Fiction à prisme serré, Black Mamba est le portrait d’une jeune fille dont le destin semble scellé d’avance. D’origine modeste, Sarra prend des cours de couture. Ce n’est pas une vie, mais c’est sa vie. L’histoire pourrait certes s’arrêter là. Mais, aux prises avec sa condition de fille ordinaire qui doit se caser par un mariage arrangé, Sarra a du mal à y consentir: à côté de ce sage schéma que sa mère lui a balisé et dont elle ne s’accommode qu’en apparence, elle s’accroche bec et ongles à son aspiration. Si le sujet de fond est celui d’une émancipation féminine exerçant son droit de suite, on se demande si la réalisatrice Amel Guellaty réussit, sans trop céder sur son désir de cinéma, à maintenir ce premier court-métrage hors du piège d’une sociologie exténuante.

Que nous dit Black Mamba ? Qu’il faut aller jusqu’au bout de son rêve plutôt que se résigner à rentrer dans le rang. Pour cela, il fallait un personnage typé sans être stéréotypé. Il fallait, pour incarner ce paradoxe, mettre dans un corps de fille portant le hijab une sportive de combat, aidée par un frère qui a coupé les ponts avec sa mère. Et ce, sans que ces données prennent le pas sur la dramaturgie du film. Les ecchymoses sur le visage de Sarra laissent deviner qu’elle est déjà à portée de baffes de son futur conjoint. On range cette impression dans un tiroir de sa mémoire, avant de la voir faire remonter à la surface du film, ainsi que sur le ring, une fougue tout en gros plans au moment où la boxeuse baisse subitement la garde contre son adversaire. On l’aura compris: filmer Sarra en pleine ronde de combat, dans une excellente scène qui a requis tous les soins de la réalisatrice, n’est que la chambre d’écho d’une lutte contre le conformisme social.

On préfère alors ne pas dévoiler davantage les ressorts du film. Avec un montage jamais ostentatoire et privilégiant les ellipses, la jeune cinéaste fait dans l’efficacité par des traits concis, rarement prolongés au-delà de la durée nécessaire à la situation ou l’action pour s’affecter à l’économie du récit. C’est le point fort de son traitement. S’il n’a pas la prétention de sortir des conventions du genre, Black Mamba ne s’élève pas non plus au-dessus de ses corps. C’est aussi l’une de ses qualités : le jeu de Sarra Hannachi qui prête à son personnage aussi bien son prénom que sa silhouette de rebelle du compte à rebours. En boxeuse portée par la résilience, charriant avec elle rage et ténacité, la jeune comédienne réussit à livrer un jeu cohérent à la mesure des affects qu’elle produit. On s’impressionne de sa ténacité qui l’oblige tantôt à avancer à marche forcée, tantôt à s’éclipser à temps compté. C’est une fille courage : au physique quand elle bouge, comme au moral lorsqu’elle s’enfuit en robe de mariée sans se soucier des regards des autres.

Et si, en s’affichant comme film au message émancipateur, Black Mamba ne craignait pas plus d’aplatir parfois ses dialogues que de passer par la case happy end ? C’est en cela que cette fiction trépignante d’énergie rencontre sa principale limite : elle aurait gagné à être moins frontale dans la composition de son personnage, pour qu’on s’intéresse à la condition de Sarra plus comme un corps à combustion différée que comme faire-valoir sociologique. Néanmoins, l’ensemble est suffisamment bien mis en scène pour nous faire accepter les quelques gaucheries de sa construction. Il y a fort à parier que le vent de fraîcheur qui se dégage de Black Mamba fait de ce premier film d’Amel Guellaty un des court-métrages tunisiens les plus maîtrisés ces dernières années.