Chaque année, le 20 juin, le monde s’arrête un instant pour rendre hommage à celles et ceux qui ont été contraint·es de fuir leur foyer, leur pays, leur vie pour échapper à la guerre, aux persécutions ou aux catastrophes. Cette journée, consacrée aux réfugié·es, ne devrait pas être une simple commémoration. Elle doit être un réveil des consciences, un appel à l’action.
Derrière les chiffres, il y a des visages. Des récits de survie, de perte, mais aussi d’espoir. Des trajectoires humaines marquées par la dignité et le courage. En avril 2025, 122 millions de personnes étaient déplacées dans le monde. Pamis elles, 42 millions de réfugié·es reconnus, et 49 % de ces personnes sont des enfants. En Tunisie, entre 5 400 et 12 600 personnes sont enregistrées comme réfugié·es ou demandeur·ses d’asile. La Tunisie, terre de passage et d’accueil à bien des moments de son histoire, n’est pas étrangère à cette réalité. Elle a, par ailleurs, pris des engagements clairs, fermes, structurant. En matière de protection des réfugié·es, la Tunisie, signataire de la Convention de Genève de 1951 et de son Protocole de 1967, la Tunisie est tenue de respecter le principe de non-refoulement et de garantir les droits fondamentaux des personnes réfugiées. Elle a également ratifié la Convention de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) de 1969, qui élargit la définition du réfugié aux personnes fuyant l’agression, la domination ou l’instabilité grave de l’ordre public en Afrique. Enfin, l’article 26 de la Constitution tunisienne de 2014 reconnaît explicitement le droit d’asile politique, en interdisant l’extradition pour motifs politiques.Et pourtant… Ces droits affirmés sur le papier, se heurtent à une précarité en pratique, sur le terrain.
Les réfugié·es et demandeur·ses d’asile vivent bien souvent dans l’ombre. Loin des principes affirmés, ils et elles affrontent insécurité, violences racistes, pauvreté extrême, et trop souvent, indifférence ou hostilité. La Tunisie ne dispose toujours pas d’une loi nationale sur l’asile : l’accueil et l’assistance sont délégués à des agences internationales, sans cadre juridique clair, sans responsabilité institutionnelle directe de l’État même si elle dispose d’un cadre légal pour les étrangers, qui relève surtout du contrôle et de la répression [lois de 1968 et 2004]. Le droit à l’asile, garanti au niveau constitutionnel, n’est pas effectif, faute de loi nationale et d’institutions dédiées.
Ce vide juridique laisse place à l’arbitraire, et à une précarité injustifiable. Accès limité à la santé, à l’éducation, au logement, au travail : les droits fondamentaux deviennent des privilèges conditionnels. Or, être réfugié·e n’est pas un statut temporaire. C’est une réalité qui appelle des droits, une protection, une reconnaissance pleine.[1]
La Tunisie ne peut oublier qu’elle a elle-même connu l’exil. Des générations de Tunisien·nes ont fui la colonisation, la dictature, la répression ou la pauvreté. L’exil ne nous est pas étranger. Il est inscrit dans notre mémoire collective.
Les migrant·es subsaharien·nes jouent aujourd’hui un rôle décisif dans l’agriculture tunisienne, notamment dans les régions où notre propre main‑d’œuvre a déserté les champs, les métiers manuels et même le pays, poussée par le désespoir ou l’absence de perspectives.
Ce phénomène est d’autant plus cruel que la Tunisie elle-même voit chaque année des milliers de ses enfants risquer leur vie par la mer, dans des conditions inhumaines. En 2023, plus de 3 100 personnes ont péri en Méditerranée en tentant la traversée parmi elles, des Tunisien·nes, jeunes, diplômé·es, travailleurs, mères, enfants. Des êtres humains, eux aussi en quête d’un lendemain possible. Alors refuser la solidarité avec les réfugié·es aujourd’hui, c’est nier une part de notre propre histoire.
En cette journée, défendre les droits des réfugié·es n’est pas une question de charité. C’est honorer nos engagements internationaux, respecter le droit, et affirmer une vision humaniste de notre société. Et parce que les droits ne se divisent pas…
Il serait donc hypocrite de dénoncer les migrations “non désirées” tout en fermant les yeux sur celles que nous provoquons nous-mêmes, par manque de justice sociale, d’inclusion ou de vision. Car l’exil n’a pas de couleur unique. La souffrance de l’exilé subsaharien ou tunisien est la même : celle d’un être humain jeté hors de sa terre faute de dignité, de sécurité ou de reconnaissance. Face à cette réalité, la réponse ne peut être uniquement sécuritaire ou répressive. Elle doit être globale et structurée : avec une politique migratoire nationale digne, claire, et respectueuse des droits humains. Avec des conventions bilatérales et multilatérales renforcées avec l’Europe, permettant des mobilités légales, sécurisées et choisies, que ce soit pour travailler, étudier ou vivre en paix. Avec une liberté de circulation mieux pensée, qui bénéficierait autant aux sociétés d’accueil qu’aux pays d’origine : car l’Europe a besoin de main-d’œuvre et de matière grise, et la Tunisie, de débouchés, de reconnaissance et de passerelles pour ses talents.
Rendre possible un rêve accessible par les voies légales, c’est aussi faire reculer les trafics, les naufrages, les humiliations, les détentions arbitraires, les discours de haine. C’est éviter de devoir “chasser, rapatrier ou menacer” des personnes qui ne demandent qu’à vivre dignement.
Nous ne voulons plus d’un monde où la Méditerranée est un cimetière et la frontière une arme.
Nous voulons des accords équitables.
Nous voulons une mobilité libre et encadrée.
Nous voulons une reconnaissance mutuelle de nos dignités.
En cette Journée mondiale des réfugié·es, je ne peux que lier cette cause à celle de toutes celles et ceux qui, en Tunisie, s’engagent au quotidien pour défendre les plus vulnérables parfois au prix de leur propre liberté.
C’est pourquoi je lance un appel de salut, de paix et d’humanisme :
Libérez les prisonnières et prisonniers de la société civile tunisienne !
Celles et ceux qui, avec courage et intégrité, ne font que leur travail. Celles et ceux qui ne cherchent ni le conflit, ni le pouvoir, mais seulement à accompagner, alerter, compléter, là où l’État s’essouffle et a besoin de soutien.
Mettre en prison celles et ceux qui tendent la main aux démuni·es, c’est oublier que le droit ne doit jamais être un instrument de peur, mais un pont entre la justice et l’humanité. Ce 20 juin, pensons aux réfugié·es. Mais pensons aussi à celles et ceux qui luttent pour que notre pays reste fidèle à ses engagements. Car la dignité n’est pas négociable. Ni ici, ni ailleurs.
[1]Loi n° 68‑7 de 1968, Loi n° 2004‑6 de 2004, Projet de loi sur l’asile (2016), Constitution 2014, article 26
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