Avec la première vague d’immigrés en France, au XIXe siècle, « l’autre », celui qui ne nous ressemble pas –même s’il arrive d’un pays frontalier–, provoque une hostilité immédiate. Les Belges de 1820, les Italiens de 1880, les Polonais de 1930, les Algériens et les Portugais de 1960 ou encore les Chinois des années 2000 : la xénophobie n’a épargné personne. Du « rital », au « bicot », en passant par « bol de riz », les quolibets sont nombreux. Mais c’est surtout au milieu du XXe siècle, que le racisme commence à faire débat dans la société française. Les immigrés sont accusés de tout les maux et seraient une menace pour l’identité française. Dans le film Dupont Lajoie (1974), un couple de cafetiers, ouvertement raciste, part en vacances dans un camping mais lors d’un bal, le mari –Georges– s’en prend violemment à un ouvrier algérien. Les gendarmes n’embarquent que les Algériens. Plus tard, George viole la fille d’un campeur, et la tue. Il transporte le corps vers les baraquements des ouvriers algériens pour les faire accuser. Lorsque le cadavre de la jeune fille y est retrouvé, les campeurs organisent une ratonnade d’une violence inouïe et tuent un Algérien. Au final, le meurtre de la jeune fille est imputé à l’Algérien qui a été tué, et les autres ouvriers sont accusés du meurtre de leur compatriote. Ce film, fait écho à un contexte où la France connait une vague de violences racistes sans précédents. Depuis, ça n’a jamais cessé. C’est aussi à cette période qu’est né le Front National, le parti d’extrême droite français qui, aujourd’hui, arrive en tête au premier tour des élections législatives.
Instrumentalisation politique des faits divers
Ainsi, à chaque élection, la même rengaine : l’immigration serait la principale menace qui pèse sur la France. Insécurité, chômage, grand remplacement, terrorisme, tout y est. Les chiffres sont manipulés et viennent appuyer la prétendue invasion d’étrangers. Tout est bon à prendre, même les drames les plus tragiques. Instrumentalisés pour nourrir un discours de haine, les faits divers sont présentés comme un phénomène régulier, voir systémique.
Pour Hosni Maati, avocat pénaliste franco-tunisien, « cette instrumentalisation permet de confirmer des grilles de lectures préexistantes construites sur une pensée simpliste qui associe immigration et insécurité, jeunes de banlieues et délinquance, terrorisme et musulmans ». Ainsi, alors que la France est secouée par un maelström politique inédit, un fait divers fait la une de tous les médias et la classe politique tout entière s’est emparée de l’affaire. Il s’agit du viol à caractère antisémite d’une jeune fille de 12 ans par deux mineurs, âgés de 12 et 13 ans. Selon l’Agence France-Presse (AFP), la victime a expliqué avoir été abordée par trois adolescents, dont un ex petit-ami, et entraînée dans un hangar alors qu’elle se trouvait dans un parc proche de son domicile. Les suspects l’ont frappée et « lui ont imposé des pénétrations anales et vaginales, une fellation, tout en lui proférant des menaces de mort et des propos antisémites ». Elle a été traitée de « sale juive » et il lui a été reproché d’être « contre la Palestine et de soutenir Israël ». Dans un premier temps, des médias ont sous-entendu que les agresseurs étaient d’origines Maghrébines. On apprend, quelques jours plus tard, qu’ils ne sont ni immigrés, ni descendants d’immigrés. On présente même l’un d’entre eux comme « un petit blondinet ». Blondinet certes, mais musulman. Le Figaro[1] raconte que l’agresseur aurait confié à plusieurs camarades qu’il s’est « converti à l’islam en mars dernier, au moment du ramadan ». L’un d’entre eux aurait même ajouté : « il postait des photos de prière sur Snapchat ». Par ailleurs, il s’intéressait au conflit israelo-palestinien : « sa photo de profil Tik Tok montre le slogan « Stop génocide » aux couleurs du drapeau palestinien », « il m’a dit qu’il détestait Israël, on en parlait ouvertement », assure une amie avec qui il échangeait sur la religion et le conflit israélo-palestinien ». Du pain béni pour l’extrême droite (mais pas que) qui s’est vite saisi du drame pour travestir un fait divers en une vérité unique : les musulmans sont ontologiquement antisémites et violents. Taxer ses rivaux d’antisémitisme permet à l’extrême droite de se débarrasser de son passé collaborationniste, en affirmant protéger les juifs français de la communauté musulmane. Tout en accusant son adversaire politique le Nouveau Front Populaire (alliance de partis de gauche), et en particulier le parti La France Insoumise, d’antisémitisme.
Marine le Pen a dénoncé « la stigmatisation des juifs » par « l’extrême gauche à travers l’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien ». Une récupération qui s’inscrit dans la continuité de la criminalisation du soutien au peuple palestinien, sur fond d’amalgame entre dénonciation des crimes commis par Israël et antisémitisme. Pour Hosni Maati, la prudence est de rigueur : « l’affaire du viol de Courbevoie vient de débuter, l’instruction a pour but d’aboutir à la manifestation de la vérité, or, le temps judiciaire n’est pas le temps médiatique et encore moins le temps politique ».
« L’ethnicisation » des faits divers
Depuis plusieurs années déjà, de nombreuses associations dénoncent « l’éthnicisation » des faits divers, car elle contribue à la circulation de représentations susceptibles de conforter les préjugés et d’alimenter les amalgames. Or, explique Hosni Maati, « les faits divers nous rappellent qu’il faut toujours avoir en tête les principes fondamentaux du droit, le premier d’entre eux étant celui de l’individualisation de la peine : on ne juge pas une personne pour le groupe auquel elle est censée appartenir mais pour ce qu’elle est ». Et de poursuivre : « malheureusement on constate trop souvent une tendance à l’essentialisation dès lors qu’une personne est considérée a tort ou à raison comme étant d’origine étrangère». En effet, un fait divers dont l’accusé est arabe, noire, immigré, descendant d’immigré, musulman est systématiquement récupéré par l’extrême droite. De nombreux exemples illustrent ces dérives. En avril 2022, en pleine campagne présidentielle, un jeune homme juif, est percuté par un tramway en banlieue parisienne, après avoir été frappé et poursuivi par une quinzaine de personnes. Les images de sa violente agression circulent sur les réseaux sociaux et très vite, l’extrême droite s’empare de cette affaire. « Pourquoi aucun média, ni aucun politicien, ni aucun membre du gouvernement ne parle de la mort de Jeremie Cohen, tabassé par des racailles ? », a tweeté Eric Zemmour. Puis : « Est-il mort parce que juif ? Pourquoi cette affaire est-elle étouffée ? ». Le terme « racaille » étant utilisé par l’extrême droite pour définir les personnes racisées habitant des quartiers populaires. Finalement, l’enquête a réfuté la dimension antisémite du drame.
Quelques mois plus tard, un nouveau fait divers : le meurtre d’une jeune fille de 12 ans, Lola dont la principale suspecte est une femme, algérienne, qui se trouvait en situation irrégulière sur le sol français et avait reçu une obligation de quitter le territoire français. L’horreur est telle qu’elle aurait dû décourager toute tentative d’exploitation politique. Pourtant, Eric Zemmour écrira :
Dahbia B., Amine K., Friha B. et Rachid N., ce sont les noms des quatre suspects algériens dans l’affaire du meurtre de #Lola. Quand défendrons-nous nos enfants contre ces francocides qui sont toujours commis par les mêmes, toujours au détriment des mêmes ?
Eric Zemmour
Pour l’extrême droite, il ne s’agit plus d’un drame mais d’une opportunité : dénoncer le « laxisme des politiques migratoires ». Même mécanique après la mort d’un jeune homme, poignardé lors du bal d’un village. Comme à son habitude, l’extrême droite s’est appropriée le drame en proposant une rhétorique ethnique et territoriale : Thomas serait la victime de « racailles » venues pour « tuer du Blanc ». Amalgame classique entre insécurité et immigration, mais aussi entre une France rurale et périurbaine menacée d’insécurité et de déclassement par les grandes villes et les banlieues. Une semaine après le drame, des militants identitaires ont organisé une descente dans un quartier populaire avec l’intention de se battre. Leur cible ? Les immigrés, accusés de vouloir tuer des Français. Est-ce un hasard si le Rassemblement National est arrivé en tête du scrutin dans la commune où le drame a eu lieu ? Elle révèle, en tout cas, une polarisation de plus en plus nette de la société française.
[1] Haine d’Israël, conversion à l’islam, addiction aux filles… Révélations sur le collégien de 12 ans suspecté d’avoir piégé la victime du viol antisémite de Courbevoie, Le Figaro.
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