estimons que les dépenses de santé doivent être, encore et immédiatement, augmentées pour répondre aux besoins et à l’augmentation de la demande. Là, il faut que l’ONU, l’OMS prouvent et montrent leurs capacités à assurer la coordination internationale pour freiner le virus. L’intervention dans les pays aux systèmes de santé faibles et à faible capacité financière demeure nécessaire. Le chef de l’ONU a déclaré qu’un plan d’intervention a été mis en œuvre par les agences de l’organisation et que la priorité est de fournir des équipements de laboratoire essentiels pour tester le virus et les fournitures médicales pour traiter les malades.

À notre avis, il ne faut jamais laisser les pays les plus pauvres et les plus vulnérables à leur sort. En effet, ça sera funeste et imprudent de laisser le covid-19 se propager librement dans ces pays parce que nous exposerons des millions de personnes à un danger plus élevé et permettrons au virus de refaire le tour du monde avec une nouvelle formule génétique. Cela prouve encore la nécessité de la centralisation internationale de la gestion de la crise et d’un « leader mondial » pour l’assurer, à savoir l’ONU. Les Etats, dans de telles circonstances, ne doivent plus penser à leurs souverainetés en la matière.

En outre, la guerre sanitaire a engendré des dépenses massives pour stimuler l’activité économique et la mise en place de dispositions spéciales garantissant la prestation des services essentiels. Les Etats se trouvent face à un défi inhabituel. Comme dans toutes les guerres, il était logique qu’il y ait des scènes douloureuses et cruelles. Les dizaines de milliers de personnes tuées par le covid-19 n’ont pas découragé certains Etats de profiter de la crise ou d’être les « pirates » de la guerre.

La crise du Covid-19 a déclenché une autre guerre sans précédent entre les Etats concernant l’importation des masques et des respirateurs pour lutter contre la maladie. Des Etats ont été accusés d’avoir saisi les équipements médicaux d’autres pays. Bref, le besoin des Etats à attirer les richesses persiste même en temps de crise. Un besoin qualifié par David Hume de « jalousie commerciale entre nations ». Alors que les Etats, y compris la Tunisie, réduisaient leurs exportations des équipements médicaux et fournitures alimentaires, la Chine est devenue le principal exportateur mondial de masques, respirateurs et blouses de protection. Cela était expliqué par le fait qu’au début de l’épidémie, la Chine a intensifié ses achats des équipements médicaux jusqu’à dépasser ses besoins.

Toutefois, l’intolérable c’est que la Chine, après avoir réussi à limiter la propagation du virus et qu’une grande partie du matériel est restée inutilisée,  elle l’a vendue à d’autres Etats à des prix démultipliés, à l’exception de certains pays qui ont subi de lourdes pertes humaines (Ex : Italie). Le pire, c’est que certains équipements ne répondaient pas aux normes de qualité, ce qui a amené de nombreux Etats, comme les Pays-Bas et l’Espagne, à annuler les commandes de masques et des tests rapides.

Outre ce monopole chinois des équipements médicaux, les Etats-Unis ont avec égoïsme saisi les achats d’autres pays en offrant des prix très élevés[3]. De tout ce qui précède, nous soulignons, encore, qu’il nous faut un monopole de la gestion de la crise. Il faut, désormais, un contrôle  excessif sur l’exportation et l’importation des équipements médicaux. L’OMS doit opérer une coordination avec l’OMC pour sanctionner tout monopole en temps de crise pour permettre à tous les Etats de lutter efficacement et convenablement contre le Covid-19 proportionnellement à la population touchée. L’ONU devrait coordonner, agir et punir pour gagner la troisième guerre mondiale.

Le véritable défi

Avec le covid-19, les Etats sont devant un double défi: la guerre et le redressement de la guerre. Nous avons précisé, déjà, que tous les décideurs ont pris des mesures pour lutter contre le virus. Il s’agit des mesures d’atténuation réduisant considérablement l’activité économique pour sauver les vies. Alors, le premier défi pour les Etats c’est de gagner la guerre et éliminer le virus. Selon le Fonds Monétaire International (FMI), la crise économique à venir est une conséquence inévitable des mesures prises par les gouvernements. Nous estimons que, pour y arriver, il faut que toutes les mesures s’articulent sur trois objectifs : assurer le fonctionnement continu des services publics essentiels, couvrir le plus grand nombre des personnes touchées et penser à l’avenir de l’économie.

D’abord, il faut maintenir  les soins de santé réguliers et le traitement des malades, ainsi que la distribution des produits alimentaires surtout pour les Etats ayant ordonné un confinement général. À cet effet, l’Etat pourrait intervenir de manière intrusive pour fournir tous les biens essentiels en recourant à ses « pouvoirs de guerre »[4]. Il faut, ensuite, fournir les ressources nécessaires aux personnes touchées par la crise comme la réception des revenus, des allocations de chômage, etc. Il faut encore des transferts monétaires exceptionnels pour les travailleurs indépendants et pour les sans-emploi. Enfin, les Etats doivent penser à l’avenir de leurs économies. Contrairement à la crise financière de 2008 qui concerne le secteur financier, cette crise touche la société entière. C’est nécessaire de préserver la relation entre les travailleurs et les employeurs, producteurs et consommateurs pour que l’activité redémarre progressivement après l’urgence sanitaire.

Dans tous les cas, toute intervention ou restriction doit obéir au respect des droits et libertés fondamentales. Un second défi pour les Etats réside dans le redressement de la guerre. Bien évidemment, le rythme de redressement dépendra  des mesures qui ont été prises pendant la crise du covid-19. Et la reprise sera difficile notamment parce que les dettes publiques seront plus élevées. Cela va être un défi majeur pour tous les peuples qui vont supporter de nouvelles mesures pour la « reconstruction » économique et sociale. À cet égard, le chef de l’ONU a souligné la nécessité de poursuivre la mise en œuvre du Programme de Développement Durable à l’horizon 2030 et la lutte contre le changement climatique.

La Tunisie n’échappera pas à la récession économique, même si les gouvernants estiment que la situation est jusqu’à présent « sous-contrôle ». Néanmoins, dans une étude[5] sur l’impact du covid-19 sur l’économie nationale, les experts ont précisé que «  le traitement officiel de cette crise s’est limité aux aspects sanitaires et de prévention et n’a pas encore réussi à proposer une approche globale et coordonnée intégrant les dimensions sanitaire, politique, sociale et économique ».

Nous estimons que la fin de la guerre sanitaire conduira à la reconfiguration du monde. En effet, plusieurs Etats seront obligés à repenser leurs relations avec d’autres Etats, leurs adhésions dans des intégrations régionales voire dans des organisations internationales. Il faut repenser le système des nations unies et charger explicitement l’ONU des missions de coordination internationale en temps de crises pour qu’elle puisse coordonner, ordonner et le cas échéant, sanctionner. Mais pour l’heure, rien n’est clair et les surprises peuvent surgir à tout moment. Chaque Etat est occupé à affronter un ennemi commun avec ténacité et avec une modeste coordination internationale.

Notes

  1.  Consultez le décret présidentiel n°24 du 18 mars 2020 / le décret présidentiel n°28 du 22 mars 2020 et le décret gouvernemental n° 156 du 22 mars 2020.
  2. Pour en faire, le chef du Gouvernement tunisien  était habilité par l’ARP (par loi) à prendre des décrets-lois dans le domaine de la loi dont l’objectif est de confronter les répercussions de la propagation du covid-19 dans la Tunisie.
  3. Les autorités de la capitale allemande, Berlin, ont déclaré que les États-Unis avait saisi deux cent mille masques que Berlin avait acheté pour lutter contre le virus.
  4. On peut citer, à titre d’exemple, la confiscation rapide des masques médicaux en France / l’activation de la loi sur la production de défense aux Etats Unis pour assurer la production des équipements médicaux.
  5.  Cette étude est élaborée par deux experts économiques M. Hakim Ben Hamouda et Mohamed Hédi Bchir sur l’impact  et les conséquences du coronavirus sur l’économie nationale