(Tunis, le 28 avril 2016) – La lutte contre le terrorisme et le respect des droits humains sont complémentaires, ont affirmé aujourd’hui 46 organisations tunisiennes et internationales de défense des droits humains, dans une lettre ouverte adressée à tous les Tunisiens et intitulée « Non au terrorisme, oui aux droits de l’homme ». Trois des organisations tunisiennes signataires ont reçu en 2015 le Prix Nobel de la Paix. Deux autres représentent les familles des politiciens tunisiens Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, assassinés en 2013 par des terroristes. Cinq célébrités tunisiennes, parmi lesquelles des acteurs, un rappeur, une cinéaste et une championne sportive, ont soutenu ce point de vue dans une vidéo également diffusée aujourd’hui.

Les organisations ont insisté sur la nécessité de combattre tous les actes terroristes et d’en poursuivre les auteurs, les instigateurs et les planificateurs. Elles reconnaissent le devoir de l’Etat de protéger les droits de toutes les personnes sur son territoire, y compris le droit à la vie et à la sécurité. 

En même temps, elles ont exhorté les autorités à garder à l’esprit que violer les droits humains nuit aux efforts de lutte contre le terrorisme, et ce de maintes façons :

  • Les larges violations des droits humains détruisent la paix sociale tout autant que les entreprises terroristes ;
  • Les violations des droits humains alimentent le sentiment d’injustice, servent d’excuses aux terroristes, et facilitent leur recrutement ;

  • Les lois antiterroristes abusives font des victimes, parmi lesquelles figurent inévitablement des citoyens innocents et respectueux de la loi;
  • Garantir le droit à un procès équitable n’est pas un signe de « faiblesse » face au terrorisme. Rendre justice consiste à protéger les innocents autant qu’à punir les coupables ;
  • En plus d’être une pratique interdite, quelles que soient les circonstances, par le droit international et le droit tunisien, extorquer des aveux sous la torture à des personnes suspectées de terrorisme conduit souvent à de fausses pistes ; au final, cela ne fait que gaspiller le temps et les ressources, précieux, des services de sécurité ;
  • La torture et d’autres pratiques abusives à l’encontre des suspects ont aussi pour conséquence de décourager les informateurs potentiels, alors qu’ils pourraient aider les forces de sécurité à contrer des actes de terrorisme.

La Tunisie a connu plusieurs attaques meurtrières commises par des extrémistes islamistes en 2015 et 2016, qui ont fait des dizaines de morts et de blessés. La dernière en date, le 7 mars 2016, à Ben Guerdane, à une trentaine de kilomètres de la frontière Tuniso-Libyenne, a fait 18 morts, dont 7 civils. Le 18 mars 2015, deux hommes armés ont attaqué le Musée du Bardo, voisin du parlement tunisien, tuant 21 touristes étrangers et un agent de sécurité tunisien. Le 26 juin, un homme armé a fait un carnage dans un complexe balnéaire de Sousse, tuant 38 touristes étrangers. Le 24 novembre, un attentat suicide dans un bus a causé la mort de 12 membres de la garde présidentielle et a blessé 20 personnes, parmi lesquelles quatre civils. 

La loi antiterroriste de 2015, qui a remplacé une loi antiterroriste de 2003 promulguée par le gouvernement du Président déchu Zine el-Abidine Ben Ali, confère de larges pouvoirs aux forces de sécurité en matière de contrôle et de surveillance, et prolonge la détention au secret, de six jours maximum jusqu’à 15 jours pour les suspects de terrorisme. Elle autorise également les tribunaux à fermer leurs audiences au public, et à dissimuler l’identité de certains témoins aux accusés, des mesures qui nuisent aux garanties d’équité des procédures pour les suspects. 

Les organisations tunisiennes et internationales de défense des droits humains ont également recueilli les témoignages de nombreuses personnes affirmant avoir subi des abus pendant les opérations menées dans le cadre de la lutte antiterroriste. Elles ont interviewé Alaeddine Slim, un réalisateur tunisien qui a raconté avoir passé 33 jours en prison en novembre – décembre 2015, après une descente des forces antiterroristes chez lui, sur la base d’une accusation qu’il qualifie d’infondée. Selon Alaeddine Slim, les forces antiterroristes n’ont trouvé aucune preuve d’activités terroristes à son domicile, et les procureurs ont fini par l’inculper uniquement pour possession de cannabis. 

Les organisations ont également interviewé et étudié le dossier judiciaire de Nader Alaoui, un jeune Tunisien au chômage qui leur a raconté avoir été emprisonné pendant 14 mois sur la base d’accusations liées au terrorisme. Il a affirmé avoir subi à de nombreuses reprises des coups et d’autres abus au cours de sa détention, jusqu’à ce qu’un juge d’instruction finisse par abandonner les charges le concernant, en raison du manque de preuves.

Houssam Hamdi, un Tunisien qui voyage régulièrement à l’étranger, a raconté aux organisations que la police antiterroriste lui a interdit de sortir du pays parce qu’ils « avaient un dossier sur [lui] ». Houssam Hamdi n’a pas réussi à obtenir le motif de cette interdiction, et en l’absence de notification écrite il n’a aucune possibilité de recours officiel pour la contester.

Les organisations ont créé une page Facebook et un compte Twitter, sur lesquelles elles publieront des dessins offerts par des caricaturistes tunisiens pour soutenir la campagne « Non au Terrorisme, Oui aux Droits de l’Homme », ainsi que des articles, interviews, images, bandes-son, vidéos, et autres contenus en rapport avec la campagne. 



Organisations signataires :



Organisations tunisiennes

  1. Union Générale Tunisienne du Travail
  2. Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme
  3. Ordre National des Avocats de Tunisie
  4. Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux 
  5. Syndicat National des Journalistes Tunisiens
  6. Association des Magistrats Tunisiens
  7. Organisation Contre la Torture en Tunisie 
  8. Association Tunisienne des Femmes Démocrates 
  9. Al Bawsala 
  10. Association citoyenneté et Libertés
  11. Association Horizons El Kef Pour Le Développement Intégral
  12. Association Nawaat
  13. Association Scientifique pour les Études sur la Population, la Migration et la Santé (ASPOMIS)
  14. Association Tunisienne de Défense des Libertés Individuelles
  15. Fondation Belaïd Contre la Violence
  16. Fondation Mohamed Brahmi
  17. Fondation Mohamed Belmufti pour la justice et les libertés
  18. CeTuMA (Centre de Tunis pour la Migration et l’Asile)
  19. Coalition pour les Femmes de Tunisie 
  20. Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie
  21. Coordination Nationale Indépendante pour la Justice Transitionnelle
  22. Fédération Tunisienne pour une Citoyenneté des deux Rives
  23. Free Sight Association 
  24. Groupe Tawhida Ben Cheikh
  25. Irtikaa
  26. L’Organisation Tunisienne de la Justice Sociale et de la Solidarité
  27. Labo Démocratique
  28. L’association Amal pour l’environnement Metlaoui Bassin Minier
  29. L’Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche sur le Développement
  30. L’Association Femme et Citoyenneté
  31. L’Association Tunisienne de Défense du Droit à la Santé
  32. Ligue des Electrices Tunisiennes
  33. Mourakiboun (Observateurs)
  34. Observatoire National sur l’Indépendance de la magistrature
  35. Réseau Doustourna
  36. Thala Solidaire
  37. UTOPIA Tunisie
  38. Zanoobya
  39. Organisations internationales

  40. Réseau Euro-Méditerranéen des Droits humains
  41. Organisation Mondiale Contre la Torture 
  42. Fédération Internationale des Droits de l’Homme 
  43. Human Rights Watch 
  44. Oxfam
  45. Article 19
  46. International Alert
  47. The Carter Center

Pour plus d’informations, prière de contacter:
En Tunisie, Amna Guellali (anglais, français, arabe): +216-24-485-324 (mobile); ou guellaa@hrw.org. Twitter: @aguellaa