Il s’agit d’une étude d’impact (cf. infra) relative à l’actuel projet renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme en France… et lequel projet a été voté hier, 18 septembre 2014, par l’Assemblée nationale.

 

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Il ne s’agit nullement, pour nous, d’exprimer, ici, ni une adhésion au contenu de cette étude d’impact ni l’inverse d’ailleurs (quoique…). Il s’agit plutôt de proposer une lecture, certainement utile pour tout comparatiste afin d’apprécier d’autres contextes autour desquels s’articulent des politiques législatives en matière de terrorisme.

Cela étant, on ne peut résister à la tentation d’attirer l’attention que, même en France, certains ont toujours du mal à appréhender la nature intrinsèque de l’Internet.

Au sein du projet actuellement discuté en France, il est également question de blocage administratif de sites Internet. Au sein de cette étude, les objectifs de cette mesure de blocage sont, entre autres, ainsi présentés :

Il s’agit, d’une part, de protéger l’internaute de bonne foi de contenus non recherchés par lui et, d’autre part, de gêner l’accès volontaire de certains internautes à ces contenus de propagande afin d’éviter que ne se diffuse la propagande terroriste. Pour cela, le blocage administratif présente l’avantage de pouvoir traiter un grand nombre de sites ou de pages internet dans des délais plus brefs que ceux résultant du blocage judiciaire. Il permet donc de concilier l’efficacité de la mesure de prévention avec le respect des droits et libertés dès lors que cette mesure de police est susceptible de recours devant le juge.

Inefficace est très couteuse, il n’est pas certain que cette mesure de blocage soit validée devant le Sénat lors de l’adoption finale du texte. Les arguments du député Lionel Tardy, hélas ignorés par ses pairs, sauront-ils convaincre prochainement les sénateurs ?

Pourtant, le député en question avait fort bien résumé devant ses collègues quelques aspects inhérents à l’inefficacité des mesures de blocage :

Je trouve dommage qu’on ne tire aucun enseignement du passé. Nous savons que les mesures de blocage administratif n’ont jamais été mises en œuvre… J’attends avec impatience, monsieur le ministre, votre décret, qui traîne depuis un certain temps. On a tout de même un peu de recul sur les dispositions de ce genre ; je pense à la loi HADOPI, dont les débats sur le rôle du juge, le blocage des sites, avaient fait beaucoup de bruit à l’époque. Aujourd’hui, quel est le résultat ? On a une structure qui coûte des millions chaque année, dont la seule mission est de lutter contre le téléchargement peer-to-peer, mais qui n’en est pourtant même pas capable puisque les internautes ont très facilement contourné la loi en devenant des adeptes du streaming et, plus grave encore, en souscrivant à des offres de VPN, technologie de réseau virtuel privé qui les rend totalement invisibles sur le réseau internet. On a essayé d’effrayer Mme Michu, la ménagère de quarante-cinq ans, toute étonnée de recevoir une lettre d’avertissement d’HADOPI, alors que les vrais spécialistes du téléchargement en contournent aisément les dispositions. Il en sera de même pour les personnes qui agissent sur des sites terroristes, car elles crypteront évidemment leurs données si elles pensent qu’elles risquent d’être espionnées. Vous ne pourrez alors strictement rien faire, monsieur le ministre, tout un pan de l’économie numérique deviendra crypté, les services de police n’ayant alors absolument plus aucune vision de ce qui se passe. S’agissant des sites étrangers, quand bien même vous donnez des garanties qu’il va y avoir une évolution au niveau européen, je doute que ce soit très efficient, connaissant la lenteur des institutions communautaires sur ce sujet.Lionel Tardy, député français.

 

Document de l’étude d’impact

⬇︎ PDF

 

D’ores et déjà, ceux qui vont s’appuyer sur “l’autorité” du cas français pour plaider le blocage administratif également en Tunisie -notamment des pseudo-experts étrangers- nous souhaitons leur signaler que l’assimilation du contexte tunisien à des contextes européens et, notamment, français est singulièrement dangereux pour le processus de la transition démocratique en Tunisie.

Les critères devant permettre de trancher le noeud gordien des intérêts contradictoires entre ceux relevant de la nécessité de protéger les libertés fondamentales et ceux relevant des impératifs de la sécurité nationale procèdent de contextes institutionnels foncièrement différents.

Et, à cet égard, citons ne serait-ce que l’exemple de la phrase tirée de la formulation de l’objectif de la mesure de blocage, et laquelle phrase évoque la [concili[ation] de l’efficacité de la mesure de prévention avec le respect des droits et libertés“. Cette affirmation, dans le présent cas français, s’appuie sur un préalable inexistant en Tunisie. Il s’agit, d’une part, du corpus jurisprudentiel français, renforçant ces droits et libertés depuis plus d’un siècle et, d’autre part, du corpus jurisprudentiel européen, riche de plusieurs décennies. Et laquelle jurisprudence européenne ayant déjà magistralement protégé -et à de nombreuses reprises- les droits et libertés des Européens contre les assauts des “apprentis sorciers“. Et, sur ce point, la différence entre le contexte tunisien et celui français est substantielle !

Ainsi, ces garde-fous jurisprudentiels n’existant pas en Tunisie, le moindre dérapage législatif pourrait avoir des conséquences particulièrement dramatiques pour les libertés fondamentales des Tunisiens.


– Liens web vers le site de l’Assemblée nationale de la République française :

L’étude d’impact :
http://goo.gl/CiLnvb

Le texte du projet :
http://goo.gl/fnr72N

Et, sur ce lien, les travaux préparatoires relatifs au projet de loi :
http://goo.gl/vtWcpu