Les étudiants en médecine tunisiens ont été désagréablement surpris par un communiqué co-publié par le ministère de l’Enseignement supérieur et le ministère de Santé au crépuscule du 30 septembre. Le communiqué destiné aux étudiants tunisiens en Ukraine en médecine, médecine dentaire et pharmacie, annonçait l’acceptation de ces derniers, “dans la limite des capacités disponibles”, dans les stages pratiques dans les hôpitaux publics.
Ce communiqué a suscité des réserves fermes, voire des contestations, de la part de la quasi-majorité des étudiants en médecine tunisiens qui ont refusé cette intégration. La principale raison était la crainte d’avoir assisté au coup d’envoi de la course vers la privatisation progressive de la médecine en Tunisie. Chose non omise par un des étudiants tunisiens en Ukraine.
Ces contestations ont recueilli leurs premiers fruits le 11 octobre par le biais d’une décision, hautement félicitée, prise par le conseil scientifique de la Faculté de Médecine de Monastir qui atteste son opposition à la décision des ministères.
Au-delà de la pensée binaire gagnant-perdant, cette réticence des jeunes médecins tunisiens tire son origine de la lésion infligée à un principe auquel ils ont consenti implicitement. Une sorte de contrat verbal entre jeunes médecins et l’Etat que ce dernier a décidé, par le biais de ce communiqué, de rompre. Ce principe révéré est la méritocratie scolaire.
Facultés de médecine étatiques : un modèle de justice à l’épreuve du marché ?
Nulle filière universitaire en Tunisie n’a pu échapper à la vague de libéralisation, à l’exception des filières médicales. Cet envahissement du marché du savoir nuit à la place historique de l’école en Tunisie en tant que colonne vertébrale de la mobilité sociale. Les études médicales au sein des établissements étatiques demeurent le fort qui préserve une certaine équité entre les citoyens du pays, et ô-combien nombreux sont les jeunes médecins venant des classes ‘populaires’. Cette particularité de l’enseignement médical étatique constitue une sorte de reconnaissance à l’effort scolaire fourni des années durant.
La médecine en Tunisie est devenue une hérésie face à un catalogue de facultés qui font la queuedans les émissions médiatique au prime time. Elle, nonobstant les obstacles innombrables à son développement, parvient chaque année à enfanter des centaines de médecins dont les connaissances sont reconnues à l’échelle mondiale. La liste des admis aux épreuves de vérification des compétences (EVC), communément connu par le concours d’équivalence en France, en apporte la démonstration éclatante.
A qui profite cette résistance des jeunes médecins ?
Aux jeunes médecins eux-mêmes, pensent certaines personnes. Mais n’ont-ils pas songé au fait que les étudiants en médecine ont déjà capitalisé sur le titre de ‘médecin’. Bien que toujours en germination, ce titre est factuellement inévitable. Ils n’ont rien à craindre là-dessus. Par conséquent, cette contestation n’est pas motivée par un désir de conforter une position qui pourrait être un jour inatteignable.
Nous avons cité ci-dessus la qualité incontestable de la formation de la médecine en Tunisie. Ces mêmes jeunes médecins, dûment formés, exercent, par la force de la loi, toutes leurs années de formation, à savoir un minimum de 9 ans, dans les hôpitaux publics où consultent les citoyens, surtout les démunis, incapables de payer les frais exorbitants des cliniques.
En somme, la préservation du schéma actuel de l’enseignement universitaire médical en Tunisie -c’est-à-dire l’exclusivité de l’Etat dans son organisation et son évaluation- profite, en premier lieu, aux jeunes lycéens brillants qui s’efforcent inlassablement de collecter les meilleures notes, en second lieu, aux hôpitaux publics qui souffrent malgré tout d’un manque énorme de personnel médical et finalement aux citoyens qui bénéficient d’une prise en charge de qualité avec des frais sinon nuls, du moins dérisoires.
Après toute la polémique suscitée par le communiqué, et la fracture engendrée entre ceux qui sont favorables et ceux qui refusent catégoriquement ne cesse d’augmenter.
Au sein de ce brouillard, c’est tellement aisé de se précipiter à accuser les jeunes médecins de corporatisme et d’inhumanité. Quant à eux, leur boussole vise ailleurs. C’est la lésion de plus en plus étendue au principe de la méritocratie scolaire -dont les jeunes médecins sont les mieux placés pour comprendre sa vraie signification – qui gratte leur volonté.
L’intention de privatiser les études médicales en Tunisie n’échappe à personne. La tentation est à son apogée et plusieurs personnalités publiques ne se privent plus de le déclarer publiquement. La guerre en Ukraine a donné du grain à moudre aux grands capitaux pour placer de nouveaux actifs dans de nouveaux projets rentables. Cette normalisation avec l’injustice, sous le large parapluie de l’humanisme, est juste inacceptable et peut induire des contestations plus larges.
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