La Tunisie accueillera le 19 et 20 novembre le 18ème Sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Deuxième langue dans le pays, le français compte 6 millions 321 mille locuteurs en Tunisie, selon l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Pourtant, la maîtrise de cette langue fait défaut. Les fautes flagrantes en français par des personnes censées le maitriser font souvent jaser les internautes tunisiens. Au-delà des couacs linguistiques médiatisés, le français est fréquemment utilisé, glissé entre des mots en dialecte. Cette langue est cependant malmenée, malgré le fait qu’elle est enseignée dès l’école primaire.

Ce déclin de la maîtrise de la langue française se mesure aux résultats des élèves, constate Christophe Clanché, attaché de la coopération éducative à l’Institut français en Tunisie (IFT), interviewé par Nawaat.

Selon les données du ministère de l’Education tunisien, le niveau de lecture en français des élèves en 5ème année primaire est très faible. Il est toutefois meilleur dans les zones urbaines et les établissements scolaires privés,

fait-il savoir.

Les résultats des bacheliers sont également révélateurs de ce déclin. « Le taux de ceux qui obtiennent la moyenne en français au baccalauréat est de moins de 40% », ajoute-t-il.

 

Mobilisation française

 

La maitrise de la langue est tributaire de la qualité de l’enseignement. Or en Tunisie, les élèves orientés vers la section Lettres ne sont pas forcément bons en français. Sous l’égide du ministère tunisien de l’Education, les autorités françaises tentent d’y remédier en formant des enseignants et des inspecteurs.

L’idée est aussi d’adapter l’enseignement du français à l’air du temps. Les jeunes sont happés par le numérique. Il faut donc suivre cette tendance,

explique Christophe Clanché.

Dans ce cadre, un programme intitulé Yallab’ a été lancé en 2019. Ce projet cible les entrepreneurs du numérique proposant des applications innovantes dans le domaine de l’apprentissage du français. L’encouragement de l’usage de la langue française passe également par la coopération avec la société civile pour la mise en place de médiathèques scolaires francophones dans différentes régions, indique l’attaché de la coopération éducative à l’IFT.

Conscient du recul de la langue française, le chef d’Etat français, Emmanuel Macron, a exprimé sa volonté de « redonner à la langue française sa place et son rôle dans le monde ». Une stratégie a été mise en place pour le renforcement de la langue française et le plurilinguisme.

L’un des objectifs du président Macron est d’accroitre le nombre d’élèves inscrits dans les établissements du réseau scolaire français en Tunisie. En Tunisie, cet objectif a été atteint. Depuis 2018, on est passé de de 3 établissements privés tunisiens homologués, partenaires de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) à 14. Trois autres sont en cours d’installation dans différentes régions,

révèle à Nawaat Christine Jacquemyn, coordinatrice pays de l’AEFE.

Christophe Clanché se montre aussi optimiste : « il y a toujours un terreau important de locuteurs en français. Parfois, la langue française est partiellement maitrisée mais elle est quand même globalement comprise ».

Macron à l’Assemblée des Représentants du Peuple. Bardo, février 2018

Pour le représentant de l’IFT, le français est surtout un facteur de réussite et d’employabilité étant donné qu’une grande partie des cours proposés par les écoles et universités tunisiennes, sont dispensés en français. « Il ne s’agit pas de maitriser la langue française pour pouvoir s’adresser à la France mais de réussir son parcours académique et professionnel », dit-il.

Pour beaucoup de bacheliers, la réussite de ce parcours dépend de la possibilité de partir en France. L’apprentissage d’une langue est aussi un passeport. Et en la matière, la France verrouille de plus en plus l’accès à son territoire. Il en découle une politique réservant l’accès aux grands établissements éducatifs français à une élite aisée. La hausse du nombre des écoles sous l’égide de l’Agence des établissements français à l’étranger (AEFE) en Tunisie va de pair avec l’augmentation des frais de scolarité. Il faut compter des milliers de dinars pour inscrire son enfant dans ces établissements, plus de 10.000 dinars par an dans l’établissement Pierre Mendès France à titre d’exemple.

La politique française tend également vers la restriction du nombre d’étudiants étrangers souhaitant effectuer leurs études universitaires en France. Dès 2019, les étudiants non-européens doivent débourser dix fois plus qu’avant au titre de frais universitaires. Ils devront ainsi s’acquitter de 2770 euros en licence et de 3 770 euros en master et doctorat. Christine Jacquemyn note cependant que son pays garde ses portes ouvertes pour accueillir les jeunes tunisiens à travers l’accompagnement fourni par Campus France. « L’idée est aussi de les orienter vers d’autres pays s’ils souhaitent s’y rendre », affirme-t-elle. Au total, 13 152 Tunisiens étudient dans les universités françaises. La Tunisie occupe le 6ème rang parmi les pays exportant ses étudiants en France. Elle a perdu deux rangs, d’après les statistiques de Campus France de 2022.

Quant à l’apprentissage du français, il se fait sérieusement bousculer par d’autres langues en Tunisie, et notamment l’anglais.

 

Concurrence de l’anglais

 

La Tunisie n’échappe pas à la tendance mondiale. La génération Netflix consomme de plus en plus de productions anglophones. Jadis enseigné au niveau du collège, l’anglais s’est imposé dans l’enseignement primaire. Les établissements éducatifs américains ou britanniques ont de plus en plus la cote, à l’instar de l’école américaine « American Cooperative School of Tunis » ou encore l’Ecole Britannique de Tunis.

Contactée par Nawaat, la représentante en Tunisie de l’organisation privée américaine engagée dans l’éducation internationale, la formation et l’aide au développement, AMIDEAST, Arwa Ben Ahmed, relève ces dernières années une recrudescence du nombre de Tunisiens souhaitant apprendre l’anglais dans leur établissement. «Les profils des candidats sont très variés. Nous avons des enfants dès l’âge de 5 ans mais aussi des adultes », dit-elle. Les motivations pour apprendre l’anglais diffèrent aussi.

Les parents veulent surtout perfectionner l’apprentissage de cette langue chez leur enfant étant donné que c’est une langue internationale,

ajoute Ben Ahmed.

Pour les adultes, Ben Ahmed évoque des profils divers allant des étudiants, aux chômeurs en passant par les professionnels ayant besoin de l’anglais comme outil de communication au travail ou pour décrocher un boulot. L’enseignement de l’anglais est aussi dispensé par l’institut culturel britannique, le British Council, sans compter les nombreuses entreprises privées.

Pour Christophe Clanché, il n’y a pas de concurrence entre les langues. « L’anglais vient enrichir le bagage linguistique des jeunes Tunisiens et non se substituer au français » souligne-t-il. Et de préciser qu’en France également, la maîtrise de la langue anglaise est importante. Des masters dispensés en anglais y sont aussi proposés, ajoute-t-il. « L’anglais est plus facile à apprendre que le français ou l’arabe. Et il reste à déterminer à quel point l’usage de l’anglais est généralisé chez les jeunes, surtout dans les milieux ruraux, et quel est le degré réel de sa maîtrise ».

En attendant, dans les zones urbaines huppées de la capitale, le français reste perçu comme une langue de prestige et d’ascension sociale. Il demeure en effet la langue privilégiée par les instagrammeuses et autres influenceurs à la mode sur les réseaux sociaux. Mais pour encore combien de temps ?