« On l’a dessiné une vingtaine de fois avant d’arriver à ce résultat », raconte Amin Hasni, architecte, enseignant et fondateur de la H2 team. « Bien sûr, on a pensé à partir de Labib. Mais Labib est une incarnation de l’ancien régime. Il a une connotation très négative et sa forme hybride est moche ». Pour l’équipe, l’idée d’une mascotte est néanmoins au cœur de la stratégie à mettre en œuvre pour promouvoir la protection de l’environnement. « Personnage mythologique ou super-héros », ainsi l’’ont-ils pensé. Afri est une gazelle oryx du parc national de Bouhedma, le deuxième plus vaste du pays et l’une des dernières savanes de l’Afrique du Nord. Afri perd sa mère alors qu’il est encore petit et est donné à une chèvre pour être allaité. « Tué par la bêtise de l’administration », les créateurs d’Afri ont voulu en faire une icône de la protection de la faune nationale. « Il s’agit de dépersonnaliser l’Histoire », poursuit Amin Hasni, « de trouver quelque chose de consensuel, dénué de misérabilisme et de victimisation ». Et Afri n’est pas venu tout seul : la H2 team a également conçu les plans d’un mirador de contrôle destiné aux gardes forestiers ainsi qu’une plateforme web pour dénoncer, anonymement si besoin, les exactions commises à l’encontre des animaux sur tout le territoire.

Lancé il y a 4 ans au sein de l’École Nationale d’Architecture et d’Urbanisme (ENAU), l’atelier de création H2 team s’est d’abord intéressé au rapport entre architecture, musique et photographie, avant de se mobiliser cette année pour la protection de la faune tunisienne. C’est suite à un énième scandale de braconnage en janvier dernier que l’équipe, composée de 20 étudiants accompagnés d’intervenants extérieurs, a décidé de dépasser l’émotion médiatique pour proposer une solution concrète. Depuis des années, les militants écologistes ont régulièrement alerté la population ainsi que l’État sur les activités de braconnage perpétrées en toute impunité par des touristes du Golfe arabe notamment par les familles royales. Que ce soit en Tunisie, au Pakistan, ou en Azerbaïdjan, la spoliation des richesses naturelles dans ce qui s’apparente à un étalage spectaculaire de virilité ne passe pas inaperçu.

En janvier 2019, équipés de 4×4, d’un hélicoptère à détecteur thermique et à l’aide de faucons de chasse, des braconniers qataris ont encore une fois tué gazelles dorcas et outardes houbaras, toutes deux espèces protégées, et ce avec la conciliation des autorités tunisiennes. Qu’elles soient protégées, en voie d’extinction ou même classées « éteintes à l’état sauvage », comme c’est le cas pour la gazelle oryx, les populations d’animaux sauvages sont peu à peu exterminées par l’activité humaine. « Ça va du trafic international, alimenté par le braconnage, au souk de Moncef Bey rempli d’espèces rares, en passant par l’individu lambda qui prend une tortue chez lui ou veut être à la mode du flamand rose », résume Hasni. « A Tataouine, certains prennent leur 4×4 la nuit pour aller s’amuser à tuer des lapins. C’est impensable pour les anciennes générations de chasseurs ».

En 40 ans, 60% des populations d’animaux sauvages ont disparu de la planète. En Tunisie, la gazelle oryx était autrefois largement présente tout autour du Sahara. Une population qui n’a cessé de décliner malgré les tentatives ponctuelles de réintroduction. « Déjà sous Ben Ali, seules 10 oryx naissaient et pouvaient survivre chaque année, estime Hasni, de nos jours, presqu’aucun nouveau-né ne survit ». D’après lui, de nombreuses armes de chasse illégales circulent dans le pays depuis 2011, aggravant la situation d’animaux qui peinent déjà à conserver leurs espaces vitaux. Car la délimitation-même des parcs nationaux et leur gestion ont contribué à cet état de fait. « A Bouhedma par exemple, le garde-manger des chacals se trouvait aux alentours du parc et a été exterminé par l’activité humaine qui s’y est installée. Les chacals doivent désormais traverser le parc pour aller chercher à manger, et sur leur trajet se trouvent l’endroit où les gazelles mettent bas. Il n’y a pas assez de moyens mis en œuvre pour les protéger alors leur rencontre est fatale ».

Bouhedma est classé parc national depuis 1980 et réserve de biosphère depuis 1977. Cette ancienne pépinière d’éléphants d’Hannibal, il y a 22 siècles, est devenue symbolique de l’extinction de la faune nationale. La tour de contrôle conçue par les étudiants l’a donc été spécifiquement pour cette zone. Sensée être inaugurée le 30 mars dernier et mise à disposition des gardes de Bouhedma, la tour de la H2 team n’a finalement pas obtenu les autorisations nécessaires pour procéder à sa construction. Le site web collaboratif, lui, est opérationnel et comptabilise déjà quelques signalements. Des levées de fond et de nouvelles demandes d’autorisations sont prévues, reste à savoir ce qu’il en sera sur le terrain en termes d’intervention des autorités. Quant à Afri, il semble avoir récolté des réactions bien plus positives qu’à la vue de Labib. Des partenariats avec écoles et lycées sont déjà en cours de discussion.

Finalement, le travail bénévole de la H2 team, au-delà d’une simple réponse aux menaces qui pèsent sur la faune tunisienne, se veut porteur de nouvelles réflexions sur notre relation au vivant. Tandis que la 6ème extinction massive de biodiversité est désormais établie, la H2 team a choisi de mettre les compétences propres à chacun au service d’une réappropriation collective des outils de changement social et créer ainsi une forme renouvelée de militantisme écologiste. Amin Hasni, qui a « vu disparaître la vie », porte ainsi l’espoir que les jeunes générations, malgré l’urgence climatique, ne fassent pas le même constat.