Il est nécessaire de mettre en œuvre une stratégie permettant à l’ensemble des composantes de la société tunisienne de participer à la lutte contre le terrorisme, Houcine Abbassi, Secrétaire Général de l’UGTT.
Institutions de l’Etat, société civile, médias et citoyens sont appelés à agir comme un seul homme pour placer les intérêts de la patrie au-dessus de toute considération politique, partisane, corporatiste ou idéologique, Journal « La Presse » du 19 mars 2015.
Ces phrases nous les avons lues et entendues des dizaines de fois depuis l’horrible attentat du Bardo du 18 mars qui a fait 22 morts.
Nombreux étaikent les appels à l’ « union » ou à « l’unité nationale ». En tête de liste le président de la République lors de son discours du 20 mars dernier, jour de la fête de l’indépendance.
Cette « union nationale » ne semble pourtant trouver sa verve que dans les discours politiques. Car dans la pratique, la journée du 24 mars, date de réouverture du musée national du Bardo, l’élitisme politique semble avoir pris en otage un événement censé consacrer ladite union.
La communication ratée du ministère de la Culture
Dans un communiqué publié le 23 mars, le ministère de la Culture informe les citoyens de la réouverture du musée national du Bardo le mardi 24 mars à 16 heures.
Quoi de plus normal alors que de voir une foule citoyenne s’amasser devant le musée dès 10 heures le matin du mardi 24 mars. Sauf que leur surprise fût de découvrir des barrières empêchant l’accès au musée. On leur expliquera que le musée rouvrira un autre jour et que seules les personnes invitées par le ministère de la Culture sont autorisées à y accéder.
Face au tollé provoqué sur les réseaux sociaux, le ministère se targuera d’une clarification :
A la suite des rumeurs parues ce matin faisant référence au report de la réouverture du Bardo, le ministère de la Culture nie cette information et informe que la réouverture pour les invités, les personnalités politiques et culturelles, et certains représentants de la société civile aura lieu aujourd’hui mardi 24 mars à partir de 14h30.
Ce que semble oublier le ministère de la Culture c’est que la Tunisie n’est pas seulement composée de ces invités, de personnalités politiques et culturelles et de la société civile. Elle est en outre composée de simples citoyens touchés par l’attaque barbare du musée du Bardo. Ces simples citoyens auraient dû être privilégiés dans ce moment solennel. Comme d’habitude, les citoyens lambda sont exclus par les politiques, comme d’habitude ces derniers les prennent de haut.
Devant le musée nous avons rencontré une famille venue de Tozeur pour l’occasion afin de montrer l’importance de l’unité nationale face au terrorisme. Ne voulant pas être filmée de peur de représailles, cette mère de deux enfants nous interpelle :
On est venu ce matin de Tozeur. On voulait contribuer à cet événement, montrer notre dignité, notre force face à l’obscurantisme. Mais que voulez-vous ? On nous exclut ! Regardez ces barrières, comme pour mieux nous stigmatiser. Ils défilent devant nous tout sourire pour entrer au musée comme si c’était une fête. Non ce n’est pas une fête, c’est un moment de recueillement.
La gorge nouée, elle renchérit :
Vous voyez pourquoi nos enfants vont vers les terroristes ? Eux ils les regardent en face, les acceptent comme leurs égos, ne les toisent pas. Que font nos ministres pour nos enfants ? Ils les excluent de la réouverture du Bardo. Ils restent entre eux. Ils osent nous parler d’unité nationale ?! Quel culot !
Hélas, la politique spectacle a encore primé sur le symbolique. Nous aurions aimé voir nos ministres –qui sont des citoyens avant tout- unis avec leur peuple face à cet ennemi commun. Malheureusement, il en fut autrement.
L’exclusion des journalistes ou le retour de la presse d’Etat
Autre fait marquant lié à l’ouverture du musée du Bardo est l’exclusion de certains médias pourtant accrédités par le ministère de la Culture pour couvrir l’événement.
Le 23 mars au soir, ledit ministère sort un n communiqué à l’intention des médias.
Paru en langue arabe, il excluait de facto la presse étrangère qui devait couvrir l’événement. Indépendamment de cela, le ministère ne donne aucune explication sur comment il allait octroyer le fameux sésame.
Un journaliste d’un hebdomadaire tunisien que nous avons rencontré à la sortie du musée nous informe :
J’étais l’un des premiers à arriver ce matin au ministère de la Culture, on m’avait dit que les badges pour journalistes étaient déjà épuisés. Heureusement que je connaissais quelqu’un au ministère qui nous a fournit une invitation.
Cette organisation calamiteuse du ministère de la Culture n’a fait que creuser encore plus le fossé entre politiques et journalistes. Certains même se sentant floués au profit d’une presse plus « lisse » avec les dirigeants.
Une journaliste d’un média en ligne le ressent viscéralement :
On nous met toujours dehors, nous les Tunisiens. La presse étrangère a pu rentrer même sans accréditation. Quant à nous, on nous dit de revenir pour la cérémonie officielle de 14h30. Pire encore, certains de mes collègues tunisiens ont pu rentrer sans accréditation aussi, et comme par hasard, ils travaillent pour les médias qui ne font pas de vagues et caressent dans le sens du poil, dit-elle en colère.
On est revenu à une forme de préférence médiatique. Avant c’était TV7 et le Renouveau qui avaient la primeur, aujourd’hui ce sont la Télévision Nationale et les médias privés aux mains des politiques qui l’ont. Franchement, c’est rageant, conclut-elle.
Ces nombreux couacs ont donné de la matière aux réseaux sociaux qui se sont enflammés face à ces exclusions :
#Fail #bardo pic.twitter.com/Et9dqhWjQK
— Maher BEN SALAH (@maher_bs) March 24, 2015
Il est aberrant de voir que la communication et l’organisation d’un tel événement ait été lamentablement raté par le ministère de la Culture. Si ces couacs ne sont pas intentionnels, il n’en demeure pas moins que l’image véhiculée est désastreuse.
Se cantonnant aux hautes sphères politiques et excluant de facto ses propres citoyens, le ministère de la Culture semble à lui seul démontrer que « l’union nationale » n’est qu’une douce berceuse parvenant seulement à qui veut l’entendre.
En espérant qu’à l’avenir nos chers ministres retiendront la leçon d’un tel désastre et sauront faire preuve de moins d’égoïsme.
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