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Une mission d’étude de l’Union Européenne (UE) vient de terminer son rapport de diagnostic sur la Société Civile Tunisienne (SCT), consultable ici. Ce rapport servira de base pour le prochain Programme d’appui à la SCT (PASC Tunisie) de l’UE. Retour sur les principaux éléments de ce rapport et quelques propositions d’actions pour l’avenir.

Synthèse du rapport

Le rapport, d’une cinquantaine de page, contient quatre parties outre une introduction et des annexes.

Dans la première partie, le rapport note que le contexte actuel de la SCT est marqué par la promulgation d’une nouvelle loi sur les associations , qui se distingue par l’absence de sanctions privatives de liberté et par la simplification des procédures pour créer et gérer une association.

Les points négatifs relevés dans ce texte restent anecdotiques. D’un point de vue institutionnel, le rapport nous apprend l’existence d’une nouvelle direction des associations au Premier Ministère, qui vient s’ajouter au centre IFEDA, créé depuis 2000. Mais il relève également le manque de dispositions permettant une implication plus institutionnalisée de la SCT dans la bonne gouvernance locale et nationale et dans le développement.

Dans la deuxième partie, le rapport révèle que l’état de connaissance de la SCT est limité. La nouvelle dynamique associative de l’après-14 janvier a permis de créer 2000 nouvelles associations, auxquelles s’ajoutent 700 depuis le 23 octobre 2011. Mais la société civile, en grande partie jeune et en construction, reste assez mal connue d’un point de vue quantitatif et qualitatif, y compris des acteurs institutionnels nationaux et internationaux.

Néanmoins, nous savons que les associations existantes opèrent sur plusieurs domaines et à différents niveaux ; certains thèmes sont nouveaux et conjoncturels, liés à la transition démocratique, d’autres sont anciens et autant mobilisateurs avant le 14 janvier qu’après, notamment la culture, l’environnement et les droits des femmes.

La troisième partie du rapport fait la description fonctionnelle de la SCT et de ses composantes. On y affirme que la relation entre la SCT et l’Etat est emprunte de méfiance réciproque et d’une absence flagrante de procédures de concertation. Cette concertation souhaitée par les associations elles-mêmes (84% des associations consultées) devrait participer à l’établissement d’un partenariat équilibré, mais qui ne devrait pas faire perdre son indépendance aux composantes de la SCT.

Le rapport pointe la nécessité pour les associations de se mettre en réseau afin d’en finir avec l’atomisation de la scène associative, atomisation aggravée par un clivage entre modernistes et traditionnalistes. De plus, la SCT dans son ensemble reste peu ancrée dans la base populaire et les couches sociales les plus défavorisées, limitant par ce fait son impact social.

Une grande partie du rapport est consacrée à l’énumération des problèmes et faiblesses identifiées. Une vingtaine de thèmes est évoquée, avec des pistes d’actions pour le futur Programme d’Appui à la Société Civile en Tunisie, sous l’égide de l’Union Européenne. L’analyse faite par les associations elles-mêmes sur les forces, faiblesses, opportunités et problèmes de la SCT démontre que les associations perçoivent la volonté, le militantisme et l’enthousiasme comme leur principale force. Quant aux questions financières, elles apparaissent comme le problème majeur qu’affrontent les associations, qui, en conséquence, cherche des opportunités d’accès aux financements.

La dernière partie du rapport est consacrée à l’énumération des différentes missions d’appui à la SCT, qu’elles soient nationales ou internationales.

Propositions d’actions

La lecture du rapport de la commission mandatée par l’UE, ainsi que mon propre retour d’expérience, m’amènent à proposer les axes d’actions suivants :

Renforcer les capacités des associations

L’enjeu est d’avoir une société civile capable d’agir avec plus d’impact sur la vie politique, économique et sociale dans le pays. Cet axe concerne le facteur humain : développer les capacités de management, l’entreprenariat et le leadership. Les capacités qui me semblent importantes à développer sont :

– Capacité de pilotage et de conception : notamment l’aptitude à définir la stratégie de l’association, à définir sa vision et son champ d’action, à trouver des idées, à les structurer et les transformer en projets, à mobiliser des membres actifs…

– Capacité de management de projet : notamment l’aptitude à mener des projets de bout en bout, gestion de la qualité, coût et délais du projet, la gestion des équipes, la communication interne et externe…

– Capacité à assurer la gestion financière : notamment l’aptitude à être informé à temps des appels à projets des bailleurs de fonds, comprendre ce qui est demandé pour obtenir le financement et y répondre dans les délais, assurer une gestion transparente des fonds alloués (Ce qui suppose aussi la faculté d’adapter le projet en fonction des financements accordés, donc la nécessité de penser le projet dès le départ en termes de modules)

Il revient à l’Etat, aux institutions internationales et aux associations expérimentées de proposer des actions dans le cadre de cet axe.

Renforcer le rôle institutionnel des associations

L’enjeu est de permettre à l’Etat de mener une politique plus pertinente et plus impactante, en bénéficiant de l’expertise de partenaires représentatifs de la société tunisienne. Cet axe concerne donc le cadre légal et institutionnel : faire avancer les lois et les structures publiques, notamment :

– Institutionnaliser la relation entre l’Etat et la société civile à tous les niveaux : créations d’instances consultatives nationales / sectorielles / régionales, création d’une direction / bureau des associations dans chaque ministère, direction générale, agence publique, direction régionale, autorité locale…

– Définir des règles et des procédures permettant une représentativité équitables des associations, et permettant aux associations de rester indépendantes vis-à-vis de l’Etat.
– Impliquer la société civile dans des projets d’envergure, pour lesquels l’expertise et l’intervention de l’Etat seul sont insuffisantes : projets de développement (aménagement du territoire, projets à impact environnemental…), projets culturels (gestion des centres culturels, restauration des monuments),…

Il s’agit d’un champ qui relève de la responsabilité des responsables politiques, donc essentiellement des partis au pouvoir (ou les partis susceptibles d’être au pouvoir).

Renforcer les synergies entre les associations

L’enjeu est de consolider l’unité et la solidarité nationales et atténuer les disparités : idéologiques, régionales, inter classes sociales, inter générationnelles,… Cet axe concerne en priorité la stratégie des associations : cette stratégie doit être tournée vers les projets en commun et les partenariats.

– Mener des projets communs rassembleurs par des associations de tendances différentes (notamment les tendances moderniste et traditionnaliste) : par exemple des projets dans le cadre des grandes causes nationales (pauvreté, chômage, développement régional)…

– Se constituer en réseaux et des fédérations formels, locaux ou nationaux, et chercher des partenariats à l’étranger : pour bénéficier de l’expertise de chaque association, s’enrichir de l’expérience des autres pays, mener des projets plus ambitieux…

Il revient donc aux associations elles-mêmes de travailler sur cet axe, comme il revient à l’Etat et aux bailleurs de fonds d’encourager les initiatives qui s’y inscrivent.

Rapport de Diagnostic sur la Société Civile Tunisienne

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