Des montagnes à perte de vue s’offrent aux yeux, une brise légère et froide titille les herbes sauvages et les fleurs jaunes d’Oxalis jonchant le sol à l’entrée du village de Zriba Olia. L’endroit est coupé du monde. Seuls des linges en train de sécher dans la cour d’une maison, juste en dessous de la montagne, témoignent d’une présence humaine. Les seuls gardiens des lieux semblent être deux chiens qui guettent farouchement ceux qui s’aventurent dans le coin.
Connu pour être un vestige amazigh, ce village, situé à environ trois kilomètres au sud de Hammam Zriba (gouvernorat de Zaghouan), est loué pour sa dimension historique. Fondé au 16ème siècle, il a été construit sur deux pics rocheux culminant à 300 mètres.
En remontant jusqu’au sommet du village, on retrouve un mini-bus ayant transporté une dizaine de visiteurs. Un homme s’empresse de nous donner la carte du restaurant situé sur l’enceinte. Ce n’est pas un guide touristique chargé de nous dévoiler les recoins et les spécificités de ce village. Pour cela, il n’y a qu’une plaque décrivant brièvement le lieu et deux flèches indiquant le chemin à suivre pour le visiter.
Et il faut bien regarder où mettre ses pieds pour s’y aventurer. Les herbes sauvages camouflent la présence de gros cailloux. Difficile alors d’explorer en toute sécurité les ruines qui s’y trouvent. Des maisons souvent munies de coupoles, aux portes voutées, pour la plupart délabrées, semblent servir de bergeries. Des poules s’y promènent.
Au sommet, on aperçoit des chaînes de montagnes dont “Djbel Zaghouan”, le quatrième plus haut sommet de la Tunisie. En arpentant les ruelles, on découvre des constructions rudimentaires en pierres de taille, totalement ou partiellement détruites. Il faut enjamber les rochers pour explorer ces habitations, qui ne sont rien d’autres que des maisonnettes abandonnées.
Des petites fenêtres triangulaires ou carrées sont creusées dans les murs, avec des portes cadenassées. D’autres en sont totalement dépourvues et sont complètement envahies par les herbes sauvages et toutes sortes de déchets. Le village se caractérise par les multiples escaliers qui le traversent, permettant d’accéder aux diverses constructions étagées.
Au sommet, on y trouve une zaouïa, construite au XVIIe siècle, et dédiée à Sidi Abdel Kader Jilani, fondateur de la Qadiriyya, inhumé à Bagdad, ainsi qu’une mosquée tapissée. Des tableaux coraniques sont suspendus aux murs.
Pas loin, il y a un restaurant. Rien d’extraordinaire pour les Tunisiens : du couscous, Mlawi, etc. Et à proximité, un “shop”. Le nom fait croire qu’il s’agit d’une boutique de vente de produits artisanaux. Or, on n’y trouve aucun vendeur. Juste des drapeaux amazighs, des tapis, des poteries, des cruches par ici et par là. Ce “côté folklorique” qui relève de “clichés” dans la promotion de la culture amazighe déplaît à Mohamed Khalfallah, de l’Association Tamaguit pour les droits, libertés et culture amazighs, interviewé par Nawaat.
L’identité tunisienne questionnée
En effet, le ministère du Tourisme joue sur ce côté “exotique” pour encourager une forme de tourisme alternatif, mettant en avant des sentiers battus du pays, dont les vestiges d’architecture amazighe tels que Matmata, Cheneni, Tekrouna et autres. Sauf qu’ils ne sont pas tous bien entretenus, à l’image du village de Zriba Olia.
La culture amazighe ne se résume pas à des ruines, symboles du passé, lance l’activiste amazigh.
Ceux qui nous présentent comme une minorité se leurrent. Les invasions byzantines, romaines ou arabes ne doivent pas occulter le fait que nous sommes le peuple autochtone d’Afrique du Nord. Notre culture est un élément constitutif de notre identité actuelle et elle est multidimensionnelle. Elle se manifeste à travers notre langage, notre cuisine, certains de nos habits traditionnels, etc.
Et de poursuivre : “Les Tunisiens en sont imprégnés sans en être conscients. Après 2011, quand on a commencé à hisser le drapeau amazigh, certains Tunisiens ont cru que nous étions des étrangers”.
Le militant se réfère à une étude de National Geographic. D’après ladite étude, le génome des Tunisiens n’est arabe qu’à hauteur de 4%, mais nord-africain à 88 %.
Ce sujet est souvent objet de controverses. Les passions se déchaînent dès qu’on parle d’identité, notamment lors de l’immédiat post-révolution. Serions-nous : Arabo-musulmans, Méditerranéens ou encore Amazighs ? La question récurrente constitue une ligne de démarcation politique et sociétale.
Dans l’imaginaire local, être musulman signe forcément être arabe, souligne Abdellatif Hannachi, historien tunisien, interviewé par Nawaat. “Les Amazighs sont une composante historique de l’identité du pays, tout comme les Arabes ou les Juifs”, rebondit-il. Une composante qui s’est diluée avec l’arabisation du pays à la suite de la conquête islamique de la Tunisie.
L’historien relève la capacité d’intégration des Amazighs avec les ethnies qui se sont succédé en Tunisie, notamment les Arabes. Opposés initialement à l’invasion du pays par les conquérants musulmans, ils ont participé par la suite à ces mêmes conquêtes mais vers d’autres territoires, explique le spécialiste. Et d’ajouter que leur volonté d’intégration dans cette nouvelle civilisation les a poussés, pour certains, à arabiser leurs prénoms.
L’Amazighité : juste un label
Justement, la question des prénoms est symptomatique, selon les militants amazighs, de la marginalisation de leur culture. Et ce, après le refus de certaines mairies d’enregistrer un prénom amazigh.
Cette reconnaissance de l’amazighité du pays est revendiquée par ces militants depuis 2011. Les Amazighs osent désormais fêter Yennayer, qui correspond au premier jour du calendrier agraire utilisé par les Amazighs et célébré entre le 12 et le 14 janvier.
Avant cette date, parler de ce sujet était un “tabou”, affirme le représentant de l’Association Tamaguit. Les régimes des présidents Bourguiba, puis Ben Ali, ont occulté, par la répression, cette part de notre identité.
“Les Amazighs avaient peur de pratiquer leur langue”, relève le militant associatif. Cette lecture est nuancée par l’historien. “Bourguiba ne visait pas particulièrement les Amazighs. Il faut se situer à l’époque de la construction de l’État national. Bourguiba œuvrait à l’unification nationale en anéantissant toute appartenance qui pouvait la concurrencer ou l’affaiblir, qu’elle soit tribale, ethnique ou autre.”
Et de préciser que les Amazighs faisaient partie du mouvement de libération nationale et ont été parmi les bâtisseurs de l’État national post-indépendance. En raison des changements socio-économiques et climatiques, beaucoup d’entre eux ont délaissé la montagne pour investir les grandes villes, explique l’historien.
Absence de toutes formes de reconnaissance
Reste que, contrairement à l’islam et à l’arabité, l’État ne reconnaît officiellement aucune autre dimension culturelle du pays. Les Constitutions tunisiennes de 1959, ainsi que celles de 2014 et 2022, ne mentionnent pas l’amazighité comme une composante de l’identité nationale.
Chose déplorée par les militants amazighs. Cette dimension culturelle du pays sert seulement d’appât pour les touristes. Sous la bannière de l’“authenticité”, “du patrimoine”, des termes dénués de charges politiques, les autorités vantent des éléments étiquetés amazighs : le couscous, les tapis et bijoux traditionnels, etc.
Elles organisent également des festivals, à l’instar du “Festival des villages montagnards” dans la région amazighe de Zraoua. Là aussi, l’activiste amazigh pointe du doigt la réticence des autorités à reconnaître de façon claire et nette la dimension amazighe de ces festivals. “On préfère utiliser le descriptif ‘montagnard’ au lieu d’Amazigh”, regrette-t-il. Cette désignation est toujours mise à l’écart au profit de termes généraux.
La valorisation réelle de la culture amazighe est plutôt l’œuvre d’initiatives personnelles, des Amazighs qui tentent de perpétuer leur culture à travers, par exemple, la restauration de certaines constructions typiquement amazighes et l’aménagement d’autres, comme des maisons d’hôtes, souligne le militant.
La marginalisation de l’amazighité du pays transparaît également à travers l’absence d’études en la matière. Il n’y a pas de statistiques sur leurs localisations géographiques, ni le nombre de locuteurs de la langue amazighe, contrairement à ce qui est effectué au Maroc et en Algérie. Deux pays maghrébins partageant avec la Tunisie cette culture amazighe, même si les Amazighs ne sont pas une ethnie entièrement homogène à travers ces pays.
La transmission de la langue amazighe est également un enjeu majeur pour Mohamed Khalfallah. Cette transmission s’effectue oralement et ne résiste pas à l’arabisation. Pour Khalfallah, la diminution du nombre d’amazighophones est dûe à la censure, mais aussi à la volonté des Amazighs de préserver leur langue. “Ils la considèrent comme une chose précieuse que personne ne doit connaître. Mais ils se trompent.”
Un effort à faire est à double sens, aussi bien de la part des locuteurs amazighs que de l’État, pour faire connaître cette langue. Pour l’activiste, il s’agit surtout de “réconcilier le Tunisien avec son identité”. Et de lancer :
Nous refusons d’être perçus comme une minorité et des espèces en voie de disparition.
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