La Tunisie est disposée à renforcer sa coopération avec les pays membres « pour assurer un développement réel et durable aux pays africains et garantir la prospérité et la paix sociale aux peuples du continent », a déclaré le président de la République, Kais Saied le 23 novembre 2021 à l’ouverture du 21e Sommet des chefs d’État et de gouvernements du Marché Commun d’Afrique Orientale et Australe (Comesa). Le chef de l’Etat, qui s’exprimait à distance, a souligné : «la Tunisie est prédisposée à concevoir, avec le reste des pays africains, de nouvelles approches de coopération et à développer les échanges commerciaux et économiques interafricains, ainsi qu’à créer de nouvelles formules d’investissement ».
Et on ne compte plus les déclarations des responsables tunisiens encensant l’adhésion de notre pays au plus grand bloc commercial africain. Avec son marché commun regroupant 21 États membres, pour une population de plus de 583 millions d’habitants, un produit intérieur brut de 805 milliards de dollars, le Comesa paraissait plutôt prometteur.
Effets d’annonce et faux espoirs
«L’accord ouvrira de grands marchés aux exportations tunisiennes et accroîtra leur compétitivité, en réduisant fortement les barrières douanières», avait déclaré Youssef Chahed en juillet 2018, à l’époque chef du gouvernement. A l’annonce de la ratification tunisienne de l’accord d’adhésion au Comesa, le 19 juillet 2018, Chahed avait souligné sur son compte Facebook, que l’initiative allait «attirer une partie des investissements destinés à cette zone économique vers la Tunisie, ce qui constituera un bon moyen d’accélérer la croissance de l’économie tunisienne».
Or trois ans et demi plus tard, l’adhésion au Comesa s’est révélée bien en deçà des espérances tunisiennes. En effet, les retombées des deux premières années d’application de cet accord ne se sont pas révélées tout à fait à la hauteur des espoirs des Tunisiens.
Officiellement, le bilan est positif. C’est ainsi qu’on le voit au ministère des Affaires étrangères. Après avoir rappelé que «la Tunisie a commencé, le 1er Janvier 2020, à appliquer les termes de l’accord, selon lesquels tous les biens, industriels et agricoles, les produits de la pêche et de l’artisanat, fournis par les États membres du COMESA, sont totalement exemptés des droits de douane et d’autres droits et taxes d’effet similaire, sur la base de la règle de réciprocité», Jalel Snoussi, directeur général pour l’Afrique et les Organisations Régionales Africaines, affirme que «depuis l’adhésion de la Tunisie, les échanges avec les pays du COMESA ont considérablement évolué». Mais le M. Afrique de la Tunisie n’oublie pas de souligner que les échanges commerciaux avec ce marché ont «coïncidé avec le déclenchement de la pandémie Covid-19, ce qui a affecté la taille et la structure des échanges extérieurs de la Tunisie avec tous les pays du monde sans exception, y compris la région COMESA».
Bilan mitigé
Ce point de vue n’est pas partagé par le patron d’un fonds d’investissement, lui aussi tunisien, comptant parmi les leaders de son secteur en Afrique. A la question de savoir si la Tunisie est «en train de tirer profit de l’opportunité que lui offre» son adhésion au COMESA, cet investisseur répond «pas suffisamment ». Une perception confirmée par les faits.
Maher Ben Aissa, vice-président de la Chambre Nationale Syndicale des Sociétés de Commerce International, rentré fin décembre 2021 de sa quatrième mission en deux ans dans la zone COMESA dresse un bilan mitigé des deux premières années d’application de l’accord d’adhésion de la Tunisie à ce marché.
Sur les quatre pays ciblés à ce jour par les entreprises tunisiennes –Ethiopie, République Démocratique du Congo (RDC), Ouganda, Kenya et Madagascar-, seuls les deux derniers s’avèrent selon lui prometteurs. Avec le Kenya, les échanges ont déjà totalisé 55 millions de dinars, faisant de ce pays le 7ème partenaire commercial de la Tunisie en Afrique subsaharienne.
En particulier, dix marques d’huile d’olive ont pu percer sur le marché kenyan grâce à la baisse des droits de douanes. D’autres produits, comme la margarine et les biscuits, sont en passe d’y réussir. «Malgré la concurrence des produits égyptiens qui ont un avantage logistique et profitent de l’appartenance plus ancienne de l’Egypte au Comesa», souligne Maher Ben Aissa. Avec Madagascar, les échanges ont totalisé 30 millions de dinars.
Par contre, avec d’autres membres de cet ensemble, le compteur est à zéro ou presque. C’est le cas par exemple avec l’Erythrée, l’Ethiopie, l’Ouganda, l’Eswatini (ex-Swaziland) et la RDC. Motif du blocage ? Tout bonnement, ces pays, à la différence du Kenya et de Madagascar, «n’appliquent pas, sinon de manière sélective» l’accord par lequel la Tunisie est devenue membre du Comesa, révèle Ben Aissa. Ainsi, la RDC se déclare «pas encore prête, en Ethiopie la baisse des taxes douanières n’est que de 10% et l’Ouganda ne l’applique qu’à quelques produits».
En plus de l’attitude de ces pays et de ce qui semble être un manque d’intérêt d’une partie des entreprises -sur les 650 entreprises bénéficiaires du programme PEMA, seules 110 ont pu conclure au moins une nouvelle relation d’affaire contractuelle avec un partenaire dans le marché africain, indique la GIZ. Un autre facteur entrave un développement plus conséquent des échanges commerciaux avec le Comesa : la faiblesse du réseau d’ambassades de Tunisie dans cette zone.
Faiblesse diplomatique
La Tunisie n’est représentée que dans 6 sur les 20 pays membres du COMESA (RDC, Egypte, Ethiopie, Kenya, Libye, Soudan). «Au niveau du Ministère des Affaires Etrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’Etranger, la volonté d’étoffer son réseau diplomatique en Afrique, entre autres, est bien réelle, notamment dans les pays africains abritant le siège d’une Communauté Economique Régionale, comme la Zambie où siège le Secrétariat Général du COMESA», assure le directeur pour l’Afrique et les Organisations Régionales Africaines. «Toutefois, compte tenu de l’état actuel des finances publiques et des contraintes que connait le budget de l’Etat, l’ouverture d’autres missions diplomatiques, surtout en Afrique, reste un objectif stratégique mais dont la concrétisation est reportée en attendant que la situation soit débloquée au niveau budgétaire. Ce n’est -donc- que partie remise», assure Jalel Snoussi.
En attendant, Maher Ben Aissa propose de copier ce que font d’autres pays, comme la France et l’Egypte, pour développer leurs échanges commerciaux avec l’Afrique subsaharienne. «Au lieu d’avoir des représentants permanents Business France (2) traite avec des agents pigistes. Nous pouvons en faire de même avec les nombreux Tunisiens installés dans les pays du Comesa», note notre interlocuteur. Ensuite, pour le vice-président de la Chambre Nationale Syndicale des Sociétés de Commerce International, il faudrait à l’instar de l’Egypte organiser une foire semestrielle des produits tunisiens.
Mais toutes ces mesures n’auraient pas l’impact souhaité, prévient-il, si les opérateurs tunisiens ne se contentent pas de chercher à exporter et ne font pas d’efforts pour importer aussi des pays du Comesa, afin d’éviter un trop grand et durable déséquilibre du commerce en faveur de la Tunisie. Un Tunisien vient d’exaucer ce vœu en important du café du Kenya pour 15 millions de dinars.
Côté coût, il faudra aussi comptabiliser les frais annuels d’adhésion à l’organisation qui sont au prorata de la taille de la population et du niveau du PIB/habitant… A ce niveau, la Tunisie est totalement perdante vu la pondération de son PIB/ha comparée aux faibles flux de commerce tirés de cette affaire. de plus, aucune des institutions phares de ce groupement n’a siège en Tunisie.
L’adhésion de la Tunisie au COMESA anglophone est un forcing contre-nature, ni langue commune; ni habitudes communes, ni même une logistique valable pour y accéder? à quoi bon chercher des gerbilles aux fin-fond du monde alors qu’on a un mammouth (marché UE) devant les yeux mais qu’on arrive pas en tirer pleinement profit?!