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Human Rights Watch (HRW) a exhorté les autorités tunisiennes à prendre, dans les plus brefs délais, les mesures qui s’imposent pour endiguer le fléau du terrorisme. Dans un communiqué de presse, rendu public le 25 juin dernier, l’organisation internationale est revenue sur les crimes de guerre en Irak et en Syrie commis par des Tunisiens.

A travers des vidéos publiées sur les réseaux sociaux, comme celles d’Abu Hamza El Mouhamadi et de Abu Anas Al Tunisi, HRW a pressé les autorités tunisiennes à adopter une loi sur les Crimes de Guerre, à intégrer le statut de la Cour Pénale Internationale dans sa législation nationale et enfin à prendre toutes les mesures nécessaires afin d’arrêter et de traduire en justice les ressortissants tunisiens impliqués dans des crimes de guerre ou contre l’humanité en Syrie et en Irak, conformément au Statut de Rome, ratifié par la Tunisie. Selon le ministère de l’Intérieur tunisien, quelques 2400 ressortissants tunisiens sont impliqués dans le Jihad en Syrie et en Irak.

Quand un Tunisien extrémiste se vante ouvertement de ses crimes sur les réseaux sociaux, il est temps que les autorités adressent à tous les Tunisiens le message clair et sans équivoque qu’un tel comportement ne sera pas toléré.”

Nadim Houry, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à HRW

Que ce soit pour le compte du Front Al Nusra syrien ou de l’EIIL Irakien, plusieurs Tunisiens sont impliqués dans des attaques suicides ou à la bombe dans des zones civiles, des exécutions sommaires, des actes de tortures à l’encontre de détenus, de prises d’otages, de recrutement d’enfants soldats ou de destruction de patrimoine culturels et religieux. Pour Human Rights Watch, ces actes sont constitutifs de crimes contre l’Humanité et de crimes de Guerre.

Etat partie au Statut de Rome, aux conventions de Genève et à ses protocoles additionnels, la Tunisie est tenue d’appliquer leurs dispositions et doit donc enquêter et poursuivre en justice tout individu, ressortissant tunisien ou non, vivant sur son territoire et qui serait impliqué dans la violation de droits humains.

De surcroît, au vu de l’instabilité de la région, HRW craint que des individus impliqués dans des crimes de guerre ou contre l’humanité, ne se déplacent à travers des pays voisins pour rejoindre la Tunisie.

Nous avons pris contact avec Human Rights Watch pour en savoir plus sur ces « recommandations », car à la lecture du communiqué, on comprend qu’il est demandé à ce que ces personnes soient jugées directement par la Cour Pénale Internationale. Cela reviendrait à discréditer les institutions judiciaires tunisiennes et mettre à mal la souveraineté judiciaire de la Tunisie. En effet, la Cour Pénale Internationale est une juridiction subsidiaire aux juridictions nationales, sa saisie directe procéderait de carences suffisantes de l’appareil judiciaire tunisien.

Amna Guellali, Directrice du bureau de Human Rights Watch pour la Tunisie et l’Algérie, clarifie la question:

Nous avons surtout demandé à la Tunisie de mener des enquêtes et des poursuites contre les auteurs de crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Iraq et en Syrie, sur la base de la nationalité des auteurs présumés. Ceci est en ligne avec la responsabilité principale de l’Etat en la matière. Par rapport à la CPI nous n’avons, nulle part dans le communiqué, demandé à la CPI de juger ces personnes directement, ni de demander à la Tunisie de transférer ces personnes à la CPI, si jamais elles tombent entre les mains de l’Etat. Par contre nous demandons à la Tunisie d’adopter les lois de mise en œuvre du Statut de Rome parce que c’est le moyen le plus important pour assurer l’existence d’un cadre juridique suffisant et spécifique par rapport à ces crimes internationaux. En ce qui concerne plus généralement la question de la compétence de la CPI, comme vous le savez, elle n’est pas compétente pour juger que les crimes commis sur le territoire d’un Etat partie ou par les nationaux d’un Etat partie; donc en Syrie comme en Iraq, elle n’a pas de compétence territoriale, c’est pourquoi nous demandons au Conseil de sécurité de la saisir. Amna Guellali, Human Rights Watch.

Par ailleurs, ce communiqué revient sur la nécessité d’adopter au niveau national, les dispositions des conventions de Genève et leurs protocoles additionnels ainsi que les dispositions légales mettant en place l’application du Statut de Rome qui régit la Cour Pénale Internationale. Leur adoption est d’une importance cruciale pour répondre au principe de légalité des peines et des délits. En effet le vide juridique lié à cette question pourra être un frein majeur à la qualification de ces crimes.

Comme nous l’affirme Mme Guellali : « Même si ces crimes sont considérés comme du jus cogens, les principes de légalité des délits et des peines pourrait constituer un obstacle à leur application directe dans le droit tunisien, il faut donc une loi de mise en œuvre afin d’éviter ce genre de vide juridique. »

Afin de mieux comprendre, l’importance de la nécessité de cette loi de mise en œuvre, ainsi que des principes de légalité des peines et des délits, nous citerons l’article publié par Riadh Guerfali, sur Nawaat, à propos des répercussions de l’absence d’une telle loi :

De même, l’on ne peut manquer de mentionner une autre tare qui est spécifique au contexte arabe, en l’occurrence la notion « d’ordre public », justifiant tous les excès en terme de répression …. Si, en effet, ce concept « d’ordre public » est fréquemment mentionné dans les législations occidentales, celui-ci n’a plus rien de commun avec ce qui se pratique dans le monde arabe. Au sein des ordres démocratiques occidentaux, des corpus jurisprudentiels centenaires n’ont eu de cesse à ciseler, remouler et adapter cette notion « d’ordre public » aux impératifs de la pratique de la démocratie politique. Dans le monde arabe, cette même notion d’ordre public sert à contourner l’un des principes les plus fondamentaux du droit pénal : le principe de légalité des délits et des peines « Nullum crimen, nulla pœna sine lege. Riadh Guerfali

En effet, pour contourner l’absence d’une infraction pénale, précisément, caractérisée au sein des codes pénaux … quoi de plus facile que de s’en remettre à celle, fourre-tout, de l’atteinte à l’ordre public.