IDENTIFIANT-UNIQUE-tunisie

Le groupement de bureaux d’études, chapeauté par OXIA, a été chargé au début de cette année, de réaliser une étude pour l’instauration d’un système national d’identification unique du citoyen « IUC », pour la somme de 235.504 dinars tunisiens.

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Le projet de l’identifiant unique du citoyen fait partie de la stratégie nationale « Tunisie Digitale » et dispose d’un budget de 5.200 Millions de dinars, financés à 100% par le fonds de développement des TICs. Un plan national qui sera finalisé en 2018, dont l’objectif est de faire du pays : « une destination numérique internationale, de créer des emplois et de promouvoir le développement socioéconomique », selon la déclaration de l’ancien ministre des TICs, Taoufik Jelassi en marge du séminaire de Korba en juin 2013.

Ce système d’identification unique du citoyen (et des entreprises) est un regroupement d’informations relatives à l’identité, l’état civil, la sécurité sociale, le revenu, l’imposition et bien plus, sous un même code qui permettrait aux différentes structures de l’Etat une consolidation des dossiers des citoyens. Ces derniers pourront accéder, en tant que clients de l’Etat, à un meilleur et plus rapide traitement de leurs requêtes et dossiers auprès des administrations tunisiennes. Des administrations qui, elles aussi, subiront une importante transformation technologique dans le cadre du projet « e-administration ».

Jusque-là, le projet semble apporter une solution multi facettes à plusieurs problèmes principalement socioéconomiques. Toutefois, l’état des lieux du cadre juridique représente la plus grande faille qui pourrait entraver le succès d’une telle initiative.

En Tunisie, la loi organique N°63/2004 portant sur la protection des données à caractère personnel n’est pas adaptée ni à ce projet ni à tout le plan national de stratégie numérique. En effet, l’identifiant unique étant une centralisation informatisée de nos données personnelles, sans un cadre juridique extrêmement contraignant quant à leur exploitation. Ce projet correspondrait plus à un méga système de surveillance, une sorte de « Big Brother » où l’Etat disposerait de toute information au sujet de chaque citoyen et entreprise déjà contenue dans les bases de données de la plateforme « Madania » pour l’état civil, les cartes d’identité et les autres plateformes chez le CRES, CIMSP, CNSS, CNRPS, CNAM et le Ministère des Finances.

Il n’est pas inutile de préciser aussi que le Ministère des TICs rappelle souvent que ce projet doit respecter le caractère de données personnelles, jusqu’à demander au bureau en charge de l’étude de dresser le diagnostic du « cadre légal et règlementaire relatif à la gestion, aux échanges et à la protection des données relatives aux citoyens et à caractère personnel ». (Voir Partie 2 /Article 2 du cahier des charges), et de proposer de nouvelles orientations en la matière.

A ce propos, Chawki Gaddes, juriste spécialisé en droit des technologies de l’information et de la communication, n’a cessé d’appeler à la vigilance en disant que la loi sur la protection des données n’était pas adaptée, citant l’exemple de ce qui s’est passé en France :

Monsieur Gaddes s’est déjà penché sur la question de la réforme dont vous pouvez trouver les détails dans cette présentation :

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On notera par ailleurs l’indignation de l’ex élue de l’assemblée constituante Nadia Chaabane, qui comme nous, s’insurge du silence de L’Instance Nationale de Protection des Données à Caractère Personnel face aux risques de ce projet :

J’espère qu’elle sera moins silencieuse par rapport à l’identifiant numérique unique en préparation ? Nadia Chaabane

Mais la réforme juridique doit aussi avoir lieu concernant le décret N° 4151 du 3 novembre 2014, portant sur la création du conseil stratégique de l’économie numérique. Ce comité étant en charge, entre-autres missions, d’étudier et de suivre l’exécution des projets de Tunisie Digitale. Outre le fait que ce décret proposé par l’ex ministre Jelassi soit un amendement à celui proposé par un autre ancien ministre Mongi Marzoug, les changements apportés au décret initial N° 4514 de 2013, le nouveau texte a sanctionné l’un des acteurs clé du secteur et donc du développement numérique à savoir l’autorité de régulation : L’instance nationale des télécommunications « INT », le même sort fut jeté aux différentes administrations et sociétés du secteur public à l’instar de l’agence nationale de sécurité informatique, ou encore l’agence nationale de certification électronique. Les sièges du secteur public ont en effet été offerts au secteur privé (6 sièges en tout) et quelques 3 sièges à des « experts » que le chef du gouvernement nommera. L’on remarquera aussi l’absence totale des représentants de la société civile dans cette nouvelle configuration du comité.

S’agissant de la bonne gouvernance et des problèmes économiques que connait la Tunisie depuis la révolution, il aurait été plus opportun que ce genre de projet soit d’une part étudié par le centre d’études et de recherches en télécommunications « CERT », qui non seulement aurait fait faire des économies quant au coût de l’étude, et d’autre part est un organisme public donc aurait su garder les données récoltées sous scellés, car quand bien même le contrat avec le groupement OXIA contient une clause de confidentialité ce n’est pas suffisant.

Toujours au sujet de la bonne gouvernance, l’absence de la société civile, du régulateur et des institutions publiques dresse un déséquilibre flagrant dans le modèle « multi-acteurs » que la Tunisie dit avoir adopté et vouloir promouvoir.

Espérons que Monsieur Noomane Fehri, nouveau ministre de la Communication et de l’Economie Numérique, qui a déjà validé le cahier technique de l’étude, saura éviter le pire en prenant le temps de réformer avant de déployer ce projet certes nécessaire mais à grands risques surtout pour nos données personnelles, surtout que le ministre des Affaires Sociales a déclaré récemment que le système était déjà prêt et en attente d’une décision politique.

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