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Le rapport Benjamin Stora continue de susciter de vives critiques en Algérie tant dans les milieux officiels que de la part des historiens et des organisations de la société civile représentatives des anciens combattants, des disparus ou des victimes  des exactions  de toutes sortes perpétrées par la France durant la guerre de libération. Dans un message adressé à la nation à l’occasion de la fête de la victoire, le Président algérien Abdelmadjid Tebboune a de nouveau réaffirmé sa détermination à poursuivre les efforts pour « mettre toute la lumière sur le sort des disparus durant notre guerre de libération et pour l’indemnisation des victimes des essais nucléaires ».

A noter que ce rapport a également été défavorablement accueilli en Afrique subsaharienne notamment du fait qu’il minimise implicitement la gravité des pratiques coloniales  françaises au sud du Sahara en se limitant à évoquer le passé colonial de la France en Algérie. En effet, il n’inclut aucune reconnaissance d’exactions ou crimes coloniaux français commis dans les autres pays africains et notamment en Afrique subsaharienne.

Réactions en Afrique subsaharienne au rapport Stora

Certains experts africains dont les propos ont été reproduits par l’agence de presse officielle turque Anadolu en date du 21 janvier 2021 estiment pourtant que toute la lumière devrait être faite sur les agissements de la France dans toutes ses anciennes colonies africaines soulignant qu’ils revêtent le même degré de gravité que ceux commis en Algérie. Ainsi, le philosophe camerounais, Ebenezer Njoh Mouelle rappelle que la France n’a pas respecté les engagements pris depuis 2018 de révéler toute « la vérité sur les épisodes tragiques de la guerre que la France a menée au Cameroun dans les années 1950 et 1960 où des milliers de civils ont été massacrés par l’administration coloniale française ».

Quant à l’écrivaine sénégalaise Ken Bugul, elle estime que la France doit non seulement des excuses mais également des réparations à toutes ses anciennes colonies africaines qui ont subi les mêmes «méthodes employées par les Français pendant la guerre d’Algérie».

De son côté, la présidente exécutive du Redhac (Réseau pour le droit de l’homme en Afrique Centrale), Maximilienne Ngo estime que la proposition du rapport Stora -relative à la création d’une commission commune franco algérienne «Mémoire et vérité» – devrait être étendue à toutes ses anciennes colonies françaises. Pour le sociologue congolais (RDC) Emile Bongeli Yeikelo, le recours systématique à la torture durant les conflits coloniaux a engendré de graves séquelles qui requièrent des «réparations financières, psychologiques, sociales, économiques et politiques» ainsi qu’une évaluation du nombre de morts et de victimes.

Toutefois, il importe de signaler l’absence de réaction en Afrique à la recommandation du rapport Stora proposant d’inclure dans la législation française un hommage officiel «au souvenir et à l’œuvre» des colons français d’Afrique du Nord. Pourtant, la persistance de cette tendance apologiste de la colonisation au sein des milieux politiques et universitaires devrait nous interpeller d’autant plus qu’elle n’est pas sans lien avec la montée de l’islamophobie et du racisme anti arabe et musulman en France et en Europe. A rappeler que la présidence française ainsi que le rapport Stora avaient exclu toute idée de «repentance» tout en promettant des «gestes symboliques pour réconcilier les mémoires».

Ainsi, force est de constater, le grand décalage entre les attentes des victimes de la colonisation française en Afrique telles qu’exprimées par la société civile et les intellectuels africains, et la position officielle française ainsi que celle des dirigeants africains qui, pour la plupart, n’osent pas soulever ce dossier conflictuel avec la France ni exprimer leur solidarité avec l’Algérie.

Il en est de même de leur attitude à l’égard de la vague grandissante de contestation également suscitée par la politique post coloniale de la France en Afrique subsaharienne. A ce propos, il est significatif qu’en dehors de certains sites spécialisés ou organes de presse engagés, les médias français observent un mutisme quasi-total sur ce mouvement d’opinion contestataire perceptible surtout auprès des nouvelles générations de jeunes africains subsahariens. Il puise sa force dans un profond sentiment d’amertume et de frustration consécutif aux effets dévastateurs d’une politique française d’exploitation de l’Afrique officieusement  considérée comme une juste compensation des «sacrifices» consentis par la France pour son œuvre «civilisatrice» durant la colonisation.

Certes, la France n’a pas pu préserver son statut de partenaire privilégié acquis dans les pays francophones ou elle est confrontée à une rude concurrence notamment de la part de la Chine voire de la Turquie ainsi que d’autres puissances émergentes. Mais c’est la France qui est la plus critiquée pour de multiples raisons et notamment son refus persistant de criminaliser la colonisation ainsi que le maintien en vigueur de la zone franc et du franc CFA.

A l’opposé, la politique post coloniale de la France en Tunisie et en Afrique du Nord – qui est tout aussi critiquable car basée sur les mêmes principes fondateurs – demeure largement méconnue ou sciemment ignorée en Tunisie et en France tant par les milieux officiels que par les médias toutes tendances confondues.

Contestation croissante de la présence française en Afrique

Dans un article paru dans le numéro de Mars 2020 du Monde diplomatique sous le titre «Présence française en Afrique, le ras- le-bol», Fanny Pigeaud revient sur l’ampleur croissante du phénomène de rejet de la présence française en Afrique subsaharienne en réaction à la politique imposée, depuis l’indépendance par la France à ses anciennes colonies laquelle présente de nombreuses similitudes avec la politique adoptée à l’égard de la Tunisie. Mais les responsables français, bien que préoccupés par l’extension de cette contestation, ne sont pas disposés à reconsidérer leur attitude ni à changer de cap car, il s’agit en fait d’une option stratégique prise au lendemain des indépendances.

Dans son ouvrage paru en 2015 «Le choc des décolonisations, de la guerre d’Algérie aux printemps arabes», Pierre Vermeren, professeur d’histoire contemporaine et spécialiste de la décolonisation, explique que la France, sortie ruinée et affaiblie de la seconde guerre mondiale, avait besoin de conserver le contrôle des richesses et des ressources de son empire colonial pour pouvoir se reconstruire.

L’ex-président Jacques Chirac avai tréclamé en2008 la reconsidération de ce système en rappelant que les revenus de la France provenaient en partie depuis des siècles de «l’exploitation de l’Afrique». Toutefois, cette position demeure isolée au sein de l’élite politique française largement acquise à l’idée du rôle bienfaiteur et «civilisateur» de la colonisation.

Les principaux griefs adressés à la France en Afrique subsaharienne se rapportent à l’imposition d’une sorte d’impôt «colonial» à quatorze pays d’Afrique de l’Est et de l’Ouest. Ceux-ci étant contraints de déposer annuellement près de 500 milliards de franc CFA soit 80% de leurs réserves de change au profit du trésor français sans pouvoir en disposer librement et sans être informés de la destination des profits générés par ces placements. A cela s’ajoute l’ingérence française dans la vie politique et économique des pays africains ainsi que l’exploitation jugée inéquitable par les multinationales françaises et étrangères des richesses minières et naturelles de l’Afrique. Sans compter la présence militaire française en Afrique qui est souvent employée pour soutenir ou protéger des dirigeants alliés.

L’écrivain Boubacar Boris Diop abonde dans le même sens dans son article paru dans le numéro de juillet 2020 du Monde diplomatique sous le titre «Après la pandémie, le réveil de l’Afrique». Il y révèle que la contestation de la politique et de la présence française gagne en virulence et ne se limite plus aux milieux intellectuels atteignant toutes les couches de la société ainsi que le monde de la culture voire les hautes sphères du pouvoir.

En outre, la gestion calamiteuse par les occidentaux de la crise du Covid-19 ainsi que l’absence de solidarité internationale dans la lutte contre la pandémie a fait perdre à l’Europe et aux USA leur «autorité morale». Elle a également réveillé en Afrique «le sentiment d’un destin commun et une certaine combativité» notamment au sein des nouvelles générations qui tendent à renouer avec les idéaux de l’indépendance et de la souveraineté.

Pour une vision d’avenir arabo-africaine sur la Méditerranée et les relations Nord-Sud

Depuis les indépendances, le système Françafrique est associé à la politique européenne et occidentale d’insertion des pays subsahariens et sud méditerranéens dans la globalisation économique injuste et inégale à travers les accords «d’association» bilatéraux ou multilatéraux. Le bilan négatif de ces accords et leur impact désastreux sur l’Afrique explique en grande partie la désaffection et le ressentiment éprouvé en Afrique et dans le monde arabe à l’égard de la France et de ses alliés occidentaux.

Il sera abordé dans la prochaine partie de cette étude laquelle sera consacrée à la stratégie commune déployée par les pays du Nord à l’égard du Sud arabo africain qui ne prend en considération que les intérêts occidentaux. Celle-ci requiert une prise de conscience Afro-rabe de la nécessité d’unir leurs efforts  pour contrer ces dangers car aucun de nos pays ne pourra résister seul à un rapport de force aussi défaillant adossé à des politiques dominatrices déconnectées du droit international et dépourvues de toute considération éthique ou morale.

S’agissant des relations tuniso-européenne, l’Union européenne vient de présenter un nouvel «agenda» présenté comme étant porteur d’une nouvelle vision des relations avec les pays du Maghreb et entre les deux rives de la Méditerranée. Mais sur le fond, cette initiative n’apporte rien de nouveau se situant en totale continuité avec la stratégie d’extension indéfinie du commerce inégal associé au surendettement et à l’investissement toxique véhiculé par l’ALECA qui, pour l’essentiel a déjà été intégré à la législation tunisienne, sous couvert de «réformes» dictées  par le Fonds monétaire international.

C’est pourquoi, la Tunisie et les pays de la rive Sud devraient à mon sens se concerter et réfléchir, en coordination avec la Ligue arabe, l’Union africaine et nos partenaires africains, sur l’opportunité de développer une vision commune de l’avenir des relations Nord Sud non réduite à la dimension économique et commerciale. Et celle-ci devrait tenir compte des enseignements du passé colonial ainsi que de la politique coordonnée des pays occidentaux, du G7 et de l’Union européenne à l’égard de l’Afrique, du Maghreb et du Monde Arabe.