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Photo originale par le Collectif STOP au Gaz de Schiste en Tunisie

Le dilemme du gaz de schiste ressurgit. Dans une interview accordée à l’agence Tap, le 4 septembre 2014, Mehdi Jomaa affirmait que son « gouvernement est déterminé à explorer le gaz de schiste », estimant que les critiques n’arrêteront pas ce projet. Une déclaration qui n’a pas été apprécié par les anti-gaz-de-schiste qui craignent une « catastrophe écologique », voire « une logique d’inféodation aux multinationales ». Certains estiment même que ce gouvernement provisoire de technocrates est en train de dépasser ses prérogatives.

Gaz de schiste : un hydrocarbure non-conventionnel

Les hydrocarbures non conventionnels suscitent de vives polémiques en Europe et aux Etats-Unis. Les lobbies du gaz de schiste arguent qu’une révolution énergétique qui va bouleverser, dans les années à venir, la hiérarchie des principaux pays producteurs d’or noir et les grands flux commerciaux de la planète.

Les opposants au dit « miracle économique du gaz de schiste » ont contré rigoureusement l’exploitation de ces hydrocarbures et ont dénoncé ses effets écologiques et sanitaires néfastes garantis et imprévisibles. Les contestataires ont démonté les arguments économiques avancés par les compagnies qui monopolisent le secteur pétrolier et gazier pour justifier la réalisation de forage. Ils ont également précisé que l’exploitation de cette énergie nouvelle est, complètement, inconciliable avec les normes d’une économie durable. Ce qui peut engendrer de probable « déséconomies » à long terme.

L’expert britannique David King a proclamé que « les puits de gaz de schiste connaissent une diminution de leur rendement de l’ordre de 60 à 90 %, au terme de leur première année d’exploitation ». Ainsi, au-delà de ses conséquences écologiques et sanitaires indésirables, se pose le problème du délai d’exploitation des puits de gaz de schiste.

Qu’est-ce que le gaz de schiste ?

Le gaz de schiste est un gaz naturel qui fait partie de la famille des hydrocarbures non conventionnels. Ce gaz (méthane : CH4) se retrouve prisonnier de fines couches de roches feuilletées. Ces roches (le schiste ou le sable schisteux) contiennent de petites cavités où loge le gaz de schiste. Les schistes sont connus par leurs perméabilités limitées, ce qui fait que leur extraction nécessite un traitement technique spécifique. Il est donc impératif de procéder à des forages horizontaux à orientation multiple (en étoile ou en fourchette) : on parle de forage horizontal en cluster avec fracturation hydraulique.

Un enjeu de taille, des risques majeurs

L’exploration et l’exploitation du gaz de schiste a démarré, depuis les années 2000, aux Etats-Unis. En France, François Hollande a interdit l’application de la méthode de fracturation hydraulique, depuis la loi du 13 juillet 2011. En 2012, un débat pose la possibilité de procéder à l’exploitation du gaz de schiste dans un cadre environnemental propre.

Or, l’impact de l’extraction du gaz de schiste affecte, principalement, les nappes phréatiques.

Les couches de gaz de schiste reposent en moyenne à 2 000 mètres de profondeur. Pour appliquer la technologie d’extraction actuelle, un volume d’eau gigantesque est nécessaire pour le forage et la fracturation hydraulique (environ 15 000 mètres cubes par puits, pour une dizaine de fracturations, organisées sur une semaine).

Cet usage fait craindre la dégradation des ressources en eau. En outre, il y a de probables risques d’activité sismique lié à l’exploitation du gaz de schiste.

L’exploitation des gaz de roche mère nécessite de nombreux puits à cause de gisements vastes mais peu concentrés, donc une occupation des sols importante.

Dans chaque puit fracturé, le fluide de fracturation (fracturing fluid) (composé de 90% d’eau, 9% de sable pour maintenir les fractures ouvertes et faciliter le drainage du gaz et 1% des additifs chimiques destinés à tuer les bactéries, faciliter le passage du sable et accroître la productivité du puits) sert à transporter les agents de soutènement dans les fissures et transporter les agents de désorption.

Les additifs chimiques représentent 0.5% du volume de fluide de fracturation. Ainsi, compte tenu des volumes d’eau engagés, les volumes de produits chimiques deviennent importants.

Pour fracturer le shale, un fluide est injecté à très haute pression. Aux États-Unis, 197 produits composés d’approximativement 260 substances ont étés inventoriés. Au Québec, les substances retrouvées le plus souvent sont : les acides (chlorhydrique, acétique et formique), les alcools (méthanol et isopropanol), l’éthylène glycol et les alcools éthoxylés, le formaldéhyde et les dérivés de pétrole (naphta).

En effet, dans cette liste, l’éthylène, le formaldéhyde et les dérivés du pétrole sont des cancérigènes reconnus.
L’industrie des gaz de schiste au Québec: des questions sans réponse.

Ces additifs sont encore riches en sels corrosifs et en produits cancérigènes comme le benzène.

Sous une très haute pression, l’eau permet de fissurer la roche mère et les additifs garantissent le maintien de ces ouvertures et favorise l’évacuation des fluides libérés : huiles et gaz. Une partie du fluide de fracturation remonte, alors, en haut.

« A force de creuser, les foreurs traversent parfois des terrains comprenant des minerais radioactifs (uranium, radium). Une radioactivité qui finit par remonter. De 10% à 40% de l’eau et des déchets de forage (boues, sables) sont ramenés en surface pour, officiellement, y être traités ». Les périls liés à l’utilisation des additifs de fracturation sont les éventuelles fuites et la percolation des produits toxiques liés à l’extraction avec les nappes phréatiques.

Seulement 70% du fluide injecté vers la roche mère remonte à la surface des puits. Les 30% restants se propagent de manière non anticipée ni contrôlée dans les couches géologiques et les nappes phréatiques ou encore les stations de traitement des eaux qui seraient rejetées aux milieux naturels en étant encore polluées.

Le gaz de schiste et la crise de l’eau en Tunisie

Le géophysicien Mohamed Gasmi affirme que « les potentialités pétrolière et gazifière, en Tunisie, sont, actuellement, en régression continue ». Réalité, qui a été traitée sur Nawaat. D’après le scientifique, en Tunisie on a deux formations significatives pour le pétrole et le gaz de schiste dans la région du sud. On possède : 651 Milliard de m3 de gaz de Schiste techniquement extractible et 1.5 Milliard de barils de Pétrole de Schiste techniquement extractible.

C’est un potentiel de l’ordre de 150 Milliards de dollars soit près de 250 Milliards de DT.

La Tunisie est relativement un petit producteur d’hydrocarbures. La production est en progressif déclin, chutant d’un pic de 120 000 Baril/Jour dans les années 1985-1990, à seulement 67 000 Barils/Jour en 2012 et d’après le Ministre de l’Industrie, la production a encore chuté à 57 000 Barils/jour avec la réalisation uniquement de deux forages pétroliers en 2014 contre 14 en 2013 et qu’en 2014 aucun nouveau permis n’a été accordé.

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En 2011, la Tunisie a produit 1 925 Millions de mètres cubes de gaz naturel sec.

« Les gaz de schiste et le pétrole de schiste qu’on vise à exploiter sont, certes, des potentialités très importantes. On estime les ressources à bien plus de 500 milliards de m³ de gaz de schiste, et on évalue pour le pétrole de schiste à 105 milliards de baril. Du point de vue économique, ce sont des richesses énormes exploitables sur 80 ans. Mais, les conséquences néfastes de leur exploitation sur l’environnement et la santé repose la même question : Va-t-on exploiter ou non le gaz de schiste ? Parce que tout simplement son exploitation se paie, étant donné que ce sont des richesses non conventionnelles », ajoute le spécialiste.

D’autres experts tunisiens déclament, d’après un rapport confidentiel réalisé par une experte en droit, que « la prospection du gaz de schiste en Tunisie ne sera pas rentable, compte tenu de son coût élevé par rapport au gaz conventionnel et de son faible rendement ».

Entre les conséquences économiques et les risques pour l’environnement, de l’exploitation pose problème. D’après le professeur Gasmi, « les gaz de schiste en Tunisie sont concentrés, surtout, dans le Sahel, dans le sud tunisien, notamment dans le bassin de Tlemcen, et la région de Kairouan, qui est une zone centrale riche en champs pétroliers, dans les formations géologiques « Acacus » et « Tannezuft » (Silurien) et de l’Ordovicien ». Or, ces zones souffrent, déjà, d’un déficit hydrique alarmant. Dans l’article « En Tunisie, Feu vert à Shell pour 742 puits de gaz de schiste » Med Dhia Hammami a révélé les détails du projet de fracturation et l’entame des travaux dans la région de Kairouan. « Je pense que c’est très important de mettre des normes pour les permis d’exploration », déclare Mohamed Gasmi. « Actuellement je peux vous dire, d’après la version officielle tunisienne, que jusque-là on a donné des permis d’exploration et non pas d’exploitation. L’exploration des gaz de schiste est une phase préliminaire importante », enchaîne-t-il.

En revanche, ledit rapport confidentiel révoque que « plusieurs informations confirment que la méthode de la fracturation hydraulique à l’horizontale et même à la verticale aurait été pratiquée en Tunisie, plusieurs exemples à l’appui : la société Perenco qui aurait exploité le gaz de schiste dans la concession « El Franig » depuis 2010 dans le sud du pays et la société « Cygam Energy » qui aurait utilisé la même technique dans le Jrid tunisien ».

L’article relatif à ce sujet publié sur Nawaat le confirme également. Kairouan, là ou un méga projet d’exploitation réalisé par la société Shell est en cours, est une région située au centre de la Tunisie avec un climat de type semi-aride avec d’importantes irrégularités pluviométriques de grandes amplitudes thermiques. Les habitants y galèrent face à la médiocrité de l’assainissement et du manque d’eau.

L’experte dévoile dans son rapport que « pour le site de Kairouan il est question de creuser autour de 750000 puits sur une surface de 900 hectares. Sont également évoquées les difficultés que poserait l’implantation d’une telle activité dans certains territoires dont l’économie repose sur l’image de marque, l’agriculture et l’activité touristique ».

La résolution de l’assemblée des Nations-Unies, d’août 2010, énonce que « l’accès à l’eau propre et sécuritaire est un droit humain essentiel pour la pleine appréciation du droit à la Vie ». Selon Maude Barlow, conseillère aux Nations-Unies, « nos gouvernements devraient tenir compte de quatre grands principes pour l’utilisation de l’eau : l’eau est un droit humain, l’eau est un héritage commun, l’eau a ses droits, l’eau peut nous apprendre à vivre ensemble ».

Or « l’industrie des gaz de schiste bafoue ce droit à une eau propre et sécuritaire et ne peut offrir de garantie contre la pollution des nappes phréatiques. ». Avec la crise de l’eau que connaît la Tunisie, nous allons droit vers un stress hydrique garanti (2025). Tout forage provoquera, nécessairement, non seulement un manque des ressources hydriques des riverains, mais aussi une contamination de l’eau potable et une probable sécheresse des nappes souterraines renouvelables et non renouvelables.

Du point de vue potentialité hydrique, on sait que pour qu’un forage de gaz de schiste soit exploitable, des quantités énormes d’eau douce doivent être disponibles. Or, on sait que la Tunisie souffre du problème de la pénurie hydrique. Explique Mohamed Gasmi.

Le professeur a mentionné qu’en cas d’extraction des gaz de schiste, on sera obligé de recourir à la nappe conventionnelle intercalaire qui se situe entre la Tunisie, La Lybie et l’Algérie. Il a souligné que la Lybie l’a déjà, intensivement exploité avec le projet de la ‘rivière vert’ de Kadafi, et que l’Algérie alimente ses hauts plateaux pour l’irrigation de l’agriculture à partir de cette nappe, mais surtout, elle a autorisé l’extraction des gaz de schiste. « Malheureusement, cette source est une nappe fossile qui ne s’alimente pas. Donc son exploitation causera un épuisement irréversible », affirme la scientifique.

La fracturation hydraulique crée donc une tension supplémentaire sur la disponibilité de la ressource en eau, ce qui ne peut qu’accentuer le problème que vivent les habitants de la région de Kairouan.

« La technique de fracturation hydraulique a des conséquences graves, vu la contamination des nappes, notamment superficielles qui sont vulnérables, par les produits chimiques adduits. Généralement, les foreurs récupèrent à peu près 50 % de la quantité d’eau utilisée afin de la traiter et la réutiliser au fur et à mesure », prévient Mohamed Gasmi. Il ajoute qu’en Allemagne, dans un cadre de restriction pour le sauvegarde de l’environnement, on a interdit de produire du gaz de Schiste en dessous de la profondeur de 3000 m, jusqu’à 2021 (d’ailleurs presque la totalité des pays européens sont très réticents quant à la production du Gaz de Schiste), sous prétexte que ça pourrait réduire la contamination des nappes. Chose qui n’est théoriquement pas plausible.

Il parait que la France (GDF Suez) veut faire des expériences au Sud de l’Algérie (Touat) de nouvelles techniques, qui, jusqu’à présent, n’ont pas fait leurs preuves. Fluoropropane, stimulation électrique, hélium, toutes aussi nuisibles que la fracturation hydraulique. Cela rappelle la dramatique période des essais nucléaires de Reggane, dans les années 1960, dont la population locale souffre encore.

Et l’effet de serre …

Outre le problème hydrique, un problème à une échelle plus large se manifeste : Le réchauffement Climatique. Quant à l’environnement d’au-dessus, le méthane se dégage dans l’atmosphère. Ce qui engendre le fameux phénomène planétaire : L’effet de serre.

Que ce soit en cas de fuite du CH4 dans l’environnement ou de sa combustion, on assiste à une libération du gaz carbonique CO2 dans l’atmosphère, ce qui accroit les gaz à effet de serre (GES), nous confie Mohamed Gasmi.

Quqnt aux enjeux sanitaires provoqués par l’extraction des gaz de schiste ils ne sont pas négligeables. « Plusieurs accidents de santé ont été déclaré, en Amérique par exemple, les habitants des régions proches des sites d’extraction des gaz de schiste souffrent des brulures de la peau, des yeux et de la gorge. Ils souffrent aussi des maux de tête accrues à cause des gaz qu’ils aspirent », déclare Mohamed Gasmi.

Les impacts de cette industrie sur la production alimentaire, particulièrement sur l‘agriculture, sont aussi néfastes. A ces risques sanitaires s’ajoutent les accidents ou les risques naturels (explosions, incendies, inondations, séismes..), la grande productivité des couches de schiste qui ont un fort rayonnement gamma naturel et la détérioration du cadre paysager de la région prospectée, avec notamment une artificialisation des sols, une pression foncière importante, et la caducité de nombreuses activités touristiques et rurales (exploitation forestière, prélèvement des eaux, tourisme…).

En Allemagne, on exploite le gaz de schiste, puis on fait des détournement pour trouver des arrangements avec les riverains qui risquent leurs vie, par des indemnités, généralement. De la sorte, on garantit leur silence et on passe aux forages suivants, relève Mohamed Gasmi.

Selon lui, il faut « plutôt sauvegarder l’eau qu’exploiter le gaz de schiste, malgré l’importance des potentiels que nous possédons, étant donné que les opérateurs viennent s’invertir lourdement pour l’exploration, c’est qu’ils savent très bien qu’il vont tout rembourser très rapidement. Il faut tout simplement effectuer une étude convenable, intégrer les écologistes, les géologues, les politiciens, les experts et la société civile afin de mettre ce dossier sur table et le décortiquer dans la transparence ».

En outre, Gasmi estime que dans la situation économique actuelle, on peut profiter de cette source, mais à condition qu’on nous garantisse que, techniquement, il n’y a, vraiment, aucun danger, aucune conséquence sur l’environnement, sur la santé et sur les ressources d’eau. « On ne doit pas payer cher. Nous ne voulons pas des sous, notre santé, celle de nos petits-enfants et celle des générations futures vaut beaucoup plus. C’est notre avenir ! », s’insurge-t-il.

En Tunisie, le manque de transparence de la part de l’Etat et l’incohérence entre le souci de préserver l’environnement et l’annonce de l’exploitation de gaz de schiste suscite tension et inquiétude chez l’opinion publique. Surtout que la population locale et les écologistes n’ont pas été sollicités sur ce dossier. La certitude que l’impact de cette industrie n’est pas neutre, voire en fait « une bombe à retardement environnemental ».