« Chaque jour, des intox, de la diffamation… ils veulent nuire au rap. Si chaque rappeur vous insulte dans une seule ligne, votre Etat se sentira en danger. Sans millimes, avec des beats et des rimes, le rap a envahi le pays », chante Klay BBJ dans son dernier morceau Al-Ghadhab [La Colère]. Il s’y attaque nommément à plusieurs figures télévisuelles dont Borhen Bsaies, Moez Ben Gharbia et Naoufel Ouertani. Dans le même track, le rappeur s’en est pris aux médias, juste après la police et Daesh. De quoi illustrer la haine qu’il leur voue. D’ailleurs, l’enfant terrible de Bab Jdid a annoncé la rupture depuis Tawdhih [Clarification] en 2015, un clash contre les médias où il nomme Mosaique Fm, Ettounissia, Hannibal, Watania, Al-Janoubia et Nessma.
Les réseaux sociaux, maquis du rap
Klay BBJ s’est toujours exclusivement basé sur les réseaux sociaux pour diffuser sa musique, comme la majorité écrasante des rappeurs tunisiens. Ce qui lui a assuré une forte influence sur Youtube et Facebook. En témoigne la visibilité de son dernier morceau sorti le 10 février et qui a déjà dépassé 1,5 million de vues. Un impact assez important, non seulement pour faire circuler ses titres mais aussi pour riposter comme quand Bsaies a prétendu que Chafik Jarraya a financé le clip de Lasna lel bayâ (Nous ne sommes pas à vendre) pour régler ses comptes avec Slim Riahi, en pleine campagne électorale. Au-delà de ces épisodes aux allures circonstancielles, le langage cru du rap et son esthétique trash ont toujours été marginalisé par les médias dominants, malgré une relative ouverture après la révolution.
Les médias, un vieil ennemi
« Où est la presse ? Où sont les médias ? Où sont les chaînes tv ?», les interpelait Ferid El Extranjero déjà en 2009 en dénonçant l’injustice sociale et les violences policières dans Libertad. « Tu prends ta télécommande, lâche-la. Pas la peine. Les chaînes TV et les médias sont toujours à la solde de l’ancien régime », s’indigne Mr Mustapha dans Mouwaten Aâma [citoyen aveugle] en 2011, une position réitérée dans Ohkmou Lehyout [Gouvernez les murs) avec Phenix (2012). Pour sa part, Empire a attaqué les médias dans Torpedo (2016), Inhilel El Dawla (2013) et Karaka (2012). Dans la majorité des cas, les lignes de clivages sont nombreuses : les positions politiques, les perceptions sociales ainsi que les choix musicaux marqués par le duel rappeurs/chanteurs de variété. Mais les interprétations manichéennes ne manquent pas non plus comme dans Waqef Edharb [Arrêtez de frapper] de Weld El 15 (2011) où il scande dans le refrain : « La presse et les medias, les postes de police et les brigades, les politiques et les partis, ils ont tort et nous avons raison ». Au manichéisme, s’ajoute la tendance au conservatisme que nous retrouvons dans Al Araes [les marionnettes] de Redstar Radi (2015).
Subversion en cours de dilution
L’hostilité entre rap et médias n’est pas propre au contexte tunisien. De nombreuses affaires sous d’autres cieux le rappellent. A titre anecdotique, les vingt ans de clashs contre la radio Skyrock en France et le clash d’Ice Cube contre l’animatrice vedette Oprah Winfrey aux Etat-Unis. Cependant, le rap, musique issu d’un mouvement de contre-culture à savoir le hip hop, a toujours été la cible de récupération et de formatage par le courant dominant. L’observation de l’évolution de cette musique aux Etats-Unis, en France et ailleurs dans le monde le confirme. Son intégration dans la culture pop a toujours dilué sa substance subversive.
Si le processus est à un stade très avancé dans les pays aux fortes industries musicales, en Tunisie, il est à ses débuts. Pour s’en apercevoir, il suffit d’écouter Linko faire du nom d’une chroniqueuse TV le titre de son morceau La9souri Maya (2015) dans une ego-trip au refrain décalé, de voir le spot TV publicitaire d’un opérateur téléphonique mettre en scène un battle de rap avec Vipa en 2016 ou encore Balti se prêter au jeu du clash avec Naoufel Ouertani dans Labes en 2014.
On revient encore à la traditionnelle justification de l’échec du rap Tunisien qui se résume dans la célèbre réponse “Khatini”, qui veut dire “Ce n’est pas ma faute”, “C’est la faute des autres”? Pourquoi ne pas accepter la réponse que le rap a échoué à plaire à tout le monde: 1) Le rap n’est pas de la musique.2) Le rythme du rap est plus que primitif
(Un rythme à 2 temps donc pauvre). 3) Le texte du rap est totalement incompréhensible…..etc.Tout cela est pourtant facile à comprendre.