C’est ce que laisse croire la déclaration d’Amen Allah Messadi, membre du comité scientifique chargé de la lutte anti-Covid-19, à Nawaat. Mis en place dans beaucoup de pays, ce dispositif sera numérique ou en papier. « Il servira à certifier que la personne concernée a été vaccinée contre le Covid-19 », a fait savoir Dr Messadi. Ce pass permettra aux seules personnes vaccinées d’avoir accès à certains services. « Pour le moment les modalités de sa mise en place n’ont pas été établies. Ceci n’est pas du ressort du comité scientifique. Il sera mis en œuvre au niveau des ministères mais nous nous acheminons vers son déploiement prochainement », a-t-il indiqué.
« Obligation indirecte »
Sur une population de plus de 11 millions d’habitants, au moins 2 millions 500 mille Tunisiens ont achevé leur processus de vaccination. « Il y a un petit nombre qui n’a pas été enregistré dans la base de données, notamment parmi ceux ayant reçu leur première dose, et ce à cause des procédés manuels utilisés », admet le membre du comité scientifique. D’après lui, ces défaillances ne sont pas susceptibles de les induire en erreur sur le nombre réel de personnes vaccinées et de biaiser par ricochet le processus de mise en place du pass vaccinal. « Ces dysfonctionnements sont en train d’être rattrapés. L’essentiel est qu’on puisse vacciner le plus grand nombre. Les paperasses qui en découlent sont secondaires et récupérables », assure Dr Messadi. Et de poursuivre : « De toute façon, le pass sanitaire concernera d’abord les personnes âgées de 40 ans et plus. Cette population a eu largement l’occasion de se faire vacciner, lors des différentes journées portes ouvertes notamment», poursuit-il.
Critiqué dans certains pays, le pass vaccinal est perçu comme une forme de restriction des libertés instaurant une inégalité à l’accès aux espaces publics. Les personnes non-vaccinées seront ainsi dépouillées de certains droits. « On reconnait que le pass vaccinal pourrait compliquer la vie à certaines personnes réticentes à la vaccination mais le but est de les pousser à se faire vacciner puisqu’elles auront intérêt à le faire», explique Dr Messadi. Une telle manœuvre est-elle une manière détournée de rendre le vaccin obligatoire ? « Nous ne sommes pas au stade de l’instauration d’une obligation vaccinale, même si une telle mesure peut être considérée comme une obligation indirecte. Nous suivons la politique des étapes », souligne-t-il. Et de préciser : « Notre but est avant tout de protéger la communauté nationale. Et l’intérêt public passe par la vaccination surtout que les personnes de plus de 40 ans qui seront concernées par ce pass sont les plus exposées aux formes graves du Covid-19 ».
Vers des « citoyens dressés » ?
Cette politique des étapes réduit la visibilité sur le bien-fondé des initiatives sanitaires, rétorque le sociologue Mounir Saidani à Nawaat. « La gestion de la crise est sujette à des changements perpétuels et parfois très rapides. Les observateurs ont du mal à suivre ce qui se trame. Nous sommes mal informés pour pouvoir comprendre les enjeux derrière des mesures comme le pass vaccinal », explique-t-il. Pour le sociologue, l’opinion publique ne dispose pas d’informations débattues et scientifiquement établies pour juger de la légitimité d’une telle mesure. Dans ce cadre, des observateurs soutiennent que le pass sanitaire instauré dans certains pays, ne protège pas contre le Covid-19. La contagion reste possible en cas du non-respect des mesures barrières. Pour certains médecins, cette mesure dont l’efficacité n’a pas été démontrée, est purement « liberticide ». Le représentant du comité scientifique admet le caractère faillible du pass vaccinal : « Il est vrai qu’il ne prémunit pas de la contamination au Covid-19 mais le vaccin limite les formes graves de la maladie. Et l’objectif à travers ce pass est d’inciter les gens à la vaccination afin d’éviter des cas de décès et une saturation des hôpitaux comme c’était le cas récemment ».
La prolongation de cette mesure exceptionnelle reste également tributaire de l’évolution de la situation sanitaire. Dans ce cadre, Saidani rappelle que le comité éthique du collège Pasteur fixe les modalités de la mise en œuvre des mesures exceptionnelles. « Celles-ci doivent être limitées dans le temps et ne concerner que la catégorie de la population ciblée. Leur révision doit être soumise à un dialogue social. Toutes ces conditions ne sont pas explicitées et codifiées d’où l’absence d’un débat public en la matière », constate-t-il. Alors que dans certains pays, on parle désormais de « dictature sanitaire », le sociologue met en garde contre « des dérives » et des « politiques autoritaires et préjudiciables » :
« Les politiques mises en œuvres sont cantonnées dans le domaine strictement scientifique. La réflexion sur la légitimité des mesures à prendre ne doit cependant pas être l’exclusivité des scientifiques. Les anthropologues, philosophes, peuvent également y contribuer. Depuis le début de la pandémie, on note l’absence d’un débat public à large échelle et ceci est voulu ».
Selon Mounir Saidani, il est nécessaire que les citoyens puissent être éclairés sur tous les aspects des mesures sanitaires. Autrement, il évoque la situation de citoyens « dressés », ayant intériorisés le renoncement à certains droits au nom des restrictions sanitaires ou à des citoyens qui ne respectent pas finalement les mesures prises et les contournent.
Le projet de la mise en place d’un pass vaccinal en Tunisie intervient alors que la situation sanitaire s’est stabilisée mais reste néanmoins préoccupante. Quotidiennement, une moyenne dépassant mille cas de contamination est enregistrée dans le pays et on déplore une dizaine de décès. La vaccination s’accélère dans un contexte mondial faisant planer la menace d’un nouveau variant, dénommé «Mu».
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