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«C’est très difficile de dire non à Dieu», explique la victime d’un prêtre pédophile, interviewée par une journaliste du Boston Globe faisant partie de l’équipe d’enquête Spotlight, qui donne son titre au film de Tom Mc Carthy sorti en salles ce 27 janvier 2016 aux USA et programmé à Tunis tout le mois de mars.

Un impeccable film qui reconstitue le plus fidèlement possible l’enquête menée par ces journalistes sur un sujet très sensible : la protection offerte pendant une trentaine d’années par le cardinal-archevêque de Boston, Bernard Law, aux prêtres de son diocèse, auteurs d’abus sexuels sur des enfants. Si les journalistes de Spotlight ont obtenu en 2003 le Prix Pulitzer pour leur enquête, le film qui raconte leur exploit a raflé 9 prix à ce jour, à commencer par l’Oscar du meilleur film.

Comment s’en prendre au plus démunis

La religion et le sexe, deux  tabous. A chaque fois qu’ils se rencontrent, le résultat est explosif. Le monde “civilisé”, qui est tellement choqué par la barbarie primitive du “Jihad alnnikah “ [jihad du sexe] de “l’État islamique”, a beaucoup de mal à regarder en face ses propres turpitudes, comme par exemple ce qu’on appelle à tort les prêtres pédophiles. Pédophile veut dire “qui aime les enfants”; or, ces prêtres qui abusent d’enfants, garçons et filles, allant des attouchements aux viols parfois suivis de meurtre, ne le font pas parce qu’ils aiment les enfants, mais uniquement parce qu’ils savent pouvoir profiter des plus faibles et vulnérables. Ces prédateurs sont des pédocriminels. SNAP [Survivors Network of those Abused by Priests], l’association de victimes d’abus commis par des prêtres, compte aujourd’hui plus de 12 000 membres dans 56 pays, ce qui donne une idée de l’ampleur du phénomène, qui n’a donc rien de marginal.

Tout comme l’État islamique qui manipule des jeunes arabes démunis pour les recruter, ces prêtres s’en prennent aux plus pauvres dans la société pour en tirer profit. « La religion joue un rôle très important dans la vie des pauvres à Boston » reconnait une victime dans le film, « Les prêtres repèrent les plus pauvres et les plus vulnérables comme victimes pour s’assurer qu’ils diront rien » souligne l’un des enquêteurs, joué par l’acteur Marc Ruffalo.

Les révélations du Boston Globe à partir de janvier 2002 ont eu un véritable effet boule de neige et conduit à des révélations d’affaires similaires dans le monde entier, et pas seulement dans l’Église catholique, mais dans toutes les églises et, plus généralement, les organisations regroupant des enfants sous l’autorité d’adultes.

Comme le montre le scandale qui agite actuellement l’Église catholique de France, avec l’affaire du cardinal de Lyon Mgr. Barbarin, la haute hiérarchie s’est généralement comportée comme celle de Boston, en appliquant les règles de l’omerta, la loi du silence de la mafia sicilienne. Le Boston Globe a brisé cette loi et donné l’exemple.

Une leçon de journalisme

Spotlight devrait entrer dans les programmes d’enseignement de toutes les écoles de journalisme et formations aux médias citoyens. Tout d’abord, les journalistes de Spotlight ne sont pas des supermen ou superwomen, mais des Bostoniens ordinaires amateurs de base-ball. Ensuite, ce sont des bosseurs et des bosseuses qui travaillent 15 heures par jour et ne fréquentent les cafés que pour y rencontrer des témoins. Ils sont habités par un seul souci : rechercher la vérité. Mais cela ne leur fait jamais oublier qu’ils doivent veiller à la protection de leurs sources, à commencer par les victimes qui acceptent de témoigner, et auxquelles ils manifestent une empathie qui n’est pas feinte. Et ils savent être patients, prendre leur temps et s’adapter aux temps de leurs sources. Ils sont conscients que la publication prématurée de résultats partiels de l’enquête pourrait ruiner les efforts pour découvrir toute l’étendue de l’affaire. Ainsi, ce qui était au départ une enquête sur un prêtre criminel s’étend à 7, puis 13, puis 90 prêtres dans le seul diocèse de Boston, qui ont fait plus de 1 000 victimes.

En publiant ses révélations, dans plus de 600 articles en un an, le Boston Globe a montré que la force du quatrième pouvoir peut venir d’autre chose que du scoop, du buzz, du scandale à tout prix, mais plutôt de la parole des plus faibles, des sans-voix. Le journal a pu gagner une bataille contre le pouvoir redoutable de l’Église catholique à Boston, où les catholiques constituent pratiquement la moitié de la population. Mais cette bataille ne concerne pas que les catholiques.

Partout où les pauvres survivent dans l’ignorance, leurs enfants sont une proie de choix pour les prédateurs assoiffés de pouvoir qui abusent d’eux et les réduisent au silence au nom d’une entité supérieure, en général un Dieu. D’où la portée universelle de la leçon de Boston.