Imprévisible, Kais Saied l’a bien été depuis qu’il a accédé à la magistrature suprême en octobre 2019. En un peu plus de cinq ans, le président de la république en a surpris plus d’un sur plus d’un sujet. Le dernier en date est celui des entreprises/organismes publics sur lequel le chef de l’Etat a récemment pris une position un tant soit peu inattendue.
En recevant, le 13 janvier 2025, le chef du gouvernement Kamel Madouri, en compagnie de quatre ministres (Affaires sociales, Education, Enseignement supérieur et recherche scientifique, Emploi et formation professionnelle), Kais Saied –qui a parlé de « Mouassassat Oumoumia »- a fait un constat peu reluisant au sujet des entreprises/organismes publics. Il leur a reproché d’être « inutiles » et de constituer « un fardeau » pour le budget de l’Etat et pour la communauté nationale.
Convaincu que ces structures « n’atteignent, quand elles y parviennent, qu’une infime partie des objectifs pour lesquels elles ont été créées », le président de la République a ordonné de procéder à un inventaire car « le moment est venu aujourd’hui d’y mettre fin ».
Ses propos concernent-ils à la fois les organismes publics et les entreprises publiques ou seulement les premiers ? Nous avons demandé à la présidence du gouvernement de nous le dire mais nous n’avons pas eu de réponse. Toutefois, la deuxième partie de sa déclaration du 13 janvier 2025 donne à penser que l’inventaire qu’il a ordonné au gouvernement de mener, concerne aussi les entreprises publiques. S’il a cité en exemples l’enseignement supérieur, la santé et la formation professionnelle, le chef de l’Etat a précisé que ses propos concernent aussi « tous les autres secteurs ».

En examinant de près ses différentes déclarations sur le sujet, on constate que le président Saied désigne aussi les entreprises publiques par « Mouassassat Oumoumia ».
La plupart des gouvernements et de leurs chefs qui se sont succédé aux commandes de la Tunisie au cours des cinq dernières années en font de même.
Ce fut notamment le cas d’Elyes Fakhfakh et de Najla Bouden. Kamel Madouri a, lui, adopté le 9 novembre 2024, lors de la discussion du budget de l’Etat à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), le jargon consacré au sujet des entreprises par les textes de lois y afférent (loi n°9 de 1989, en date du 1er février 1989, et la loi n°36 de 2006, du 12 juin 2006) qui, eux parlent de « Mounchaat Oumoumia ».
Un dernier fait tend à accréditer l’idée que l’Etat va s’attaquer tôt ou tard au problème des entreprises publiques : la création, inscrite dans la loi de finances 2025, d’un fonds destiné à financer un système d’assurance de perte collective d’emplois pour des raisons économiques. Outre une subvention de l’État à hauteur de cinq millions de dinars, ce fonds sera financé par trois autres sources (une contribution de 0,5% payée par l’employeur et l’employé prélevée sur la rémunération déclarée auprès de la Caisse nationale de sécurité sociale, un prélèvement de 14% sur les recettes générées par les augmentations appliquées au tabac et aux allumettes et un deuxième de 30% sur les recettes des jeux par téléphone, par messageries ou par boîte vocale).
Mais s’il a dans son viseur tout le secteur public, le chef de l’Etat a choisi pour l’instant de mettre sur la table le dossier de certaines agences étatiques, plus précisément celles en charge de la promotion de l’investissement (voir encadré).
A quand le tour des entreprises publiques ? Aucune indication n’a été donnée sur le moment où cet épineux dossier sera ouvert. D’ailleurs, l’actuel gouvernement –en poste depuis le 7 août 2024- ne s’en est jamais saisi.

Toutefois, le jour où ce dossier sera officiellement et pour de bon mis sur la table, un clivage qu’on a tendance à oublier refera surface. Il s’agit de celui séparant le président de la République du reste des organismes de l’Etat en charge des questions économiques (gouvernement, ministères, etc.) au sujet de la manière de résoudre le problème des entreprises publiques. Et plus particulièrement sur un point crucial : peut-on et doit-on vendre des entreprises publiques, comme cela a été fait par le passé ?
Kais Saied a clamé plus d’une fois, haut et fort, qu’il y est absolument opposé. Or les gouvernements successifs, même après le 14 janvier 2011 et après le 25 juillet 2021 n’ont pas écarté le recours à cette solution.
Ce fut le cas en particulier du gouvernement de Najla Bouden qui, en juillet 2022, avait déclaré ne pas avoir l’intention « de céder les entreprises publiques à caractère stratégique ». Ce qui sous entend que la vente des autres n’est pas à exclure. Mais depuis, aucun de ses successeurs n’a abordé le sujet.
Les organismes d’encadrement des investisseurs sur la sellette
Une semaine après avoir soulevé le 13 janvier 2025, le problème des entreprises/organismes publics, à qui il reproche d’être inutiles et coûteux pour le contribuable, Kais Saied a choisi de traiter en priorité le cas des organismes publics créés pour donner une impulsion à l’investissement.
Lors d’une réunion avec le chef du gouvernement Mohamed Madouri et les ministres des Finances Sihem Boughdiri Nemsia (limogée depuis) et des Affaires sociales Issam Lahmar, le président de la République a pointé du doigt «l’érosion» de certains organismes publics qui ont «grossi inutilement » et «dilapident l’argent public ».
Continuant sur sa lancée le chef de l’Etat a désigné les coupables : «certaines agences et entreprises relavant d’un certain ministère pour lesquelles les fonds alloués, en plus du budget du ministère, s’élèvent à près de 500 millions de dinars » et «les organismes créés pour donner une impulsion à l’investissement, en plus de succursales à l’étranger qui se comptent par dizaines ».
Mais, constate Kais Saied, «ni l’investissement recherché n’est venu, ni le peuple tunisien qui paie les impôts pour les financer n’a profité de l’argent de la communauté nationale ». Le chef de l’Etat s’étonne ensuite : «Alors que dans certains pays il n’y a qu’un seul interlocuteur, il existe en Tunisie un Conseil supérieur de l’investissement, une Autorité tunisienne de l’investissement, un Fonds tunisien de l’investissement, en plus de quatre agences, la première pour l’investissement étranger, la seconde pour l’investissement agricole, une troisième pour développer l’exportation, une quatrième pour développer les investissements industriels et une cinquième pour promouvoir l’industrie et l’innovation».
En outre, le président de la République s’insurge : «Certains appellent encore à créer un nouvel organisme ou une nouvelle agence comme si l’investissement est dans la création de nouvelles institutions et non de la richesse (…) ».
Le chef du gouvernement Kamel Madouri a visiblement capté le message. Le 4 février 2025, il a dirigé un conseil ministériel restreint consacré à l’examen d’un « projet de loi horizontale pour donner une impulsion à l’investissement » qui, d’après un communiqué de la présidence du gouvernement, vise entre autres à « instaurer une nouvelle gouvernance du dispositif de l’investissement ».
iThere are no comments
Add yours