Rami et Salma, deux personnages de nos ouvrages scolaires du primaire ayant marqué notre enfance. Ces petits enfants ont grandi mais leurs destinées ne sont pas les mêmes.
Salma vit dans la ville de Béni Khiar (gouvernorat de Nabeul). Son père est un cadre dans une banque. Sa mère est enseignante. Ces derniers suivent avec minutie son parcours scolaire dès la maternelle. Sa mère, surtout, avec la sévérité d’une éducatrice qui côtoie et appréhende la fainéantise des jeunes. Salma intègre avec brio le lycée pilote de Nabeul. Pas besoin de prendre les transports en commun. Son père, travaillant également dans cette ville, la dépose sur son chemin.
Son rythme scolaire est soutenu. Malgré cela, elle suit également des cours privés. Mais la jeune fille a de quoi se divertir parfois : les excursions scolaires et la plage en été. Parfois, un voyage organisé par la banque de son paternel. Sa mère rêve de la voir médecin. Son père préfèrerait qu’elle suive un cursus d’ingéniorat. L’essentiel est qu’elle quitte le pays.
Rami, quant à lui, habite dans un village près de la ville de Redeyef (gouvernorat de Gafsa). Durant son parcours de lycéen, il a été placé dans un internat du lycée 2 mars de cette ville.
Au menu, des sandwichs à l’harissa avec des miettes de thon et de salades matin et soir. C’est toujours le cas en 2023. Des élèves sont encore “nourris” de la sorte. Des lycéens qu’on élève dans la privation et la frustration. En étant dans un internat, Rami a eu la chance d’éviter la galère des déplacements dans des bus bondés à l’image de beaucoup de lycéens à travers le pays. Il a passé cette année son bac informatique.
Sa mère a achevé avec beaucoup de peine ses années de collège et n’avait d’autre choix qu’un boulot dans une usine. Son père travaille comme ouvrier dans la Compagnie des phosphates de Gafsa. Il est le benjamin d’une famille composée de 4 enfants. Sa sœur aînée a eu son bac et a choisi de partir étudier à Sousse.
Son frère a eu un diplôme en commerce, mais cherche à intégrer la Compagnie de phosphates. Son autre frère Raed a été évincé du lycée lors de sa première année secondaire à cause de ses redoublements répétitifs. Ses parents l’ont mis dans un établissement éducatif privé en espérant qu’il se ressaisisse. Environ 69 mille élèves ont quitté les bancs de l’école durant l’année scolaire 2021-2022.
Bien qu’ayant du mal à joindre les deux bouts, les parents de Rami et Raed ont placé leurs enfants dans des cours privés. Le premier en mathématiques, informatique et anglais. Une nécessité, à en croire ses professeurs. Ces derniers dispensent eux-mêmes des cours dans ces matières chez eux.
Le deuxième en mathématiques et physique-chimie. Ça représente environ un tiers de leurs revenus par mois à leurs parents sans compter les frais des fournitures scolaires.
Ils sont à l’image d’autres Tunisiens qui dépensent 1 milliard 468 millions de dinars en cours particuliers durant l’année scolaire, selon une étude intitulée « Les coûts de l’éducation pour la société : entre l’illusion de la gratuité et la pression financière sur les familles » du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES).
Rami n’a d’autres sources de divertissement que le foot. En été, il attend avec impatience les quelques journées à passer chez sa tante à Mahdia. Le reste des vacances, il a droit à un ventilateur et à des milliers de vidéos TikTok.
Il n’a pas eu son bac comme beaucoup d’autres bacheliers de son lycée. Cette année, la ville de Gafsa enregistre le plus faible taux de réussite au baccalauréat avec 28,82%. Mais personne dans cette ville ne s’en étonne.
Salma a eu sans grande surprise son bac, avec 18,72 de moyenne. Le taux de réussite dans le gouvernorat de Nabeul est de 50,26%.
Salma est-elle plus méritante que Rami ? L’échec de Khalil est-il une fatalité ? Bien des élèves originaires de Nabeul n’ont pas eu leur bac. Ils sont issus de la ville ou de nombreux quartiers et villages où les conditions de vie sont rudes.
D’autres bacheliers originaires des villes réputées les plus marginalisées du pays ont eu avec brio ce diplôme. À l’image du jeune Slim Snoussi, habitant de Jelma (gouvernorat de Sidi Bouzid) ayant eu son bac avec 18.43 de moyenne en section mathématiques.
La démocratisation de l’enseignement a fait du mérite le moyen principal de l’ascension sociale. Jadis, des fils d’agriculteurs sont devenus professeurs, avocats. Certains maitrisent l’arabe et le français mieux que leurs enfants. La réussite n’est pas forcément une affaire d’héritage, de supériorité naturelle qui se transmet de père en fils.
La méritocratie nie les distinctions sociales. Elle est le gage de la justice sociale. Puisque seule l’institution éducative est habilitée à certifier les compétences indépendamment des classes sociales, des lieux de naissances.
Mais peut-on pourtant nier que le mérite est aussi une affaire de classes ? Si Rami était né dans la ville de Salma aurait-il eu plus de chances de réussir ? Probablement oui, si on se réfère à l’état de l’éducation nationale, devenu un marché juteux. Plus vous avez les moyens d’inscrire vos enfants dans le privé, de les bourrer de cours particuliers, de leur offrir le luxe d’un cours de piano, plus ils ont la chance de s’en sortir brillamment.
A l’inégalité de classes se greffent la fameuse inégalité régionale. L’état délabré des établissements scolaires dans les régions intérieures, le fait que des profs boudent ces zones biaisent la noble idée du mérite.
La rudesse de la nature, l’absence de sources de divertissements offrent des perspectives désespérantes aux jeunes et moins jeunes : la frustration ou la résilience. La concurrence entre les élèves est manifestement faussée. Un joint, de l’alcool, même frelaté, s’avèrent plus attrayants qu’un cours d’Histoire ou de français pour les jeunes de ces régions.
Mais qu’ils se “rassurent”, ils sont aussi mauvais en langues et en sciences humaines que leurs compatriotes à Tunis ou au nord du pays. Même quand il s’agit de celles et ceux qui se vantent de leur 20 de moyenne en bac.
Restaurer la place du mérite passe par la lutte contre les discriminations en sachant que l’égalité reste un idéal difficile à atteindre.
Le mérite passe également par d’autres chemins que l’obtention d’un diplôme de baccalauréat. Parce qu’il existe d’autres formes de talents, plus manuelles, souvent négligées et dénigrées. Parce qu’il y a d’autres types d’intelligences à cultiver. Parce qu’il faut de tout pour faire un monde. Cela nécessite une vision politique mais aussi un changement des mentalités. Le diplôme ne devrait pas être pour les parents un but en soi, un reflet du désir de mimétisme et de la rivalité sociale.
Une société plus éveillée reconnaitra le poids des inégalités, le gouffre de la défaillance généralisée, le rôle du hasard mais n’en ont fait pas une fatalité justifiant la médiocrité. Ou encore un prétexte pour sombrer dans une victimisation déresponsabilisante. Le mérite ne rime pas toujours avec une égalité “des chances”. Mais ça ne dédouane pas les individus et la collectivité de toute responsabilité, de la nécessaire valorisation de la valeur du travail, de l’effort. Partout, à Nabeul comme à Gafsa.
Votre article pourrait tout à fait convenir à la France !
Il n’y a pas d’ »égalité des chances « : c’est une fadaise claironnée par nos politiques; ici, pour le prouver, Notre 1 er ministre Lionel Jospin ( 1997-2002 ) avait décidé que son but était que 80% d’une génération d’élèves acquièrent le bac !!
Aujourd’hui, environ 92% l’obtiennent chaque année avec un système de notations hallucinant, à un moment, certains élèves pouvaient avoir 22/20 ?!! Les professeurs sont sommés « d’être indulgents « !
On a depuis créé des générations d’élèves et de parents qui s’imaginaient prétendre faire les études les « plus prestigieuses «, mais la frustration est venue, en effet, les prépas se sont mises à regarder de quel lycée ces élèves étaient issus et donc même avec une mention très bien, l’élève pouvait être recalé.
Avec cette pseudo « égalité des chances « , à l’université, la 1 ère sélection se fait à la licence, puis comme à travers un tamis, en Master 1 et enfin en Master 2 : donc, beaucoup d’appelés et très peu d’élus au final !
Au terme de 3 ou 4 d’études post- bac, ils se retrouvent avec un diplôme ( licence ou Master 1 ) qui leur offre peu de possibilités sauf qu’ils ont peut-être acquis un peu de culture générale.
Mon fils est professeur d’ Histoire de l’ Art à La Sorbonne, voici ce qui le désespère, alors que ses élèves rêvent de devenir aussi professeur, commissaire priseur ou d’ entrer dans la prestigieuse École du Louvre :
– La majorité ne sait pas faire la différence entre 1 page et 1 feuille.
– ils ne maîtrisent pas la chronologie , il a posé une question à un élève :
« qu’elle est votre époque préférée ? «
« le moyen- âge «
« Le moyen- âge est une époque sur 1 000, alors affinez, quelle période «
« LA RÉVOLUTION FRANÇAISE « ( sic ) ??!!
– des élèves parviennent à faire 136 fautes de grammaire et d’ orthographe sans compter et les accents et la ponctuation, le tout sur 4 pages !
Nos « élites « ont tellement méprisé « le travail de la main « qui sont appelés « les techniciens hautement qualifiés « que lorsque nous avons dû relancer nos centrales nucléaires, notre filière de formation avait été anéantie par Hollande et nous avons dû faire appel à des techniciens américains payés 15 000€/mois avec divers avantages pour relancer ou réparer nos centrales nucléaires.
Cordialement