Hillary-Clinton-tunisia

Après un second mandat au sein duquel les relations tuniso-américaines ont décuplé, l’administration Obama devra plier bagages en 2016. Hillary Clinton, candidate proclamée aux prochaines élections présidentielles américaines semble être la candidate la mieux armée pour reprendre le flambeau du président démocrate. Même si bien avant, il faudra remporter les primaires du Parti Démocrate. Si aujourd’hui elle est la seule candidate proclamée à ses primaires, d’autres grands politiciens américains ont exprimé leur intérêt : Le vice-président des USA Joe Biden, et le gouverneur du Maryland Martin O’Malley principalement.

Epouse de Bill Clinton et ex-première dame des Etats-Unis de 1993 à 2001, sénatrice démocrate de l’Etat de New-York jusqu’à 2009, elle perd les primaires démocrates de 2008 contre l’actuel président Barack Obama. Si elle arrive, cette fois-ci, à sortir gagnante de ces primaires, elle touchera de près son rêve de devenir la première femme présidente des Etats-Unis d’Amérique. D’autant plus que coté républicain, les casseroles de Ted Cruz et Marc Rubio (deux des trois candidats jusqu’à ce jour proclamés coté républicain) semblent être à leur désavantage.

Si elle ne s’est pas encore exprimée sur sa politique étrangère, et principalement dans la région MENA, il est intéressant de voir comment sa position a évoluée vis-à-vis de la région, mais aussi de la transition démocratique tunisienne. Pour ce faire, Nawaat a contacté un panel d’experts spécialistes des relations tuniso-américaines qui nous livrent les contours de la future politique extérieure US en Tunisie et dans la région si Hillary Clinton accédait à l’investiture suprême.

Mars 2011 : la visite controversée d’Hillary Clinton à Tunis

Deux mois après la chute de Ben Ali et dans un contexte de fortes tensions politiques, Hillary Clinton, alors secrétaire d’Etat, se rend en visite officielle en Tunisie. Si l’opinion publique était largement défavorable à sa venue conduisant à des manifestations à l’Avenue Bourguiba, le gouvernement provisoire semble avoir apprécié cet appui. Rencontrant tour à tour le président par intérim Foued Mbâzaa et le Premier ministre Béji Caid Essebsi.

Devant rencontrer des journalistes et des bloggueurs lors d’une conférence de presse, la secrétaire d’Etat leur fit faux bond, transgressant les promesses faites devant le Congrès Américain à l’époque.

Je tiens à dire quelques mots au sujet de ce remarquable changement qui se produit à travers le Moyen-Orient. Oui, il est passionnant et il présente également des défis très importants pour la position de l’Amérique, pour notre sécurité, et pour nos intérêts à long terme. La semaine prochaine, je vais voyager au Caire et à Tunis pour parler directement avec le peuple égyptien et tunisien.
Transcription du discours d’Hillary Clinton devant le Congrès US.

Si elle a préférée fuir les journalistes et les bloggueurs, elle a profité d’une tribune offerte par Nessma TV pour s’adresser aux Tunisiens. Délaissant les deux chaînes nationales, elle avouera en direct sur la chaîne du grand Maghreb : « J’ai cru comprendre que cette chaîne n’était pas la chaîne préférée du dictateur Ben Ali, c’est donc un honneur [d’y passer] ».

Chapeautée par deux journalistes acquis à sa cause et des présents triés sur le volet, elle a eu tout le loisir de parler pour ne rien dire.

La politique étrangère d’Hillary Clinton dans la région MENA

Dans un article paru sur Reader Supported News, Juan Cole, universitaire américain, historien du Moyen-Orient moderne et Asie du Sud, commentateur politique, et intellectuel public revient sur les positions d’Hillary Clinton dans la région MENA depuis ses débuts en politique. Voici certaines d’entres elles :

● Elle a supporté l’attaque Israélienne contre Gaza l’été dernier. Elle a en outre imputé toute la responsabilité au Hamas.

● En tant que Secrétaire d’Etat, elle a appelé à intervenir auprès des rebelles syriens, ce qui fut rejeté par Barack Obama.

● Elle s’est proclamée contre une intervention des troupes américaines basées en Irak contre l’ISIS.

● Elle a soutenu Barack Obama dans sa décision de mener des négociations avec l’Iran sur la question du nucléaire Iranien. Il faut rappeler qu’en 2008, elle avait admis que si le nucléaire iranien menaçait Israël, une attaque américaine serait envisageable.

● Si en 2011, elle était contre les révolutions arabes, elle changea vite de discours en 2012 devenant l’une des plus ferventes supportrices de ces pays.

● Initialement elle avait critiqué les révélations d’Edward Snowden des câbles de la NSA. Plus récemment, elle s’en prit violemment à cette dernière et à la cyber surveillance à laquelle elle s’adonne.

● Elle a encouragé l’attaque contre la Libye.

● Elle a voté pour la guerre et l’occupation de l’Irak sous l’administration Bush.

On peut observer une évolution marquée des positions de Hillary Clinton dans la région MENA, probablement due à son désir de se porter candidate aux élections de 2016.

Pour Juan Cole, la politique étrangère d’Hillary Clinton sera très proche de celle de Barack Obama, même s’il admet qu’elle peut être bien plus interventionniste. Selon lui, son vote pour la guerre en Irak sous le mandat de Georges W. Bush en dit long sur sa vision de la politique étrangère américaine. Son côté belliciste pourrait mener les USA à être militairement plus présents dans la région.
Cette idée de Juan Cole est partagée par beaucoup de monde. Mohamed Malouche, président du Conseil d’administration de l’Association des Jeunes Tunisiens Américains professionnels nous le confirme :

La politique étrangère américaine du second mandat d’Obama est entrain de rééquilibrer les forces dans la région. Le président ne se soucie plus d’une réélection mais pense à son rôle historique. Il prend donc des risques sur le dossier Iranien, j’espère aussi sur la cause Palestinienne. Mais son non-interventionnisme (pour trancher avec la politique Bush) reste de mise. Je pense que Mme Clinton va continuer sur à peu près la même ligne. Elle maîtrise les dossiers beaucoup plus qu’Obama, et pourra probablement être plus à même d’agir ; c’est ce qu’on reproche le plus à Obama : la lenteur de ses décisions en matière de politique étrangère. Mohamed Malouche, président du Conseil d’administration de l’Association des Jeunes Tunisiens Américains professionnels (TAYP).

Idem pour Nicholas Noe, analyste politique basé à Beirut pour le site mideastwire.com :

En matière de politique étrangère à l’égard du Moyen-Orient, Hillary Clinton semble avoir pris une ligne de conduite plus agressive et belliciste que le président Obama. Nicholas Noe

Pour Rob Prince, professeur de relations internationales à l’université de Denver, la sentence est la même :

Son histoire suggère qu’elle aura une ligne plus dure que celle menée par Obama, même si elle semble le suivre sur les négociations sur le nucléaire Iranien. Changera-t-elle la politique étrangère américaine dans la région MENA ? Très peu probable, même si elle serait plus ouverte à l’extrême droite (néo-conservateurs, American Israel Public Affairs Committee). Rob Prince

Et la Tunisie dans tout cela ?

Si Hillary Clinton était rudement opposée aux soulèvements du printemps arabe dans un premier temps, elle fit rapidement volte-face dès 2012. Elle fût d’ailleurs froidement accueillie par les citoyens égyptiens qui lui reprochent son soutien à Moubarak. Idem, lors de sa visite à Tunis, où plusieurs manifestants lui reprochaient son côté impérialiste.

Mais depuis, les choses ont bien changés. Moins en vue depuis qu’elle a quittée le secrétariat d’Etat, elle ne cesse de louer « l’exemple de la réussite démocratique tunisienne ».

C’est aussi ce qu’affirme Rob Prince :

Nous devrions nous rappeler que Mme Clinton était initialement opposée au Printemps arabe. En ce qui concerne l’Egypte, elle a soutenu Moubarak, même après qu’Obama ai clairement dit qu’il ne permettrait pas aux États-Unis d’intervenir militairement pour sauver son régime. Idem, dans le cas de la Tunisie, elle hésitait à comprendre que les jours de Zine Ben Ali étaient finis. Elle était nerveuse. Dans les deux cas, elle se demandait comment le changement, même inéluctable, servirait mieux les intérêts américains…. En ce qui concerne la Tunisie, je n’ai pas vu de déclarations politiques de sa part jusqu’à ce jour. Mais compte tenu de la nouvelle importance stratégique que les États-Unis donnent à la Tunisie, je serais surpris s’il y a un changement majeur ou même mineur dans la politique [étrangère US]. Rob Prince

Pour M. Malouche, si Hillary Clinton venait à être présidente des USA, la Tunisie grimpera dans la liste des priorités de la Maison Blanche, même si la politique étrangère en générale sera la même que celle de Barack Obama :

Cela va être la continuation de la politique d’Obama, c’est à dire un soutien à la transition démocratique, et un soutien concret sécuritaire et économique. Je pense et j’espère que l’aide va augmenter (la proposition du budget 2016 est de doubler l’aide pour atteindre $134M, ce qui reste quand même globalement timide) . L’aide économique devrait être plus ciblée dans les domaines où les USA ont un avantage indéniable (entrepreneuriat, éducation..). Ce qui va changer je pense c’est que la Tunisie va grimper dans la grille des priorités de la Maison Blanche et de ce fait la coopération devrait être plus substantielle. Mohamed Malouche

Pour Nicholas Noe, le caractère belliciste d’Hillary Clinton serait à terme une bonne chose pour la protection de la Tunisie, mais aussi pour les intérêts américains :

…Cela pourrait signifier un soutien militaire plus prononcé pour la Tunisie sur le court terme, ce qui serait une bonne chose. Cela [sa politique étrangère] pourrait aussi conduire à une accélération des nombreux conflits régionaux qui sont en fait les principaux facteurs qui menacent la stabilité de la Tunisie, maintenant et à l’avenir. Nicholas Noe

Cette idée de protéger coûte que coûte la Tunisie est aussi exprimée par Rob Prince :

La Tunisie est importante pour les USA comme partenaire stratégique dans la région, c’est un peu comme un nénuphar, à l’instar du Burkina Faso en Afrique Centrale. Les États-Unis ne veulent pas voir la Tunisie s’effondrer comme son voisin libyen et continuera à offrir une aide stratégique et militaire. D’ailleurs, récemment Washington a triplé le montant de l’aide militaire offerte à Tunis. Rob Prince

Passé le volet sécuritaire de l’éventuel impact de l’élection d’Hillary Clinton sur la Tunisie, le volet économique est tout aussi intéressant.

Pour M. Malouche, Mme Clinton sait comment redorer le blason de l’économie tunisienne :

Mme Clinton pense vraiment que les diasporas ont un rôle essentiel à jouer pour accroitre les échanges, les relations commerciales etc… Grâce à elle, la TAYP a pu participer à 2 forums important (Global Diaspora Forum) qui ont été fondamentales pour notre développement. Elle a pu organiser avec son équipe au Département d’Etat une grande conférence “Tunisia Investment Forum” à Washington. Nous avons également commencé un programme de mentorat et un programme d’exports de l’artisanat Tunisien vers les US quand elle était secrétaire d’Etat. Mohamed Malouche

Pour Rob Prince, la politique économique américaine vis-à-vis de la Tunisie ne changera pas. Elle continuera si et seulement si la Tunisie continue d’appliquer les politiques préconisées par le FMI et la Banque Mondiale :

Quant à la politique économique, Hillary Clinton continuera à insister – comme condition d’attribution d’aides US – pour que le pays continue d’accepter et de remplir les critères d’ajustements structurels de la Banque mondiale et du Fonds Monétaire International, que le peuple tunisien veule prendre cette voie ou non. Rob Prince

On comprend qu’une forme de statut-quo perdurera dans les relations tuniso-américaines si Hillary Clinton venait à être élue. Même si son interventionnisme proclamé venait à modifier les rapports de forces dans la région, la Tunisie continuera d’être « sous la protection américaine ».

Rob Prince conclut :

Tant qu’il n’interfère pas avec les intérêts stratégiques et économiques américains… Mme Clinton soutiendra, comme l’a fait Obama, tous les changements nécessaires pour maintenir le statu quo en Tunisie ! Est-ce que le peuple tunisien le veut ou en a besoin ? C’est une autre question.