Invité lundi 2 janvier 2023, sur les ondes de Mosaique Fm, l’homme politique Imed Hammami, ancien porte-parole du mouvement Ennahdha, député de l’ANC, rédacteur de la Constitution de la dignité (2011-2014), plusieurs fois ministre (de l’emploi, de la santé, de l’industrie sous Youssef Chahed et Elyes Fakhfakh), a tenu des propos, dont les contre-vérités et le caractère diffamatoire n’ont d’égal que l’arrogance et les relents fascisants.
Se découvrant une nouvelle vocation d’encenseur de l’ordre nouveau depuis le 25 juillet 2021, et usant d’une insupportable rhétorique incantatoire, il a émis sans scrupule les plus graves accusations contre une autorité indépendante consultative, la Commission des libertés individuelles et de l’Egalité (COLIBE), sans même douter, ne serait-ce ce qu’un soupçon, de ses propres responsabilités à l’effondrement général du pays. Il a estimé par déni de réalité et manipulations de l’histoire que les méthodes de la COLIBE ont été « opaques » et peu « transparentes » et ses conclusions « gravissimes » parce qu’elles auraient « remué ou perturbé » l’ADN du peuple tunisien. Poussant plus loin son dogmatisme, il ne s’est pas empêché d’accuser les féministes de mainmise et de manœuvres dolosives pour arriver à leurs buts. « Le livrable », selon sa terminologie managériale de la vie politique, aurait terrifié son initiateur, le Président feu Beji Caied Essebssi, qui n’en a pas assumé les orientations.
Je me permets de rappeler à M. Imed Hammami, ces quelques faits qu’il feint d’ignorer.
- La COLIBE est une autorité indépendante consultative investie d’une mission spécifique de réforme (Islah) des institutions du droit dans notre pays, instituée par décret présidentiel n° 2017-111 du 13 août 2017. Sa mission a été de préparer officiellement « un rapport sur les réformes relatives aux libertés individuelles et à l’égalité par référence aux dispositions de la Constitution du 27 janvier 2014, aux standards internationaux des droits humains et aux tendances contemporaines dans le domaine des libertés et de l’égalité» [JORT-065 du 15/08/2017]. C’est dire que la COLIBE n’a, à aucun moment, outrepassé ses compétences en proposant au chef de l’Etat- à qui elle s’est adressée directement au demeurant dans son rapport- d’épurer le système juridique global tunisien de ce qui en vicie la teneur et la validité formelle et substantielle par rapport aux normes supérieures de référence, à savoir l’égalité sans discrimination entre les citoyennes et les citoyens, la garantie des libertés publiques individuelles et collectives proclamées dans la Constitution et les instruments internationaux des droits humains auxquels la Tunisie a adhéré. M. Hammami, a-t-il oublié que le premier devoir du législateur qu’il a été, est justement de transposer en bonne foi et avec sincérité juridique et politique, les dispositions de la constitution ? L’a-t-il oublié ou le feint-il pour jeter le discrédit sur une institution qui fait autorité, malgré lui, par la qualité de ses membres, leurs forts engagements sociétaux ?
- La COLIBE a rendu public son travail en le mettant à disposition de toutes et de tous, en juin 2018, au bout d’une année d’un impressionnant labeur, conformément à sa mission et après d’intensifs rounds de consultations et de concertations avec les différents protagonistes : les ministères concernés (y compris la Justice, l’Intérieur, la Défense nationale, les Affaires de la femme et plusieurs ministères techniques), les hautes instances indépendantes (le Comité des droits de l’homme, l’Instance de prévention de la torture, l’Instance contre la traite des personnes, l’Instance de protection des données personnelles), la Commission de réformes du Code de procédures pénales (CPP), les délégations parlementaires en charge des affaires de la femme, la société civile dont principalement l’UNFT, l’UGTT, le patronat et les agriculteurs, les partis politiques représentés à l’ARP, les associations, les experts et les universitaires, les artistes, certaines organisations internationales, comme le Haut-commissariat aux droits de l’homme (HCDH) et le rapporteur spécial sur la liberté de conscience. De quoi parle M. Imed Hammami et qui veut-il tromper encore? Insinuer que le rapport serait sacrilège, comme brandi en conférence publique par ses anciens acolytes de l’Assemblée de la Choura d’Ennahdha ? Comment Si Imed peut-il l’oublier et soutenir le contraire si ce n’est encore de mauvaise foi et pour agiter le spectre de la discorde sur les valeurs républicaines de l’égale citoyenneté ?
- Les féministes que M. Hammami honnit et vilipende, croyant en bon misogyne que le féminisme est une insulte, sont des hommes et des femmes porteurs de valeurs, d’une vision des rapports sociaux et de pratiques de terrain faites d’espoir de non-discrimination et de lendemains meilleurs. Leur seul pari est de construire en société, dans le débat public et démocratique, les outils nécessaires au développement humain durable partant du constat que les sociétés hiérarchisées, des privilèges de groupe, de genre, de sexe, de classe, d’orientations identitaires, de race, de naissance, etc. sont organisées sur les pesanteurs des féodalités médiévales, du patriarcat traditionnel, de la puissance juridique des agnats, des masculinités hégémoniques et du mépris des femmes et des filles. Elles sont toxiques et freinent toutes possibilités de « faire société ». Comment Si Hammami peut-il, avec autant de légèreté, faire porter le chapeau aux féministes ? N’est-il pas conscient de sa propre responsabilité dans le blocage de la politique publique de la réforme législative d’une Tunisie qui s’est voulue pourtant pionnière dans le domaine ? N’a-t-il aucun souvenir de la capacité de nuisance déployée pour contrarier toute réforme des institutions et du droit et dont nous payons aujourd’hui le fort tribut ?
- Sur le fond, concernant le prétendu ADN du peuple tunisien, circonscrit faussement à son Code du statut personnel (CSP), M. Hammami reprend des stéréotypes naturalisant des inégalités, totalement obsolètes. Non Monsieur si, effectivement, le CSP a représenté en son temps en 1956, 1958, 1959 et jusqu’en 1993 des avancées substantielles et donné un souffle libératoire et émancipateur, il est devenu depuis un véritable plafond de verre, un frein à toute transformation démocratique et égalitaire des rapports sociaux entre hommes et femmes. Ses règles sur l’héritage et ses quotes-parts inégalitaires, érigées en véritables articles de foi, organisent l’appauvrissement structurel des femmes et leur asservissement économique. Ses dispositions sur la puissance de l’époux « chef de famille », la dot, les obligations matrimoniales, les règles de la cohabitation, le domicile conjugal sont facteurs de fémicides, l’honneur des masculinités toxiques passant par l’élimination physique des femmes. Que répondre à des arguments d’un autre âge ? Comment Si Hammami peut-il se permettre ces jugements péremptoires ? Ne sait-il-pas, lui l’homme politique, que le droit est une chose sérieuse et de grande conscience et non un sale jeu d’écriture et un tour de passe-passe ? N’entend-il pas partout les revendications des sociétés pour en finir avec les inégalités, les discriminations et les exclusions contre les femmes, les groupes et les individus minorés ?
Pour finir, M. Hammami feint-il d’ignorer que les propositions de la COLIBE en ce qui concerne l’égalité à l’héritage comme du code des libertés publiques ont trouvé leur chemin démocratique vers l’ARP et ses commissions, contrairement à ses allégations : Avant-projet de loi organique n° 90-2018, complétant le code du statut personnel, 28 novembre 2018 ? C’est ce à quoi aspirent les féministes : Délibérer démocratiquement de notre vivre ensemble et de notre avenir commun et non imposer par le sabre et l’épée !
Non Monsieur, ne vous en déplaise, nous ne sommes pas une sous-humanité, ni des créatures génétiquement inférieures en droits et en dignité. Notre ADN est notre humanité pleine et entière.
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