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Avec le premier jour du ramadan, la même question revient pour ceux qui ne font pas le jeûne : où trouver un endroit ouvert pour manger et boire ? Les internautes s’organisent sur la Toile pour répondre à cette question et contrer la tendance que certains hommes publics ont voulu imposer : selon eux, tout le monde serait concerné par le jeûne, alors qu’en réalité aucune loi n’oblige les cafés à fermer et qu’il n’est pas illégal de manger et de boire dans l’espace public.

Pour ceux qui ne font pas le ramadan, difficile de trouver un endroit en pleine journée où boire et manger quelque chose. En Tunisie, les internautes pallient au problème. Twitter et Google Maps ont été mis à contribution pour référencer les établissements ouverts durant la journée avec l’utilisation du hashtag #fater : “celui qui ne jeûne pas“.

 

Ainsi, le hashtag #fater a vite fait son apparition, permettant aux internautes qui ne jeûnent pas de trouver un café ou un restaurant ouvert en pleine journée. Sur Google Maps, même principe : les internautes indiquent, sur une carte, les endroits ouverts au public pendant la journée.

Taquins, les internautes n’hésitent pas à tacler au passage Adel Almi, le prédicateur à l’origine de la polémique autour du film Persepolis, qui s’est illustré lundi 8 juillet en déclarant qu’il fallait sévir contre les non-jeûneurs, qui seraient photographiés et décriés. Il avait également déclaré que la baignade en mer était un péché. Les commentaires appelant à se baigner en mangeant avaient alors fusé. Une page Facebook a même été créée, dans la nuit, sur laquelle les gens postent leurs photos, sur lesquelles ils sont en train de manger.

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Certains internautes s’interrogent sur la sécurité d’une telle démarche, étant donné qu’elle rend ces établissements, encore plus facilement, de possibles cibles pour les extrémistes.

Pas de texte de loi qui interdit de manger et de boire dans l’espace public

Adel Almi considère que les personnes se livrant à des « provocations contre les musulmans se rendent coupables d’une infraction à la loi et doivent être punis ». Il en appelait donc au ministre de l’Intérieur pour que celui-ci prenne position sur la question. Adel Almi adoptait ainsi le même discours que celui de Nourreddine Khadmi, ministre des Affaires religieuses, qui a, durant une interview radio, déclaré faire référence aux « dispositions légales usuelles » et aux « principes généraux de la loi » pour défendre le fait que le jeûne soit le principe et que le fait de ne pas jeûner ne doit pas être fait de manière ostentatoire.

Mais vis-à-vis de quelle loi les non-jeûneurs sont-ils en infraction ? Contrairement au Maroc par exemple, où il existe une loi criminalisant le fait de manger dans l’espace public lors du ramadan, la Tunisie ne dispose pas de ce type de texte législatif, comme l’explique le juge Ahmed Rahmouni, ancien juge et président de l’Observatoire de l’indépendance de la justice.

« il n’y a aucun texte de loi qui interdit expressément cela en Tunisie. »

Par ailleurs, Sami Ben Abderhamen, juge au tribunal administratif, explique :

“Il n’y a pas de loi en Tunisie qui interdit l’ouverture des cafés et restaurants pendant la journée durant ramadan.”

Jusqu’au milieu des années 70, sous Bourguiba, tous les cafés et restaurants étaient ouverts, rapporte-t-il. Puis Ben Ali a permis, mais toujours sans fondement légal, à chacun de choisir s’il voulait rester ouvert ou s’il voulait fermer. Aujourd’hui le juge s’étonne de trouver la plupart des établissements fermés alors que rien ne les y contraint.

L’année dernière, une circulaire aurait été faite afin de fermer les cafés. Mais à part une descente de police dans le quartier de Ennasr à Tunis le premier jour du ramadan, qui semblait plutôt vouloir intimider les commerçants qu’appliquer une circulaire dont personne n’a démontré l’existence, les cafés qui ont l’habitude de rester ouverts ont gardé leur habitude.

« Et même si une circulaire existe, elle ne peut servir de base pour un jugement »

explique le juge Ahmed Rahmouni.

L’argument de l’islam comme religion de l’État

Pour le ministre des Affaires religieuses, le mois de jeûne « concerne tout le peuple tunisien et l’ouverture des cafés est contraire à l’identité du peuple et à la sacralité du mois ». Cette déclaration, en plus de celle du prédicateur Adel Almi qui en appelait au ministre de l’Intérieur, ont provoqué l’inquiétude chez la partie de la population qui ne jeûne pas.

Le ministre des Affaires religieuses a, lui aussi, fait appel à la “religion de l’État”, en déclarant lors d’un entretien radio que :

« en se référant aux dispositions légales d’usage, le respect de la religion, la religion du peuple tunisien et de son État, mais considérant l’importance de la paix sociale, et en considérant aussi la liberté garantie et en prenant en compte tous ces principes généraux de la loi, le jeûne est la règle et ceux qui ne veulent pas jeûner sont libres de le faire mais n’ont pas à s’exhiber. »

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L’islam, selon le projet de constitution en cours, est la religion de l’État. Mais la nouvelle constitution garantit également la liberté de conscience, comme le rappelle Aziz Krichen, conseiller du président de la République, dans une déclaration sur son compte Facebook qui explique que dans la Loi fondamentale il est :« question de liberté religieuse, de liberté de conscience et d’État civil (madani), c’est-à-dire non religieux. (…) Ces articles n’ont pas été rédigés pour le décorum, ni pour faire de la promotion à l’étranger, mais pour garantir les droits et les libertés de nos concitoyens et définir le cadre juridique de notre vivre-ensemble. »

Et pourquoi un membre du gouvernement, qui doit représenter tout le peuple tunisien et agir dans l’intérêt général, se permet-il de préconiser une conduite plutôt qu’une autre ? C’est la question que pose Aziz Krichen, toujours dans sa déclaration sur son compte Facebook :

«  La Tunisie est certes un pays musulman, mais on y trouve beaucoup de résidents et de citoyens qui ne sont pas musulmans. On y rencontre aussi beaucoup de musulmans non pratiquants. M. Khadmi, comme ministre de la République, leur doit à tous la même considération. Et il est tenu, de par ses fonctions, à ne pas établir de discrimination entre eux. »

Et il continue en expliquant que :

« Les musulmans pratiquants ont le droit d’exercer leur culte, et le devoir du ministre est de faire respecter ce droit. Les non pratiquants et les non musulmans ont le droit d’aller au café et au restaurant, et le devoir du ministre est de ne pas faire obstacle à l’exercice de ce droit. Ce n’est pas plus compliqué. »

Alors qu’avant le 14-Janvier, ceux qui ne faisaient pas le ramadan trouvaient facilement, à Tunis en tout cas, des lieux pour se sustenter, depuis la Révolution la chose est moins aisée. « Avant on pouvait manger sans problème en se « cachant » du regard des autres par respect, pour ne pas les déranger. On collait simplement des feuilles de journaux aux fenêtres des cafés et des restaurants… En fait il n’était pas question de se cacher, mais simplement de se respecter les uns les autres », explique une jeune fille qui ne jeûne pas.

Il n’y a donc pas de restriction légale au fait de manger dans l’espace public, mais la décence veut, simplement, que les Tunisiens se respectent entre eux, chose qu’ils ont toujours faite sans que cela ne suscite de polémique. Les déclarations de Adel Almi et du ministre des Affaires religieuses voulant garantir la « paix sociale », selon leurs dires, n’ont fait qu’alimenter la polémique et radicaliser les deux camps.