polit-revue#4

Rarement affaire n’aura autant accaparé la semaine médiatique nationale. Le drame fait même les gros titres de quelques médias internationaux. « La troïka m’a violer* », pouvait-on lire samedi encore, Place des Droits de l’Homme, au rassemblement de soutien à la jeune fille violée par des agents de police.

Une affaire d’Etat

Khaled Tarrouch, très controversé porte parole du ministère de l'intérieur. Lors d'une conférence de presse, Tarrouch a déclaré que "la jeune fille violée et son compagnon étaient dans une situation immorale à une heure tardive de la nuit". Des propos qui ont enflammé l'opinion publique, la victime du viol a même déclaré lors d'une interview à visage caché : "j'ai pensé à me suicider en écoutant les déclarations de Tarrouche". Image : Capture d'écran

Car en dépit des assurances de « traitement objectif de l’affaire » de la part de Khaled Tarrouche, porte-parole du ministère de l’Intérieur, c’est un ensemble de choix constitutionnels et d’orientations ultra conservatrices du parti Ennahdha au pouvoir qui est épinglé aujourd’hui, pour avoir créé un terrain favorable à la perpétuation d’une bigoterie ambiante.

Au-delà de pratiques « ripoux » datant de l’ex régime, l’anonymat jusqu’à l’heure qu’il est de la victime trahit le joug persistant d’un grand tabou, elle qui a demandé à France 24 de retirer un reportage vidéo, pourtant flouté, terrorisée à l’idée d’être reconnue par sa propre famille.

Certains regrettent la politisation du dossier qui éclipse le reste : survenu sous gouvernance islamiste, il porte certes immanquablement un coup au gouvernement. Mais n’oublions pas qu’en l’occurrence, c’est la politique qui, la première, s’est invitée dans cette affaire : dès les auditions, le juge d’instruction choisit de saisir le parquet (qui est lié au pouvoir politique), pour poursuivre la victime dans ce qu’il considère être un délit distinct « d’atteinte à la pudeur ». « Un cadeau fait au ministère public », considère l’avocate Bochra Ben Hmida, qui par ailleurs incitait samedi les femmes à ne plus s’arrêter aux contrôles de police après 20h.

Par leur absurdité, les déclarations de divers officiels, dont ceux du ministère de la Justice, ont aussi reflété l’ignominie d’une certaine mentalité du « droit au viol », probablement plus répandue qu’on le croit.

Opposition et médias sensationnels en ont fait leurs choux gras. Pour autant, si cela contribue à mieux crever l’abcès, à plus grande échelle grâce à la médiatisation, faut-il bouder la satisfaction du progrès d’une cause ? Une fois de plus, la grande famille des modernistes a trouvé le moyen de s’entredéchirer au sujet d’une tragédie nationale qui aurait pu l’unir : le débat fait rage entre légalistes, féministes, féministes plus « rentre-dedans » adeptes d’une méthode trash, dont les organisateurs du rassemblement « Violez-nous ! » prévu devant le tribunal pour le procès du 2 octobre, etc.

Très loin du fait divers, impliquant de jeunes recrues (les deux violeurs ont 23 ans) de la « police républicaine » voulue par les gouvernements post-révolution, le viol a tout de l’affaire d’Etat. Il provoque un vaste débat de société, en période constitutionnelle, potentiellement prélude à une prise de conscience collective de l’importance des luttes progressistes, en amont.

*Orthographe référence à l’affaire Omar Raddad

Vendredis noirs, ou la banalisation de l’état de siège

Vendredi 28 septembre 2012, un véhicule blindé de la garde nationale stationné Place de la République à Tunis. Depuis l'attaque de l'ambassade et l'école américaine, les vendredis sont devenus l'occasion pour un déploiement sécuritaire important. Crédit image : Seif Soudani | www.nawaat.org

Décidément très en vue à l’étranger, quelques jours avant l’émoi autour de la bavure du viol, la Tunisie faisait la une des journaux occidentaux pour avoir été le pays arabe qui a le plus saccagé son ambassade US.

Et pour le deuxième vendredi de suite, les autorités tentaient de faire oublier leur bérézina sécuritaire, avec un zèle hors du commun. Ostentatoire, le dispositif policier s’arrête cependant aux coups de filet, pas encore d’actualité. Ennahdha s’interdit en effet toute campagne d’arrestations, s’agissant des milieux salafistes. C’est Rached Ghannouchi qui le rappelait jeudi en père spirituel : l’ère des captures arbitraires est révolue. Ce qui semble donc suggérer que la planification de l’attaque de l’ambassade américaine ne nécessite pas de répression particulière.

Au lendemain de l’intervention télévisée vendredi soir de l’autre homme fort du pays, Hamadi Jebali, une prestation très convenue où il s’est auto érigé en « sauveur de l’Etat », la peur avait changé de camp, Place Mohamed Ali, d’où est partie une manifestation de l’Union des diplômés chômeurs. Galvanisés par le décalage entre leur situation inchangée et le discours d’un Premier ministre angéliste, les manifestants ont eu raison d’un cordon de BOP Avenue Bourguiba, et ont scandé des slogans hostiles au ministère de l’Intérieur qu’ils ont rebaptisé « Ministère du viol ! Ministère terroriste ! ».

En Tunisie, on reconnait désormais les mouvements sociaux authentiques au fait qu’ils n’ont pas lieu les vendredis.

Dream City, un peu d’art dans une actu de brutes

« l’Arbre à souhaits » de Raeda Saadeh Par un jeu d’interaction avec le public, la robe se couvre peu à peu de petits morceaux de tissus colorés sur lesquels on écrit ses vœux, ses aspirations. Dream City, la Biennale d’art contemporain en espace public propose les travaux d'une quarantaine d’artistes, dont une trentaine de Tunisiens et une dizaine d’artistes étrangers. A Tunis du 26 au 30 septembre et à Sfax du 5 au 7 octobre. Crédit image : Seif Soudani | www.nawaat.org

Dans cette atmosphère délétère, la 3ème édition de Dream City, biennale d’art contemporain, est presque passée inaperçue. L’expo qui se termine aujourd’hui dimanche ne manquait pourtant pas d’ambition : quatre jours et autant de parcours fléchés dans la médina de Tunis, avant d’investir la vielle ville de Sfax à partir du 5 octobre.
Défi sécuritaire, l’évènement semble avoir pris de cours cette fois les censeurs intégristes. La dimension festive y a prévalu, mis à part quelques incidents anecdotiques de bagarres entre vigiles, ironiquement chargés de la sécurité des stands.