En opposition à l’art établi, un groupe d’amis a choisi de rénover un dépôt et d’en faire un laboratoire où se mêlent aux expérimentations et formations artistiques, des expositions et des spectacles. Un lieu avant-gardiste qui secoue le milieu culturel.
Rue Houcine Bouzayane, Moncef Bey. Numéro 52. Entre deux magasins de rechanges de pièces industrielles et agricoles, un lieu de création artistique de 150 m² a vu le jour il y a quelques mois. Sur la porte d’entrée vitrée, quelques affiches et une inscription, que l’on remarque à peine : « Debbo 52 », dépôt en dialecte tunisien. C’est en poussant la porte que l’on prend toute la mesure du caractère innovant de ce lieu.
A l’intérieur, une grande pièce, une scène et une mezzanine. Trois espaces. Trois, comme le nombre de ses objectifs : proposer des ateliers de formation dans le domaine de la création artistique ; permettre à des artistes de répéter et de se produire sur scène ; mettre à disposition à la fois l’espace et le matériel pour aider les jeunes artistes à réaliser leurs projets. Une sorte de laboratoire où naissent des expériences individuelles et collectives. L’esprit du lieu ? A la fois simple et retro avec ses nombreux objets qui ont su trouver, dans ce nouvel espace, une seconde vie.
Passer de spectateur à créateur
A l’origine, Taabir, une association née aux lendemains de la Révolution, qui œuvre pour le développement des arts et cultures numériques, et ce à travers un programme de formations, d’accompagnement et de production de projets. « Le besoin d’avoir notre espace s’est naturellement imposé à nous », explique Rafik Omrani, l’un des fondateurs de Taabir et de Debbo 52.
Mais nous ne voulions pas un lieu fermé qui ne servirait qu’à nos propres activités : dès le départ nous avons imaginé un espace ouvert aux jeunes artistes, amateurs ou professionnels.
Rafik Omrani
Et, insiste Rafik Omrani : « pas uniquement un lieu où on monte sur scène, comme c’est déjà le cas dans de nombreux espaces culturels à Tunis, mais où l’on conçoit des projets ».
Car le maître mot de cette communauté (ils refusent le terme de « membres » ou « adhérents ») est la création. « Vous savez, on passe plus de temps dans les cafés à parler de culture qu’à en faire », regrette t-il. Ainsi, tous les trois mois, Debbo 52 lance un appel à projets à ceux qui souhaitent bénéficier d’une aide logistique et technique, ainsi que d’un encadrement pour réaliser leurs rêves. L’association donne la priorité aux jeunes de 18 à 30 ans qui portent des projets innovants dans le domaine artistique (théâtre, musique, art numérique, art plastique, danse). « En leur mettant à disposition des espaces et du matériel, en les mettant en contact avec d’autres artistes, en les accompagnant dans les démarches administratives, on les aide à trouver des solutions aux problèmes qu’ils rencontrent ».
Ni élitiste, ni populiste
Mais Debbo 52 souhaite aussi susciter l’envie de créer chez ceux qui ne s’y sentent pas autorisés. Ce n’est donc pas un hasard s’ils ont élu domicile à Moncef Bey, un quartier populaire et plutôt désaffecté. Il y a chez beaucoup de jeunes une barrière psychologique entre eux et le monde artistique : « certains passent devant notre local dix fois par jour, mais ne se sentent pas autorisés à franchir la porte. Nous essayons de lutter contre ça ». Sans perdre en exigence. « Ce n’est pas parce qu’on travaille avec des jeunes de quartiers populaires qu’on doit être moins regardant sur la qualité, il faut faire attention à ne pas tomber dans le misérabilisme », met en garde Rafik tout en reconnaissant que rompre avec les endroits élitistes, sans basculer dans le populisme, n’est pas chose facile. « Mais je suis tout de même optimiste : il y a près de 100 personnes de milieux très différents qui ont répondu à nos appels à projets », se réjouit-il.
Parmi eux, Jihed Khmiri, percussionniste, un habitué du Debbo 52. Il y prépare son prochain spectacle musical. « Ici, j’ai la possibilité de répéter dans un cadre très professionnel et d’avoir de précieux conseils », explique t-il, reconnaissant. « Ils me permettent aussi d’avoir une bonne visibilité et de bénéficier de leur réseau ». Une chance pour cet artiste qui admet qu’il est difficile d’intégrer l’univers artistique lorsqu’on n’a pas de soutien.
Le « troc des savoirs » comme moyen de financement
Plusieurs mois après l’ouverture de cet espace, les difficultés restent nombreuses : assurer la pérennité du projet ; mettre en place une organisation professionnelle dans un cadre associatif ; fidéliser le public ; faire travailler ensemble amateurs et professionnels ; trouver des financements. Autant de défis auxquels l’équipe de Taabir et de Debbo 52 (une dizaine de personnes dont quatre salariés) se préparent à relever.
Par exemple, pour le financement, plutôt que d’attendre les bras croisés les bailleurs de fonds, nous avons mis en place un système de troc de compétences : tu veux apprendre à faire de la guitare et tu maîtrises l’espagnole, et bien propose des cours d’espagnole et en échange tu recevras des cours de guitare, développe Rafik Omrani.
Ici, on n’échange pas des choses, mais des savoirs. Une façon de permettre à tous d’apprendre et de transmettre.
Debbo 52
- Adresse
- 52, rue Houcine Bouzayane
- Téléphone
- 71254449
- Courriel
- mail.taabir@gmail.com
- Internet
- Page Facebook
Merci de nous faire découvrir cette face de la Tunisie, qui innove, créée et s’implique dans les changements sociétaux. Il y a vraiment de quoi garder espoir.