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Réponse à l’article « Lutte contre la pauvreté : les risques du microcrédit »

L’article de Mme Teycir Ben Naser intitulé « Lutte contre la pauvreté : les risques du microcrédit », publié récemment, aurait pu être plus équilibré. C’est pourquoi Enda, pionnier et leader du secteur de la micro-finance en Tunisie, souhaitait rétablir certains faits, d’ordre général ou relatifs à notre institution qui est mentionnée plusieurs fois.

Tout d’abord, il est erroné de dépeindre le secteur de la micro-finance comme “très rentable”. Bien des investisseurs gourmands se sont cassé les dents à cause de cette conviction.

Il est vrai que les taux d’intérêt dans le micro-crédit sont “élevés” par rapport aux banques, dont les micro-entrepreneurs sont exclus. Mais les charges du secteur sont structurellement élevées : par exemple, le personnel est relativement plus nombreux que dans une banque. Ainsi, Enda emploie à plein temps plus de 1 300 personnes, diplômées du supérieur à plus de 80%.

C’est en 1995 que Enda a introduit en Tunisie le micro-crédit selon les “bonnes pratiques” internationales, qui visent la pérennité (les revenus couvrent les dépenses). Huit années de travail ont été nécessaires pour atteindre l’équilibre financier, qui lui permet de fonctionner sans subventions.

La pérennité est essentielle pour garantir le service. Les micro-entrepreneurs ont besoin d’accès au crédit pour développer leurs micro-entreprises. Si la micro-finance dépend de subventions, quand les moyens pour assurer ces subventions viennent à manquer, le service tarit. Par contre, avec la pérennité, les micro-entrepreneurs assurent eux-mêmes la permanence de leur institution.

Il a été démontré dans le monde entier que, sauf très rares exceptions, micro-finance et subventions dans la durée ne sont pas amis; le cas tunisien l’a bien démontré.

En plus, la loi tunisienne limite une IMF au seul micro-crédit. Les autres services financiers dont les pauvres ont besoin (micro-assurance, épargne, transferts adaptés à leur situation) sont interdits. Là où les banques disposent d’une large gamme de services pour répartir et couvrir leurs coûts, les IMF doivent se financer à partir du seul crédit. Malgré cette restriction majeure, les ratios financiers de Enda sont meilleurs que ceux des banques tunisiennes.

L’article semble dire que le secteur de la micro-finance en Tunisie conduira nécessairement au surendettement. En 21 ans dans le domaine, Enda a octroyé des micro-crédits pour une valeur cumulée dépassant 2 milliard de dinars à près de 600 000 micro-entrepreneurs tunisiens. Ses “clients actifs” (ayant un prêt en cours) s’approchent de 300 000. Nombreux sont ceux qui ont obtenu plus de dix prêts successifs. Ils utilisent leurs prêts pour renforcer et faire grandir leur micro-entreprise, investissant les bénéfices dans l’amélioration des conditions de vie de leurs familles (logement, nutrition, éducation…). S’ils reviennent vers Enda, c’est que quelque part ils sont satisfaits du service. Personne ne les oblige ou “encourage” à prendre un prêt dont ils n’ont pas besoin.

D’ailleurs, Enda est la première (et encore l’unique) IMF de la région MENA à être agréée par la Smart Campaign, entité internationale œuvrant pour le respect des clients. Parmi nos obligations dans ce cadre, nous devons éviter le surendettement: il y va de l’intérêt des clients et de l’institution.

Dans le même souci de lutte contre le surendettement, l’Autorité de Contrôle de la Microfinance, en collaboration avec Enda et les autres acteurs, vient de mettre en place une centrale de risque. Opérationnel depuis janvier 2016, cet outil permettra de mieux surveiller le surendettement.

Enfin, l’article s’interroge sur la capacité des IMF à réduire la pauvreté en Tunisie.
La micro-finance peut faire partie de la solution en tant qu’outil de développement économique au service des Tunisiens. Mais elle ne peut qu’apporter un appoint. Bien d’autres conditions devraient être remplies. L’accès aux soins de santé, à l’enseignement de base, à l’information sur leurs droits, à des infrastructures efficaces font partie intégrante de cette solution. Il ne faut pas reprocher à la micro-finance seule de ne pas résoudre ce problème mondial et croissant.

Malheureusement, depuis une cinquantaine d’années, ce contexte général évolue en sens inverse de ce qui est nécessaire pour réduire la pauvreté. Les impôts et taxes, surtout ceux dus par les plus nantis, baissent et donc les moyens d’intervention des gouvernements: la qualité des services publics ne fait que se dégrader partout dans le monde.
Juger des performances de ce secteur hors de ce contexte général ne peut que déformer la réalité. Se fonder sur les abus émanant de personnes ou d’institutions qui placent leurs profits au-dessus de l’objectif social pour condamner l’ensemble du secteur nous semble injustifié.
Pour conclure, il est vrai que “l’argent ne fait pas le bonheur”. Mais sans accès à des services financiers, un micro-entrepreneur a peu de chances d’améliorer sa situation. Il faudrait qu’un jour, les détracteurs de la micro-finance proposent des solutions de remplacement pratiques.

Michael Philip Cracknell
Co-fondateur et Secrétaire Général de Enda tamweel

Nous avons choisi de publier le droit de réponse pour permettre aux intéressés, en l’occurrence Enda, d’expliquer leur point de vue. Ceci étant dit, ce droit de réponse n’altère en rien la substance de nos propos, mais au contraire les confirme. Notre article ne venait pas défendre ou condamner des intérêts en particulier mais avait pour objectif de soulever un débat public sur les effets pervers inhérents à tout système et d’analyser la contribution réelle des IMFs à éradiquer la pauvreté et à permettre une meilleure circulation des capitaux en faveur des plus démunis. Or il est un fait que de nombreuses études ont démontré les limites de ces dernières à répondre à ces problématiques. La multiplication des IMFs en Tunisie pourrait au contraire engendrer des risques profonds, dont le plus grave est celui du surrendetement. Il s’agit d’en avoir conscience pour pouvoir mettre en place des mécanismes de contrôle efficaces.

La Rédaction de Nawaat