Les nombreux cas de refus de demandes de visa Schengen, notamment de la France, défrayent la chronique. Les agissements de certaines agences de voyage vendant des prises de rendez-vous (RDV) pour les visas suscitent la polémique. Et la controverse a enflé depuis qu’un citoyen tunisien, Motez Bellakoud, a dénoncé la situation dans un statut sur Facebook, le 26 avril. Relayé massivement sur les réseaux sociaux, le statut de Bellakoud a provoqué des remous. Les médias se sont emparés de l’affaire.

Le jeune homme évoque dans son texte les difficultés récurrentes de nombreux citoyens se plaignant d’avoir beaucoup de mal à trouver des dates disponibles de RDV sur la plateforme de la société TLS contact. Or c’est la seule habilitée par le consulat français à collecter les demandes visas. Et sans ce RDV, il n’est pas possible de déposer son dossier pour obtenir un visa. Ainsi, cette procédure en apparence facile, devient un casse-tête pour les Tunisiens. Et les délais d’attente pour fixer un rendez-vous et obtenir une réponse à sa demande trainent en longueur.

Le business des visas

Pourtant, certaines agences de voyage parviennent à décrocher plus facilement des RDV. Motez Bellakoud a contacté l’une d’elles, en l’occurrence l’agence Travilya. Cette entreprise lui a assuré de pouvoir lui obtenir un RDV pour le mois de mai ou au plus tard en juin. Alors que le site de TLS contact n’affiche pas de RDV disponibles. Pour bénéficier de cette offre, il faut payer 850 dinars à l’agence en question, raconte-il à Nawaat. « Une autre connaissance a obtenu son rendez-vous visa via une agence, mais elle a vu son rendez-vous disparaitre du site TLS parce qu’il ne les a pas payés à temps. Une fois, la somme demandée versée, le RDV est réapparu sur le site », poursuit-il.

Intervenu sur les ondes de Mosaïque Fm, le propriétaire de l’agence Travilya, Faouzi Bellili assure que la somme demandée auprès de leurs clients correspond à l’offre d’un pack comprenant la réservation d’hôtel, le traitement du dossier et la prise de RDV visa. Pour parvenir à prendre ces RDV, le représentant de l’agence explique que son personnel fait une activité de veille permanente sur le site de TLS contact pour les décrocher au plus vite dès qu’ils sont disponibles. Le formulaire pour la demande de RDV est également rempli par l’agence en introduisant les données personnelles fournies par leur client.

Le RDV décroché sur le site de TLS est vendu à un seul client et n’est donc pas interchangeable, avance-t-il. Pour les demandes de visas pour des pays autres que la France, le directeur de Travilya fait état de contrats commerciaux avec des centres de visa liés aux ambassades, qui leur permettent d’avoir des RDV visa. Il cite l’exemple de la société Talmaviva auprès de laquelle l’ambassade d’Italie a externalisé la gestion des visas. Il ajoute que son agence collabore également directement avec les consulats pour avoir des RDV visa individuels ou collectifs.

Contacté par Nawaat, le consulat d’Italie en Tunisie nie totalement toute collaboration avec les agences de voyage. « Nous n’avons aucune relation avec les agences de tourisme et aucune facilitation n’a jamais été accordée par ce bureau des visas. Les visas sont personnels et sont – le cas échéant – accordés aux seuls intéressés et expressément après évaluation par ce bureau des visas qui – nous le répétons – n’a aucune relation privilégiée avec les agences de tourisme », nous répond le consulat italien.

Le directeur général de TLS Contact pour l’Afrique du Nord, Bassem Missaoui abonde dans ce sens en assurant que la demande de RDV est individuelle et nominative, insiste-t-il sur les ondes de Mosaïque Fm. Missaoui balaye les rumeurs sur un éventuel trafic au sein de son entreprise, en arguant que la demande de visa ne peut être faite qu’au nom d’une seule personne. En outre, le directeur de TLS dément toute collaboration avec les agences de voyage. Quant aux facilitations accordées à certains individus pour bénéficier d’un rendez-vous, elles se font au niveau du consulat. « Chaque personne peut solliciter directement le consulat pour prendre un RDV », affirme-t-il. Et de préciser : « Seul le consulat est capable de faire avancer un RDV ».

Dans ce cas, pourrait-on envisager un trafic au niveau des consulats ? Intervenu sur les ondes de Diwan Fm, le consul général de France en Tunisie, Dominique Mas, avance qu’il n’y a pas de corruption ni au niveau du TLS, ni au niveau du consulat. « Seuls deux ou trois personnes ont accès aux demandes de RDV », précise-t-il. Ainsi, le consul français nie toute possibilité de collusion entre ses services, un agent de TLS corrompu, et une quelconque agence de voyage. « Ce n’est pas possible. Tout est traité de façon aléatoire », souligne-t-il.

Il explique que des robots permettent à certaines agences et officines de scanner en permanence les plages de RDV. Ce procédé est-il légal ? « Ce n’est pas quelque chose de totalement illégal », rétorque Mas. Toutefois, son consulat comme TLS mettent en garde les Tunisiens contre les arnaques relatives aux demandes de visa, en les appelant à refuser les intermédiaires.

Les lacunes du système

Sous le feu des critiques, les services consulaires français tentent d’endiguer les protestations à ce sujet. Dominique Mas avance que son administration  travaille désormais sur des solutions techniques pour identifier les robots des agences afin de les empêcher d’opérer. La désactivation du compte d’un utilisateur après trois tentatives de prises de RDV sert à limiter le nombre d’entrées par une seule adresse IP, justifie-t-il. « On a constaté que certaines agences utilisaient la même adresse IP pour prendre une dizaine de RDV », constate-t-il.

Et de poursuivre : « On attend toujours de pouvoir prouver qu’il y a fraude. On reçoit tous les jours des plaintes. Lorsqu’on demande aux gens de nous fournir des noms, des numéros de téléphone, il n’y a plus personne. On ne peut pas travailler sur la base de rumeurs ».  Les accusations de fraude ne concernent pourtant pas uniquement la Tunisie. Des problèmes similaires ont été soulevés au Maroc et en Algérie.

Nawaat a interpellé le consulat de France en Tunisie sur les défaillances de sa politique d’externalisation des demandes de visas et sur son éventuelle volonté de la revoir. « Nous devrions communiquer sur ces sujets dans les prochains jours et prochaines semaines, mais nous ne pouvons pas répondre à ce jour », s’est contenté de répondre le consulat français. Entretemps, les agences de voyage continuent de proposer leurs services. Contactée par Nawaat, l’une d’elles affirme pourvoir nous décrocher un RDV visa pour la France à partir de mi-juillet, en contrepartie d’une somme de 850 dinars. Pour les autres pays de l’espace Schengen, les délais seront plus courts, promet le représentant de l’agence.

Ces entreprises poursuivent ainsi leur activité malgré la polémique et les dénonciations du président de la Fédération tunisienne des agences de voyages et de tourisme, Ahmed Bettaieb qui qualifie la situation de « monopole ». Bettaieb dit avoir officiellement demandé aux autorités tunisiennes de mettre fin à ces dérives. Toutefois, une source au ministère du Tourisme a expliqué à Nawaat qu’il n’y a pas d’assise juridique permettant de poursuivre ces agences.