En Tunisie, les zones humides constituent des écosystèmes particuliers sous grande pression. Ils méritent d’être connus et préservés pour qu’ils assurent leur mission de pourvoyeur d’eau pour les différentes activités humaines et les écosystèmes naturels. Ils constituent des habitats stricts pour de nombreuses espèces animales et végétales. Leur dégradation entraine la raréfaction des espèces qui leurs sont inféodées, voire leur disparition si des efforts de conservation ne sont pas consentis tant par les autorités chargées de leur gestion que par les citoyens soucieux de préserver notre patrimoine vivant.
Les zones humides sont des étendues d’eau, temporaires ou permanentes, douces ou saumâtres, et les plaines inondables qui les environnent. Elles comprennent, en Tunisie, les cours d’eau, les sebkhas et lagunes, les plans d’eau douce (barrages, lacs collinaires, prairies inondables), ainsi que les chotts. Les milieux marins côtiers où les marées basses laissent montrer une partie des fonds marins, sont aussi considérés comme zones humides, telles que définies par la Convention de Ramsar[1].
Un inventaire des zones humides tunisiennes a été réalisé en 1997[2]. Il a recensé plus de 200 zones humides dont certaines avaient déjà disparu à l’époque (urbanisation, mise en culture, colmatage, drainage…).
L’importance des zones humides vient du fait qu’elles constituent des réservoirs d’eau pour l’alimentation des nappes, la fourniture de l’eau potable et d’irrigation, ainsi que le freinage des inondations, du moins pour ce qui concerne les impacts sur les installations humaines. Elles sont également source de vie pour des populations entières (ramassage des mollusques marins par exemple, pêche et pisciculture, extraction de sel, pâturage et utilisation de la végétation en artisanat, pour le fourrage ou également pour la confection d’abris pour les animaux, etc.). La dimension culturelle liée à certaines zones humides particulières (sources thermales) est souvent omise. Pourtant, nombreux sont les sites utilisés par les populations locales à des fins relaxantes ou curatives. Ces sites particuliers méritent un inventaire, pour qu’au moins les Tunisiens arrivent à les connaître et connaître les spécificités physico-chimiques de leurs eaux.
Elles sont aussi l’habitat exclusif de certaines espèces liées à l’eau, notamment la loutre d’Europe, le buffle (population d’Ichkeul) parmi les mammifères, des poissons d’eau douce, oiseaux d’eau et de nombreuses autres espèces appartenant à d’autres groupes (Tortues d’eau douce et marines, Amphibiens, Mollusques, Annélides, Insectes…). Si les intérêts des zones humides ont surtout porté sur les espèces d’Oiseaux d’eau qui passent une partie de leur cycle de vie (espèces migratrices) ou sa totalité (espèces sédentaires) en Tunisie et à leur alimentation. En effet, certains sites en Tunisie constituent des aires d’hivernage (fréquentées en hiver) pour de nombreuses espèces d’oiseaux d’eau. Les sites les plus connus sont ceux d’Ichkeul, de sebkha Sijoumi, les îles Kneiss, les salines de Thyna…
Concernant le couvert végétal, certaines espèces sont strictement liées à la présence d’eau, permanente ou temporaire. La plus connue parmi elles est le laurier rose, parce que cet arbuste est souvent utilisé à des fins ornementales. Le long de certains cours d’eau, notamment au nord-ouest de la Tunisie, pousse une végétation caractéristique, constituée de saules, d’aulnes, de frênes et de peupliers. D’autres espèces peuvent être signalées, mais elles ont tendance à se raréfier, notamment la vigne naturelle, l’orme et le houx. Les fougères, quant à elles, sont exigeantes en humidité atmosphérique ou en eau. A cet égard, l’une des plus intéressantes et plus belle à signaler est l’osmonde royale, une fougère rare présente en Tunisie. Les dépressions inondées ou à eau lente sont souvent couvertes de roseaux et de Typha qui constituent des habitats intéressants pour de nombreuses espèces et des sites de nidification de quelques oiseaux d’eau. A ce propos, les sites de reproduction de ces espèces (identité, effectifs saisonniers….) méritent un suivi régulier afin de cerner la diversité des espèces nidificatrices et leur statut de conservation. Ceci est d’autant plus important que ces sites ne sont souvent utilisés qu’irrégulièrement, lorsqu’ils offrent des conditions favorables à la nidification de certaines espèces. En plus de cela, des espèces telles que l’érismature à tête blanche, connue pour être nidificatrice en Tunisie, a un statut de conservation préoccupant au niveau global.
Les pressions sur les zones humides sont essentiellement d’origine anthropique. Les plus menacées parmi elles sont les tourbières dont au moins trois sites sont connus : Majen Chitane (Sejnane), Dar Fatma et El Ghorra (Jendouba). Le premier site a complètement été détruit. Celui de Dar Fatma, même considéré comme réserve naturelle, a vu sa clôture enlevée et le terrain transformé en pâturage. Le risque de disparition du site est réel, et avec lequel les espèces de plantes qui lui sont spécifiques. Les informations sur les tourbières d’El Ghorra font pratiquement défaut, et on ne sait pas dans quel état elles se trouvent.
Les autres formes de pression consistent en la prédation sur l’espace, pour la construction ou l’expansion touristique. Les zones humides situées près des centres urbains sont parmi celles qui sont les plus défigurées (déchets, pollution, colmatage…). Ailleurs, c’est la pollution physique ou chimique qui prévaut, car de nombreux sites sont transformés en décharges à ciel ouvert. La détérioration de la qualité des eaux vient des rejets liquides dans les retenues ou les cours d’eau (eaux usées domestiques ou industrielles, pollution par les margines, l’extraction minière….).
Les pressions sur les ressources biologiques viennent essentiellement de la collecte d’espèces particulières. A ce niveau, nous relevons que les prélèvements excessifs des escargots terrestres ont provoqué la raréfaction de nombreuses espèces.
Le braconnage constitue une menace sur les espèces habitant les zones humides, tout comme le reste des habitats naturels des espèces chassées. Ceci concerne en particulier les espèces considérées comme rares à l’échelle globale. Le pâturage excessif ne donne pas de chance aux espèces pastorales de se reproduire naturellement, car ces plantes sont broutées en continu sans avoir la possibilité de fleurir et produire des graines pour se multiplier les années suivantes. Par conséquent, la diversité des plantes pastorales a tendance à diminuer, surtout que les pressions sont continues dans le temps et que la transhumance du bétail est une activité qui a tendance à disparaître elle aussi. Des actions continues de surveillance des parcours et de renforcement des espèces pastorales par des semis annuels pourraient atténuer la portée de ces phénomènes.
Pour préserver certaines zones humides, la Tunisie a ratifié plusieurs Conventions internationales dont celles qui ont un rapport direct avec les zones humides sont les suivantes :
- La Convention sur la Diversité Biologique,
- La Convention de Ramsar, ou Convention relative aux zones humides d’importance internationale particulièrement comme habitats des Oiseaux d’eau,
Dans le cadre de cette Convention, la Tunisie a inscrit 37 sites, ou zones humides d’importance internationale[4].
Chaque année, le 02 février, des Journées mondiales des zones humides sont organisées par les acteurs intéressés par ces espaces afin de sensibiliser le public à leurs particularités.
- L’Accord sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie (AEWA),
- La Convention de Barcelone et le Protocole concernant en particulier les aires spécialement protégées (1982). Dans le cadre de ce Protocole, la Tunisie a désigné trois sites appelés « Aires Spécialement Protégées d’Importance Méditerranéenne » : la Galite, les îles Kneiss et le parc national de Zembra et Zembretta,
- La Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage (CMS), ou Convention de Bonn,
- La Convention de Berne, relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe.
A l’échelle nationale, quelques zones humides sont considérées comme des réserves naturelles ou des parcs nationaux. Cependant, ce statut ne protège pas réellement les sites concernés, comme on l’a vu dans le cas de la tourbière de Dar Fatma.
Conclusion
Les zones humides constituent de fait un hotspot de biodiversité et assurent une source de vie et de revenus pour des populations entières, en plus de leur rôle culturel comme source de bien-être pour ceux qui les fréquentent.
Leur étendue ne cesse de diminuer au fil du temps, et certaines ne peuvent plus assurer leur mission comme réservoir d’eau notamment pendant les périodes des crues. Or les crues sont de plus en plus à craindre dans un contexte de changements climatiques, caractérisés –entre autres- par des évènements climatiques extrêmes (flush floods ou crues subites). La dégradation de la qualité des eaux des zones humides constitue également une menace réelle sur leur devenir. La pollution du barrage Sidi Salem, évoquée récemment est une des facettes de ce problème que de nombreux acteurs semblent ignorer.
Il est temps de redonner à ces sites l’attention nécessaires afin qu’ils assurent leur mission de source de vie aussi bien pour les humains que les autres êtres vivants qui leurs sont associés.
Notes
[1] Convention internationale dont l’objet est la conservation des zones humides et dont la Tunisie est signataire. Voir www.ramsar.org
[2] Hughes J. M. R., Mamouri F., Hollis T., Avis C. & Ayache F., 1997. Inventaire des zones humides tunisiennes. Direction Générale des Forêts, 355 p.
[3] Voir le site de l’UICN (www.uicn.org) pour voir les différentes catégories de menaces sur les espèces.
[4] Voir la liste complète des sites inscrits sur le site de la Convention de Ramsar.
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