Introduction générale
La Tunisie se distingue depuis le XIXe siècle par un héritage réformateur singulier dans le monde arabo-musulman. Elle fut l’un des premiers États à abolir l’esclavage en 1846, à adopter une déclaration des droits avec le Pacte fondamental de 1857, puis une Constitution en 1861. Ces avancées illustrent une trajectoire historique marquée par des tensions entre modernité juridique et réalités conservatrices.
Depuis la révolution de 2011, la Tunisie a été saluée pour ses progrès en matière de droits humains, notamment grâce à l’inscription de la liberté de conscience dans les Constitutions de 2014 (article 6) et de 2022 (article 27). Pourtant, des freins demeurent : clauses discriminatoires, formules juridiques à connotation religieuse obligatoire, et pratiques administratives en décalage avec les principes constitutionnels.
Ce travail se propose d’analyser ces tensions selon trois axes : l’évolution vers la reconnaissance constitutionnelle, les contradictions du droit positif tunisien, et les perspectives de réforme nécessaires pour garantir l’effectivité de ce droit fondamental.
I. Une reconnaissance constitutionnelle progressive
Le socle historique allant de 1846 à 1959 atteste d’une tradition juridique pionnière. L’abolition de l’esclavage sous Ahmed Bey en 1846, le Pacte fondamental de 1857 garantissant la sécurité et la liberté à tous les sujets, la Constitution de 1861 – première du monde arabe – et enfin la Constitution de 1959 qui garantit la liberté de croyance (article 5), constituent les fondations de cette dynamique.
La rupture initiée par la révolution de 2011 s’est traduite par l’adoption de la Constitution de 2014, la première à introduire explicitement la liberté de conscience à l’article 6. Celle de 2022, via son article 27, clarifie davantage cette notion en affirmant la liberté de pensée, d’opinion et de conscience.
II. Les contradictions du droit positif tunisien
Certaines restrictions constitutionnelles posent encore problème. L’article 88 de la Constitution de 2022 impose que le président soit de confession musulmane, ce qui viole le principe d’égalité. De plus, les serments religieux obligatoires – formulés « par Dieu Tout-Puissant » – s’imposent aux députés, ministres et au président, sans alternative laïque.
Par ailleurs, des obstacles législatifs et administratifs persistent. L’article 226 du Code pénal, relatif à l’atteinte au sacré, peut être utilisé pour restreindre la liberté d’expression. L’enseignement religieux dans les manuels scolaires reste centré exclusivement sur l’islam sunnite, marginalisant les autres croyances. Dans la fonction publique, certaines circulaires restreignent encore l’expression des convictions religieuses, comme le port du voile.
III. Pour une effectivité réelle de la liberté de conscience
Des réformes s’imposent. Sur le plan constitutionnel, il est nécessaire de supprimer toute exigence religieuse pour accéder à la présidence et d’introduire des formules de serment neutres, comme cela se fait en Allemagne ou en Afrique du Sud.
Législativement, il faut abroger ou réécrire l’article 226, et adopter une loi-cadre sur la liberté de conscience alignée sur les standards internationaux. Sur le plan institutionnel, la mise en place d’une Cour constitutionnelle effective, ainsi que d’une instance indépendante contre les discriminations religieuses, renforcerait la protection des libertés individuelles.
Conclusion
La Tunisie a posé des jalons majeurs en matière de liberté de conscience, mais leur effectivité reste entravée par des contradictions structurelles. L’harmonisation entre Constitution, lois et pratiques est essentielle pour donner tout son sens à cette liberté fondamentale. Cela exige un engagement politique, une volonté de réforme et un renouvellement des mentalités. La crédibilité de la démocratie tunisienne, et plus largement le contrat social tunisien, en dépendent.
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