Messages clés :
- En Tunisie, la stigmatisation des troubles mentaux constitue un enjeu socio-culturel majeur, largement influencé par un manque de connaissances et une perception erronée de ces troubles.
- La sensibilisation aux troubles mentaux, tout comme pour les maladies organiques, est souvent promue à l’occasion de journées qui leur sont dédiées. Ces journées visent non seulement à reconnaître l’importance de ces problèmes, mais aussi à lutter contre les préjugés et à rendre l’information médicale plus accessible à tous.
- L’intégration de ces journées dans nos calendriers constituerait un pas vers l’instauration d’une culture de bien-être mental pour tous, favorisant ainsi l’inclusion des personnes souffrant de troubles mentaux.
- Le 30 mars est consacré à la célébration de la Journée mondiale du trouble bipolaire, une précieuse opportunité pour sensibiliser et soutenir les personnes touchées. Une occasion pour informer et lutter contre les préjugés, les mythes et les idées erronées autour d’un trouble fréquent.
- Le trouble bipolaire est classé parmi les dix maladies invalidantes dans le monde telles que le diabète, l’hypertension artérielle, l’asthme et l’épilepsie.
- Le trouble bipolaire peut-être lié à la créativité, mais il n’en est pas une condition nécessaire.
Le 30 Mars, une date à encercler dans nos calendriers
Bien que des opinions divergentes puissent exister quant à la pertinence de célébrer des journées dédiées aux troubles mentaux, avec une réticence quant à la perpétuation des stéréotypes et à la minimisation de la souffrance tout au long de l’année ou encore le risque de donner une version romantique de la souffrance. Personnellement, je crois en l’importance de les reconnaître et de leur donner une visibilité. Ces journées offrent une opportunité de sensibiliser le public aux réalités des troubles mentaux, de promouvoir l’empathie et l’inclusion, et de renforcer nos efforts pour combattre la stigmatisation et soutenir activement ceux et celles qui en ont besoin. Il ne s’agit pas d’une question de tolérance, car la tolérance porte une connotation de pouvoir ou de supériorité mais plutôt de promouvoir une culture humaine d’acceptation et de soutien actif, où chaque individu est reconnu dans sa pleine dignité.
La stigmatisation des troubles mentaux est un phénomène transculturel. En Tunisie, le poids de la culture et des représentations sociales sur les troubles mentaux est lourd. Cette stigmatisation représente un défi socio-culturel majeur, se manifestant par une série de comportements discriminatoires, de préjugés et de méconnaissance envers les personnes concernées. Les personnes souffrant de troubles bipolaires ne sont pas épargnées par cette stigmatisation qui se traduit souvent par le rejet, l’isolement social et même la marginalisation. Les préjugés persistants et les fausses croyances alimentent une culture du silence et de la honte autour de ces problèmes de santé mentale, entravant ainsi l’accès aux soins, à l’information et au soutien nécessaires.
Depuis 2015, sur l’initiative de l’International Bipolar Foundation, le 30 mars est la Journée mondiale des troubles bipolaires. Ce choix de date n’est pas anodin : il correspond à la naissance du célèbre peintre néerlandais Vincent Van Gogh, (le 30 mars 1853), lui-même touché par ce trouble. Son œuvre emblématique, “La nuit étoilée” (peinte en 1889), aurait été réalisée lors d’un épisode de manie, illustrant symboliquement la relation entre ce trouble et l’expression créative.
Cette journée va bien au-delà de la simple inscription d’une date sur le calendrier. Elle incarne à l’échelle mondiale une opportunité de changer les perceptions, de briser les préjugés et d’apporter un soutien à ceux et celles qui en ont besoin. En unissant nos efforts dans un esprit d’empathie, de compréhension et de solidarité, nous avons le pouvoir de façonner un avenir où les Van Gogh de la Tunisie peuvent s’épanouir pleinement et dignement, libérés de la peur des regards des autres et de la stigmatisation.
Un trouble à double visage
Le trouble bipolaire est un trouble mental qui affecte des millions de personnes à travers le monde, généralement au début de l’adolescence ou au début de l’âge adulte, soit entre 15 et 25 ans. On estime qu’il touche entre 1 et 5 % de la population, selon que l’on se réfère aux formes les plus définies ou à l’ensemble des troubles bipolaires.
Le trouble bipolaire est souvent comparé à une montagne russe émotionnelle, avec ses moments d’euphorie et de désespoir qui peuvent surgir de façon cyclique avec des intervalles pendant lesquels l’humeur redevient normale. Cliniquement, cela se traduit par différents symptômes selon la phase de l’épisode. Par exemple, lors d’un épisode maniaque, une personne peut se sentir très énergique, excitée, porte plusieurs projets en tête, agir de manière impulsive, avoir des troubles du sommeil et même ressentir un désir sexuel augmenté ou des compulsions d’achat. Un épisode maniaque dure au moins 7 jours. En revanche, lors d’un épisode dépressif, elle peut se sentir profondément triste, avoir des pensées de culpabilité, manquer de confiance en elle, perdre tout intérêt pour ses activités habituelles et même avoir des pensées suicidaires. Un épisode dépressif dure au moins 14 jours.
Il y a deux types de troubles bipolaires : le type 1, caractérisé par des phases de manie suivies de dépression, et le type 2, où les épisodes d’hypomanie présentent des symptômes maniaques moins intenses et moins durables (au moins quatre jours) associés à des phases dépressives.
Le trouble semble largement influencé par la génétique, ce qui signifie qu’il peut être hérité de la famille. Les personnes touchées ont souvent une sensibilité accrue aux variations d’humeur et peuvent avoir du mal à contrôler leurs émotions. Cela semble être dû à un groupe de gènes, mais leur rôle exact n’est pas encore entièrement compris. Bien que la génétique joue un rôle important, l’environnement peut aussi précipiter l’apparition du trouble bipolaire. Par exemple, des moments de stress intense peuvent déclencher les premiers signes du trouble. Cela peut inclure des situations comme le manque de sommeil, des horaires de travail irréguliers ou des changements brutaux dans la vie quotidienne.
Le trouble bipolaire est classé parmi les dix maladies les plus invalidantes dans le monde par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il figure ainsi parmi des maladies telles que le diabète, l’accident vasculaire cérébral, l’hypertension artérielle, l’asthme et l’épilepsie. Les hauts et les bas extrêmes de l’humeur associés au trouble peuvent avoir un impact majeur sur la vie quotidienne de ceux et celles qui en souffrent. De plus, le risque de suicide est élevé, atteignant environ 15 %, et les personnes atteintes peuvent faire face à des difficultés telles que la perte d’emploi, les problèmes financiers, des conduites à risque (une conduite automobile à grande vitesse, des rapports sexuels non protégés ou l’émission de chèques sans provisions). Cela peut également affecter leurs relations familiales, professionnelles et leur qualité de vie en général.
En moyenne, le diagnostic d’un trouble bipolaire nécessite dix années. Toutefois, une lueur d’espoir émerge dans le domaine de la science, avec des recherches menées au cours des deux dernières années ayant abouti à la création d’un test sanguin. Ce test offre la possibilité d’un dépistage précoce du trouble chez de nombreux individus. Cette avancée promet d’être une véritable révolution pour les personnes touchées par ce trouble.
Au-delà des idées reçues
Les préjugés concernant le trouble bipolaire engendrent malheureusement une stigmatisation des individus affectés. Or cela peut les dissuader de rechercher le soutien dont ils ont besoin. Voici quatre idées fausses démystifiées à ce sujet :
Idée fausse 1 : Si quelqu’un change souvent d’humeur, c’est qu’il a un trouble bipolaire
Réalité : Le trouble bipolaire se caractérise par des fluctuations d’humeur prolongées, telles que des épisodes maniaques d’une semaine ou plus et des épisodes dépressifs de deux semaines ou plus. Les changements d’humeur brutaux peuvent être attribués à un tempérament, une disposition naturelle et constante qui influence la façon dont nous pensons, ressentons et agissons dans différentes situations. Ces sautes d’humeur brusques sont souvent le reflet d’une réaction habituelle aux événements de la vie, formant ainsi une sorte de “signature émotionnelle” qui guide les comportements et les pensées.
Idée fausse 2 : Les personnes souffrant de trouble bipolaire sont dangereuses.
Réalité : Les personnes atteintes de trouble bipolaire ne sont pas nécessairement dangereuses. La stigmatisation associant ce trouble à la violence est peu fondée. Avec un traitement approprié, elles peuvent mener des vies stables et productives.
Idée fausse 3 : Une dépression bipolaire se traite par un coaching psychologique.
Réalité : La dépression bipolaire est sévère. Elle ne peut pas être traitée uniquement par une psychothérapie ou un coaching de vie. Le recours à des médicaments est indispensable pour réduire les symptômes et accélérer la rémission. Une psychothérapie peut être associée à une prise en charge médicamenteuse afin d’augmenter l’efficacité de la prise en charge.
Idée fausse 4 : Le trouble bipolaire peut être géré par l’alimentation et l’exercice physique :
Réalité : Bien que l’alimentation équilibrée et l’exercice physique puissent contribuer au bien-être général et à la gestion des symptômes, le trouble bipolaire est un trouble mental qui nécessite un traitement médicamenteux (stabilisateur de l’humeur) et des thérapies spécialisées.
Idée fausse 5 : Les médicaments pour les troubles bipolaires transforment les individus en “zombies”.
Réalité : Certains médicaments peuvent provoquer des effets secondaires tels que la somnolence, la fatigue et l’inhibition, qui ne sont pas les effets attendus pour traiter le trouble. Dans ce cas, il est essentiel de consulter son médecin psychiatre pour ajuster ou changer le traitement médicamenteux. L’objectif du traitement est de gérer efficacement les symptômes tout en préservant la vitalité et l’élan de vie de la personne.
La créativité en question : Mythe ou réalité dans le trouble bipolaire ?
Il est incontestable que l’association du trouble bipolaire à des figures éminentes telles que le peintre Van Gogh pourrait suggérer l’existence d’un lien entre la bipolarité et la flamme créatrice. Les annales de l’histoire de l’art et de la littérature résonnent de noms illustres, où poètes, écrivains et artistes visuels. Citons, parmi d’autres, Emily Dickinson, Ernest Hemingway, Nikolai Gogol, August Strindberg, Virginia Woolf, Lord Byron, Johann Wolfgang von Goethe, Francisco Goya, Gaetano Donizetti, Georg Friedrich Händel, Otto Klemperer, Gustav Mahler, Robert Schumann, Hugo Wolf, et tant d’autres.
Dans la dualité existentielle et les subtilités de l’esprit humain, les citations de certaines personnalités qui ont laissé leur empreinte dans l’histoire mondiale témoignent de cette réalité intérieure oscillant entre deux pôles : la souffrance extrême et l’exubérance joyeuse. Elles illustrent ainsi la richesse, la grandeur et la profondeur du génie humain.
“L’homme a besoin de ce qu’il y a de pire en lui s’il veut parvenir à ce qu’il a de meilleur.” Friedrich Nietzsche
“La beauté du monde, si fragile, a deux arêtes, l’une de rire, l’autre d’angoisse, coupant le cœur en deux.” Virginia Woolf
‘’On ne conduit le peuple qu’en lui montrant un avenir : un Chef est un marchand d’espérance. ‘’ Napoléon Bonaparte
“Toute ma vie, j’ai eu foi dans la suprématie de l’esprit sur la matière,” Habib Bourguiba
“L’œuvre d’art naît du renoncement de l’intelligence à raisonner le concret.“ Albert Camus
“Si vous voulez tout savoir sur Andy Warhol, vous n’avez qu’à regarder la surface de mes peintures, de mes films, de moi. Me voilà. Il n’y a rien dessous,”Andy Warhol
“La réalité… Quel drôle de concept !” Robin Williams
La créativité chez les personnes ayant un trouble bipolaire peut en partie s’expliquer par le trouble lui-même. Les épisodes maniaques ou hypomaniaques entraînent une accélération des processus mentaux, un traitement rapide de l’information, une excitation psychique et une joie de vivre extrême.
Dans son ouvrage ‘’Folie et Créativité’’, le psychiatre français, Raphaël Gaillard, ne situe pas la source de la créativité dans les troubles psychiatriques, mais plutôt dans un lien de parenté. Il mentionne que c’est du côté des ascendants des personnes souffrant de troubles mentaux, de leurs enfants et de leurs fratries que réside une propension à la créativité.
Malgré des éléments dans la littérature scientifique et des recherches qui suggèrent un lien entre le trouble bipolaire et la créativité, il est crucial de nuancer cette idée en raison du manque de preuves scientifiques solides. La créativité n’appartient pas exclusivement aux personnes ayant le trouble bipolaire, mais est une qualité inhérente à de nombreux individus, quelle que soit leur santé mentale.
Message Final
En brisant les préjugés qui limitent notre compréhension des troubles mentaux, nous cultivons l’empathie envers ceux et celles qui en souffrent. Combattre les stéréotypes nuisibles et discriminatoires, apporter un soutien inconditionnel à nos proches touchés par le trouble, et promouvoir l’inclusion et l’acceptation dans la société sont des actions que la journée du 30 mars nous encourage à entreprendre.
En Tunisie, comme partout dans le monde, c’est le trouble mental qu’il faut stigmatiser, et non les personnes qui en souffrent.
“Tout ce qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude,” Albert Camus
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