Sous l’intitulé « Pas de réserves de l’UE à un rapprochement avec Tunis- ministres » (ce qui signifie, sans doute, « selon des déclarations ministérielles »), une dépêche de l’agence « Reuter » (06-11-2009 à 19h16- cf. ci-dessous) rapporte les propos de deux ministres du gouvernement : MM Nouri Jouini (Développement et Coopération Internationale) et Béchir Tekkari (Justice et droits de l’homme) concernant les pourparlers avec l’U.E au sujet de la demande tunisienne d’octroi par l’U.E à la Tunisie d’un «statut avancé».

«Reuters» rappelle, à cette occasion, que «l’obtention de ce “statut avancé” placerait la Tunisie aux côtés du Maroc en tant que pays voisin privilégié de l’UE, elle rehausserait sa place sur la scène internationale et relancerait ses chances d’avoir un meilleur accès aux marchés européens ».

Reprenant quasiment point par point la brève analyse développée dans le « Flash info» du CRLDHT du lundi 29 octobre (cf. ci-dessous), les deux ministres ont essayé, mais en vain, de récuser les commentaires du CRLDHT en usant de la célèbre méthode Coué sur l’air bien connu : “Soyez sûrs que les questions de droits de l’homme et les libertés ne sont pas des questions qui nous gênent dans les négociations concernant le statut avancé avec l’UE (…). Ce sont des sujets dont on est fier” (…) « On dit à l’Europe qu’on cherche plus d’intégration économique et plus d’ouverture pour l’intérêt des deux côtés », concluant qu’ « Il n’y a aucune réserve de l’Union européenne dans ses négociations concernant le statut avancé, qui ont commencé déjà depuis quelques mois (…) l’Union européenne n’ayant pas soulevé des réserves concernant la situation des droits de l’homme dans leurs pourparlers sur un rapprochement des relations entre l’UE et Tunis » !

«En dépit de ce démenti peu convaincant et du « bluff » de joueur de « poker-menteur » des deux ministres, le CRLDHT persiste et signe.

«L’examen du « statut avancé » éventuel a été reporté, à la demande de la Tunisie, à la présidence espagnole (1-1-2010) sans doute plus accommodante que l’actuelle présidence suédoise. Cet examen nécessite, tout de même, des gages en matière notamment d’avancées démocratiques, et concernant l’Etat de droit et la justice, un « terrain difficile, là où la souveraineté peut être en jeu » estime un analyste (cf. AFP le 22-10-2009 ci-dessous).

Selon des sources fiables à Bruxelles, les discussions ont certes avancé, mais «aucun engagement écrit n’a été pris ». La mauvaise tournure prise par la précampagne et surtout par la campagne électorale pourrait toutefois compromettre les acquis du « lobbying » de la diplomatie tunisienne de ces six derniers mois. A moins que le pouvoir se ressaisisse et qu’il sache, enfin, raison garder.

Se ressaisir et savoir raison garder, cela signifie –s’il n’est pas trop tard- des initiatives et des mesures urgentes d’apaisement et d’ouverture qui puissent être considérées comme des signaux positifs et significatifs, préludes, à moyen terme, aux indispensables et inéluctables réformes politiques et institutionnelles que les démocrates et les défenseurs des droits humains appellent de leurs vœux. Ces réformes ont trait à la libération des détenus politiques, à une amnistie générale, au retour des exilés, à la confusion entre le parti RCD (Rassemblement constitutionnel et démocratique) et l’Etat, aux garanties d’indépendance de la justice, à la torture et à l’impunité, à la liberté et au pluralisme de la presse, à la réforme en profondeur du code électoral, à l’institution d’une commission électorale indépendante, à l’abrogation des lois, décrets et circulaires scélérats en matière de législation sur les associations, sur le droit de réunion ou sur la lutte contre le terrorisme ainsi que des mesures effectives pour enrayer une corruption galopante et un népotisme ravageur.

Quant aux mesures d’urgence et à court terme, elles concernent la libération des journalistes Tawfiq Ben Brick et Zouhayr Mekhlouf, celle de Mr Sadok Chourou détenu depuis près de 17ans, la cessation des tracasseries, des agressions ( Slim Boukhdhir, Sihem ben Sédrine ) et du harcèlement dont sont victimes des opposants et des défenseurs (Khémaîs Chammari, Sihem Ben Sedrine, Omar Mestiri, Hamma Hammami, M° Radhia Nasraoui, M° Raouf Ayadi, Ali Laaridh, Abdelkrim Harouni, M°Mohamed Nouri, Lotfi Hidouri etc…), la libération des étudiants arrêtés début novembre et arbitrairement déférés devant les tribunaux, la vérité sur le sort très inquiétant de l’étudiant Mohamed Soudani disparu depuis le 23 octobre, la levée des mesures arbitraires de retrait ou de non renouvellement de passeports et d’interdiction de sortie sous des prétextes judiciaires fallacieux, la réintégration professionnelle des militants de Redeyef libérés le 5 novembre 2009 et le recouvrement de leurs droits ainsi que l’annulation des procédures ayant entrainé dans l’affaire de Redeyef la condamnation arbitraire par contumace de Mohieddine Cherbib, président de la FTCR (fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives) , et l’avis de recherche lancé contre Fahem Boukadous, correspondant à l’époque de la chaine tunisienne Hiwar.

Dans le même temps, se pose la question des conditions de vie et/ou de survie des associations et de composantes autonomes de la société civile. A la crise des relations entre le pouvoir et la LTDH- ligue tunisienne de défense des droits de l’homme- qui a, entre autres conséquences de blocage, le fait que le siège central de cette dernière n’est accessible qu’aux seuls membres du comité directeur et que onze sections locataires de locaux ne peuvent s’y réunir ; s’ajoutent les situations créées par les « coups de force » contre les directions légitimes de l’association des magistrats et du Syndicat national des journalistes. Par ailleurs, Toutes les associations autonomes et reconnues légalement ne peuvent tenir de réunions dans les lieux publics (hôtels, maison des jeunes, maisons de la culture…). Les militantes de l’ATFD –association tunisienne des femmes démocrates- (Sihem Ben Sedrine , Zakya Dhifaoui… ) sont interdites d’accès au siège de leur association qui déplore, de surcroît, que depuis l’intervention de la police à l’université féminine «Ilhem Marzouki » (à l’occasion de la session de formation au « monitoring » le 20 octobre 2009, le siège de ce programme novateur est cerné en permanence par la police qui en filtre l’entrée. La demi douzaine d’associations autonomes actives mais non reconnues subissent, quant à elles, d’incessantes tracasseries (CNLT, Liberté-Equité, AISPP, OPELC, ALTT…) ; les sièges d’E.L. et surtout du CNLT étant soumis à un strict contrôle policier pour en interdire l’accès aux visiteurs.

Il y a enfin les engagements pris par les autorités tunisiennes, et jusqu’ici restés lettre morte, concernant les visites en Tunisie des rapporteurs spéciaux thématiques des Nations Unies en matière de droits humains et d’exercice des libertés ainsi que la présentation des rapports périodiques de la Tunisie devant les instances des Nations Unies de suivi de la mise en œuvre des pactes et des traités relatifs aux droits humains. Ces rapports, notamment ceux sur la torture, la liberté d’expression, l’indépendance de la justice, les défenseurs des droits de l’homme et les droits économiques et sociaux, accusent un retard de plusieurs années!

Ce sont là autant de questions incontournables pour le sous comité des droits de l’homme Tunisie-U.E qui se réunira à Bruxelles début décembre ainsi que pour les négociateurs des conditions de l’octroi éventuel à la Tunisie de ce « statut avancé » tant convoité.

Paris, le 11 novembre 2009