«Le président Kais Saïed a déclaré que la politique fiscale doit être fondée sur la justice, mais le choix qu’il a fait consacre une politique fiscale fondée sur l’injustice», déclare Amine Bouzaiene, chef du projet Marsad Budget à Al Bawsala. Sa réaction est venue peu de temps après la conférence de presse tenue mardi 28 décembre, durant laquelle la ministre des Finances Boughdiri Nemsia a présenté la loi de finances 2022.
Les dirigeants d’Al Bawsala et du Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux (FTDES), son partenaire dans la campagne «Yezi Ma Rhantouna» (Basta, Vous Nous avez suffisamment hypothéqués) contre la poursuite du recours à l’endettement, ne se faisaient guère d’illusion sur la volonté et la capacité du gouvernement Bouden, à changer la donne radicalement en matière de fiscalité.
Comme l’indique l’intitulé de l’exposé de la ministre des Finances –«Stabiliser les finances publiques en vue d’une relance économique»-, l’Etat s’est principalement attelé, à travers la loi de finances 2022, à résoudre, au moins en partie, ses propres problèmes budgétaires, et à continuer à bichonner les entreprises. D’ailleurs, l’écrasante majorité des mesures qui y figurent concernent ces deux acteurs économiques.
Certes, en apparence, les couches défavorisées n’ont pas été oubliées. En effet, la nouvelle loi de finances leur réserve, comme les précédentes, quelques dispositions de nature peut être à leur éviter la déchéance totale mais guère de les sortir de la pauvreté. Celles-ci se comptent sur les doigts d’une main (voir encadré).
Sur les cinq mesures destinées aux familles pauvres, trois seulement sont chiffrées avec précision. Il s’agit, d’abord, d’une aide mensuelle revue légèrement à la hausse et étendue. De 180 dinars, elle va passer à 200 et le nombre des bénéficiaires augmentera de 190 à 310 mille familles.
Les familles à revenu faible ou moyen -120.000 au total- percevront une aide de 30 dinars par mois pour chaque enfant de moins de 6 ans. De même, les élèves ayant réussi au baccalauréat de familles modestes -36 mille au total- continueront à recevoir une aide dite d’intégration de 500 dinars.
Les deux autres dispositions sont en réalité de simples promesses, celles de «maintenir aides et transferts accordés à l’occasion des rentrées scolaire et universitaire », d’«accélérer le programme des logements sociaux » et, surtout, de «ne pas toucher aux salaires et subventions ».
Mais point de révolution fiscale en 2022, ni, peut être même à l’horizon. Deux exemples l’illustrent qui démontrent encore une fois que l’Etat continue à cibler –fiscalement- les plus faibles et ménager, voire protéger, les puissants.
Ainsi, les opérateurs du marché parallèle, issus pour la majorité d’entre eux, de la frange marginalisée de la population, sont invités à intégrer le circuit de l’économie officielle moyennant le paiement d’une taxe libératoire de 10% que les banques à qui ils confieront l’argent qu’ils ont amassé se chargeront de transférer à l’Etat.
Par contre, les opérateurs des professions libérales –dont en particulier les médecins, les pharmaciens, etc.- peuvent continuer à dormir sur leurs deux oreilles puisque la loi de finances 2022 les a –presque- totalement oubliés. Et quand un journaliste fait la remarque à Boughdiri Nemsia et lui demande «pourquoi le taux d’imposition de ces professions n’a pas été revu à la hausse ?», la ministre des Finances botte en touche. «Lorsqu’ils ne font pas partie du régime réel, ces professionnels doivent payer une amende si le commerçant auprès duquel ils s’approvisionnent ne leur applique pas un prélèvement de 1%», telle est sa réponse. Une mesure très « révolutionnaire ».
Alors qu’il paraissait déterminé à provoquer une révolution fiscale si minime soit-elle pour aller vers plus de justice dans ce domaine, le président Saïed s’est finalement résolu à avaler la couleuvre qu’est la loi de finances 2022. En expliquant mardi 28 décembre 2021, en présence de la cheffe du gouvernement Najla Bouden, qu’il l’avait «signé en dépit de ses lacunes et de ses choix non convaincants» et que «le temps n’était pas suffisant pour réaliser les objectifs du peuple en matière de justice fiscale».
De ce fait, la Tunisie va rester, en l’absence de changement profond dans ce domaine, comme l’un des pays d’Afrique les plus injustes en matière fiscale, comme les chiffres le démontrent. En effet, d’après l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), les personnes physiques en Tunisie contribuent aux recettes fiscales à hauteur de 22% contre seulement 10% pour les entreprises. Alors que dans 30 pays africains c’est exactement l’inverse (18% contre 19%).
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