Demain, deux sous-officiers de l’Armée Nationale comparaissent devant le tribunal militaire de Tunis.

Après la thèse de la bavure, les recours en appel et en cassation, « l’homicide volontaire» a été retenu.

Après deux ans et plusieurs ajournements, la justice militaire ouvre, demain, le procès autour du meurtre du commissaire général de la police Hatem Mouaffaq, abattu, le 17 janvier 2011, par les balles de l’armée. Deux jeunes sous-officiers seront déférés devant le tribunal militaire de première instance de Tunis pour meurtre et complicité de meurtre.

Toute la vérité sera-t-elle, pour autant, établie sur les circonstances obscures d’un « homicide volontaire » auquel l’enquête judiciaire a conclu , il y a un an?

Le 17 janvier 2011, dans des circonstances obscures, mourait Hatem Mouaffaq, commissaire général de la Police classe 1, sous les balles de l’armée, à quelques kilomètres de chez lui (Gammarth)…

En plein état d’urgence et de dérive sécuritaire qui a suivi le départ de Ben Ali, il succombait, au volant de sa voiture, aux tirs répétés d’une patrouille de l’armée en poste de contrôle à Carthage Présidence.

Quelques voisins et les ouvriers de la station de service, théâtre de l’opération, témoignent d’une scène inédite où, « à l’arrivée de la voiture, des cris et des tirs ont fusé. Cible d’une rafale bien ordonnée en provenance du char mitrailleur, le véhicule a pivoté et par la force des tirs a complètement changé de direction… Au bout de quelques secondes où les tirs semblaient venir de partout, la voiture est criblée, le plafond affaissé… Plusieurs balles sont allées se nicher tout autour dans la station de service…  » Le gérant témoignera plus tard que « d’autres soldats sont passés les extraire, dès le lendemain. »

Première conclusion du dossier d’instruction : La grande bavure

A l’intérieur de la voiture, le corps du défunt est transpercé d’une balle dans la tête et deux dans le dos, au niveau du cœur… Rapporte son épouse qui décide de porter plainte en dépit des conseils de taire l’affaire.

L’enquête initiée par la justice militaire, quelques mois après, montre que les jeunes officiers accusés ne se sont pas arrêtés à tirer. Sitôt la mort constatée, ils se sont empressés de dissimuler le corps de la victime dans le coffre de sa voiture et de disposer à côté de lui quelques armes blanches et des paquets de barbituriques confisqués à des milices à l’œuvre ces jours-là…

Auditionnés par le tribunal militaire, les jeunes soldats soutiennent dans une première version que la raison des tirs est que la victime a fait demi tour et refusé de respecter les barrages militaires.

Mais plus l’enquête avançait, plus les témoignages s’étoffaient et plus les soldats se rétractaient. Ils commencent par avouer que les armes blanches et les barbituriques n’appartenaient pas à la victime et que ce sont bien eux qui les ont disposés dans le coffre afin de camoufler leur méprise. (Faire passer la victime pour un méchant milicien aurait été un alibi vraisemblable dans la confusion régnante). Sur la base de cette première étape de l’enquête, le juge d’instruction a fermé l’enquête en concluant à la thèse de la grande bavure… Explication : « La victime était passée au mauvais endroit, au mauvais moment. »

« Il n’est pas mort, il faut encore tirer !… »

Mais cette conclusion, jugée hâtive est rejetée par l’épouse du défunt. Sur de sérieuses pistes et de nouveaux éléments d’enquête, son avocat a plaidé l’homicide volontaire démontrant l’existence d’un réel acharnement sur la victime. Selon ces nouveaux éléments, « les jeunes soldats ont ouvert la voiture et continué à tirer à bout portant sur le corps, le ciblant de très près dans le but de s’assurer de sa mort. L’un des soldats aurait été entendu dire : Il n’est pas mort, il faut encore tirer !… »

En décembre 2011 et alors que le dossier d’instruction s’était fermé sur l’hypothèse de la bavure, survient un brusque revirement. « Le juge d’instruction m’a convoquée pour me dire que, sur la base de nouveaux témoignages, il vient de conclure à l’homicide volontaire et m’a demandé de signer le dossier d’instruction. » rappelle l’épouse du défunt.

Depuis, un recours en appel et un autre en cassation du côté des familles des accusés ont été rejetés par la justice militaire. Le dernier, en cassation date du 28 septembre dernier. Après avoir été fixé au 25 septembre, le procès a été reporté au 7 novembre. Il se déroule à partir de demain au tribunal militaire de première instance de Tunis, sur la base de l’homicide volontaire.

Le procès devra, selon l’épouse du défunt, son avocat et le syndicat national des forces de sûreté intérieure qui a engagé deux autres avocats, rétablir la vérité sur ce qui s’est réellement passé le 17 janvier 2011.

Quelles raisons avaient deux jeunes sous-officiers de l’armée nationale de s’acharner sur un haut cadre de la sécurité ? Avaient-ils des raisons de l’achever ? Pourquoi ont-ils tenté de camoufler le meurtre? L’assassinat du commissaire général relève-t-il de l’inexpérience de jeunes soldats ou s’inscrit-il dans un « complot contre les forces de l’ordre en général » ? Où sont passés les contenus des caméras de surveillance existant habituellement sur le théâtre de l’opération (Carthage Présidence) et qui auraient tout filmé ?… Voilà notamment les questions qui figurent dans des plaidoyers qui promettent de se prolonger…

Nadia Ben Abdallah

Aller plus loin: Qui est Hatem Mouaffaq ?

Voici l’histoire d’un licencié d’histoire, diplômé de Saint Cyr et du FBI qui a toujours dénoncé l’immixtion des militaires dans l’institution sécuritaire… et qui n’en est pas sorti indemne, ni avant ni après le 14 janvier…

Licencié d’histoire en 1979, puis diplômé de Saint Cyr et stagiaire au FBI, il occupe plusieurs postes dans différentes régions du pays avant d’être nommé directeur de l’école de la police de Salambôo. Plusieurs promotions de commissaires de police se vantent aujourd’hui d’avoir fait « l’école de Mouaffaq » en raison de sa « haute technicité et sa rigueur ».

Mais cette ascension qui devait le mener aux plus hautes fonctions de l’Etat s’arrête net quand il est promu directeur de la sécurité intérieure, sous le commandement direct du Général Ali Sériati, alors directeur général de la sécurité. L’entente ne sera jamais possible entre les deux hommes. De part son professionnalisme et sa conception très technique de l’ordre et de la sécurité, Hatem Mouaffaq s’est toujours opposé à l’immixtion des militaires dans l’institution sécuritaire et dénoncé ouvertement « le mélange des genres » qui, selon lui ne sert ni l’une ni l’autre des deux institutions.

Mais cette séparation fondamentale dans les pays démocratiques n’est pas entendue de la bonne oreille au palais. De rapport en rapport, Ben Ali finit par décider que « ce policier là n’est pas des nôtres ! » et le commissaire général de la police classe 1 est sanctionné, harcelé, privé de ses avantages et mis au frigo pour de longues années.
Le 14 janvier 2011, quand la foule a tenté d’envahir les locaux du ministère de l’intérieur, il est évacué avec d’autres cadres et responsables de la sécurité. Samedi, 15 janvier, en dépit de la dérive sécuritaire, il rejoint son bureau, avec l’ambition de reprendre le travail et de faire face à la situation.

Une réunion a lieu entre les hauts cadres de la police et de l’armée. Mais comme nombre d’autres responsables du ministère de l’intérieur, il reçoit la sommation de rentrer chez lui et de ne plus se déplacer. Ce qu’il fait pendant le week-end. Lundi 17 janvier, il s’impatiente et regagne à nouveau son bureau. « Les choses ont changé. Les traîtres sont partis, il est grand temps de faire quelque chose pour le pays!» Est la dernière réplique que son épouse entend de lui, le matin de son assassinat.