Un lettre ouverte, une pétition et un tract : ce sont là les trois armes de persuasion massive dont se sont dotés le Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES) et Al Bawsala pour lancer leur nouvelle -et énième- bataille contre un mal qui ronge la Tunisie depuis années et qui s’est singulièrement aggravé depuis 2011 : l’endettement. Les deux organisations ont annoncé, mardi 13 décembre 2021, le démarrage de cette campagne sous le slogan «Yezzi marhentouna» (Basta, vous nous avez suffisamment hypothéqués). Elle a deux finalités.

9500d de dette pour chaque citoyen

D’abord, rappeler encore et toujours les conséquences néfastes de l’endettement tous azimuts. «Emprunter est tout à fait naturel, mais chaque prêt doit faire l’objet d’une étude de faisabilité pour déterminer son degré d’utilité et si le service de la dette est en mesure de le rembourser», observe l’économiste et chef d’entreprise Jamel Aouididi. «Cela n’a pas été fait au cours des dix dernières années», constate-t-il. Conséquence : la part de la dette de chaque citoyen s’élève à 9500 dinars, indique le tract distribué quelques jours avant l’annonce du début de la campagne anti-endettement. Ensuite, «expliquer au peuple tunisien ce que signifie les discussions avec le Fonds Monétaire International (FMI) et quels sont les programmes envisagés», indique Salma Jrad, directrice exécutive d’Al Bawsala.

«Nous ne voulons pas de négociations avec le FMI dans des chambres closes», revendique Amine Bouzaiene, chef du projet Marsad Budget à Al Bawsala. Aussi, les deux partenaires demandent que soit dévoilé le contenu du programme de réformes et qu’il soit soumis «à un débat afin que les Tunisiens puissent se prononcer à son sujet», souligne Jrad. Mais ce n’est pas là la seule ni la plus importante requête que le FTDES et Al Bawsala adressent aux autorités, le président Kais Saied en tête.

Pour une rupture avec le modèle de développement actuel

Révolutionner la fiscalité et rationaliser les importations
En attendant que ce véritable serpent de mer qu’est le nouveau modèle de développement -dont tous les gouvernements depuis 2011 ont parlé sans le concrétiser- voit le jour, Amine Bouzaiene, chef du projet Marsad Budget d’Al Bawsala recommande de révolutionner la fiscalité. Pour ce faire, il pense nécessaire de «mettre à contribution ceux qui ont de l’argent», personnes physiques et entreprises.
Pour les premières, M. Budget d’Al Bawsala propose l’instauration d’un impôt sur la fortune et plus généralement d’augmenter le taux d’imposition pour les catégories de la population les plus aisées, tout en le baissant pour les franges les plus modestes.
Les secondes, les entreprises, le représentant d’Al Bawsala voudrait, primo, les soumettre à un taux d’imposition de 25%, au lieu de 15% actuellement. Secundo, il croit également nécessaire de combattre l’évasion fiscale estimée à 25 milliards de dinars et 24% du produit intérieur brut. Pour cela, il suggère de recruter des milliers de contrôleurs fiscaux -qui ne sont actuellement que 1646- afin que «l’Etat soit dans une approche sérieuse» de ce fléau.
Tertio, Amine Bouzaiene appelle à revoir le régime des avantages fiscaux «pour ne garder que ceux ayant un bénéfice économique». D’autant que ces «cadeaux» coûtent à la communauté nationale la bagatelle de 4,7 milliards de dinars.

Dans la lettre ouverte adressée au chef de l’Etat en date du 14 décembre, ils réclament «une nouvelle approche des politiques d’endettement». Car «l’endettement extérieur conditionné, notamment de la part des institutions financières mondiales, FMI en tête, entrave l’adoption d’un véritable programme de réformes consacrant la justice sociale entre les régions et les citoyens et citoyennes». En outre, les deux organisations estiment que «le moment est venu de construire une vision stratégique globale et complémentaire pour rompre avec le modèle de développement actuel basé sur l’égoïsme sociétal, et adopter des politiques alternatives qui consacrent la souveraineté du peuple, et les valeurs de solidarité et de coopération, à travers l’élaboration de politiques fiscales justes (voir encadré), l’adoption d’une fiscalité ascendante, et le renforcement des ressources matérielles et humaines de l’administration fiscale».

«Nous voulons rappeler au président que le changement ne peut pas être seulement formel, c’est-à-dire politique. Il doit englober les dimensions économique et sociale», justifie Bouzaiene. «La souveraineté du peuple dont il parle exige de faire émerger un modèle de développement alternatif», insiste-t-il.