La Tunisie va dans le mauvais sens. C’est en tous cas ce que croient 64,3% des Tunisiens selon une étude réalisée par le réseau Mourakiboun au sujet de la perception des citoyens concernant la représentativité politique et les élections municipales. L’étude en question s’est basée sur l’opinion de 10032 Tunisiens issus de 749 délégations. Ce type de résultats est souvent cité comme étant un indicateur de la réticence des citoyens à participer à la politique et de leur rejet des élections municipales. Cependant, la même étude a révélé que plus de 60% des citoyens interrogés ont l’intention de voter aux prochaines municipales. En outre, 57,4% d’entre eux pensent que les élections locales sont à même d’impulser un changement positif au niveau des mairies. Il s’agit donc d’autant d’indices de nature à infirmer les allégations sur la réticence des citoyens à participer aux élections.

Citoyens insatisfaits des politiques centralisées

Selon le dernier calendrier officiel des élections municipales, la dernière période d’inscription des électeurs s’est ouverte le 19 décembre avant de se clôturer le 6 janvier. Au total 5 millions 373 mille 845 citoyens se sont inscrits, d’après les chiffres enregistrés lors des dernières opérations d’inscriptions qui se sont étalées du 19 juin au 10 août 2017. Le taux d’inscrits a ainsi légèrement progressé de 1,25% par rapport à 2014. Un indicateur qui montre un certain intérêt des citoyens  à l’égard des prochaines élections municipales. Les plus rétifs à participer au scrutin semblent être principalement issus de la catégorie des jeunes de 18 à 21 ans, qui ne représentent que 3,27% du nombre total d’électeurs inscrits.

Une évolution qui s’inscrit dans un contexte marqué par la crise structurelle des politiques publiques initiées par les gouvernements successifs, depuis les élections de 2014. Cette période s’est caractérisée par une grave rupture entre les  promesses électorales et la pratique politique. Les divisions des partis se sont multipliées, tandis que le consensus s’est effondré, mettant en évidence la volonté de servir d’abord d’étroits intérêts politiques. D’un autre côté, les politiques de rafistolage se sont poursuivies en ce qui concerne les questions des jeunes, atteignant des sommets lors des discussions récentes sur la loi des finances et sur le budget.

Avec l’échec des politiques publiques, les autorités n’attendent du citoyen qu’un rôle de récepteur passif, inconscient des conséquences de la crise, qui affecte directement son niveau de vie. Or ce que les gouvernants considèrent comme une désaffection à l’égard des élections, peut être interprété comme étant de la méfiance  vis-à-vis des décideurs. Les habitants des régions formulent depuis des années les mêmes demandes, réclamant leur droit au droit au développement, à la justice sociale et appelant à la discrimination positive en faveur des zones marginalisées. Toutefois, ces exigences font face au recul du projet de redistribution des ressources au profit des communautés locales par l’autorité centrale. Celle-ci continue en effet de refuser la  décentralisation des ressources, dans le contexte de la crise financière.

Rejet des partis politiques

La même enquête susmentionnée a révélé que 56,1% des citoyens ne font pas totalement confiance aux partis politiques, et que 49,4% d’entre eux choisiront des listes indépendantes lors des prochaines élections municipales, contre 27,4% qui se déclarent en faveur des listes de partis. Cette défiance vis-à-vis des partis politiques est suscitée par la perte de confiance en la classe politique, qu’elle soit au pouvoir ou dans l’opposition. D’un côté, les partis au pouvoir connaissent une rupture majeure qui se manifeste tant au niveau du travail du gouvernement qu’au parlement et au-delà. De l’autre, les partis d’opposition n’offrent guère une alternative attrayante. La réticence des électeurs attise les craintes des partis politiques. Ces préoccupations ont été aggravées par les élections législatives partielles dans la circonscription d’Allemagne.

Mais le décret présidentiel signé le 19 décembre 2017, portant convocation des électeurs pour les élections municipales 2018, a mis fin aux atermoiements des partis. Ces derniers ont, à maintes reprises,  appelé à repousser l’échéance électorale, avant de finir par rechercher des issues par le biais de coalitions partisanes ou la participation d’indépendants. C’est que l’élection municipale requiert plus de 7200 candidats principaux et 1200 suppléants dans 350 circonscriptions.

Les derniers chiffres des inscriptions aux élections révèlent  d’importantes disparités régionales. Ainsi, la capitale, Tunis, affiche un taux d’électeurs inscrits parmi les plus bas, avec seulement 538 mille 281 enregistrés sur les 837 mille 594 potentiels, soit tout juste 64,27%, un pourcentage suivi par celui de Sfax, puis celui de Nabeul et de Sousse. En revanche, dans le sud, ces taux atteignent 86,46% à Tozeur et 78,63% à Kébili. En somme, le taux de des électeurs enregistrés n’évolue guère à proximité des grandes villes proches des centres de décision. Il enregistre cependant des chiffres appréciables dans les autres régions, et en particulier dans le sud.

Au-delà des chiffres

Au-delà du nombre d’électeurs enregistrés, l’implication citoyenne dans les  affaires locales est déterminée sur deux niveaux. Il s’agit soit d’une relation basée principalement sur les services municipaux attendus, soit d’une interaction du type protestation-répression. Au premier niveau, la relation entre le citoyen avec sa municipalité est basée sur une certaine conscience des prérogatives dont dispose les services de proximité de l’autorité. Les services municipaux se limitent dans ce contexte essentiellement  à l’extraction des documents d’état civil ou d’autorisations, et au paiement des services de voiries ou autres. En effet, les structures municipales sont toujours régies par la loi de 1975 qui ne leur accorde ni une réelle autorité, ni une vraie autonomie administrative et financière.

Pour leur part, les habitants des régions revendiquent leur droit au développement, étant conscients que les structures locales constituent une extension du pouvoir exécutif, chargées de superviser l’élaboration des politiques  les concernant. Cependant, les municipalités sont l’objet d’un intérêt plutôt limité, dans l’attente de l’entrée en vigueur de leurs nouvelles prérogatives, telles que stipulées dans la Constitution.

Selon la même étude mentionnée plus haut,  54,1% des Tunisiens sont favorables à l’octroi de prérogatives plus étendues aux municipalités. En outre, 50,8% des citoyens souhaitent que les mairies disposent d’une plus grande autonomie financière. Selon la même étude, 77,9% des individus sondés ne sont pas au courant que les pouvoirs des municipalités seront élargis pour inclure l’entretien des écoles, des cliniques, des transports, ainsi que les questions de la jeunesse, de la culture et des loisirs.

Mais les voix des habitants des régions ne faiblissent guère. Les manifestations et les protestations locales constituent ainsi une forme de participation politique destinée à faire pression sur les politiques gouvernementales. A cet égard, la décision de boycotter les élections municipales figure également  parmi les options possibles, dans certaines zones marginalisées.