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Crédit photo : Ahmed Zarrouki

Diffuser une thèse farfelue comme celle soutenue par le Nobel Luc Montagnier, sans se référer à des sources sérieuses, pourrait constituer au moins un certain degré de ‘trahison’ de l’éthique de la connaissance. La guerre des accusations réciproques entre la Chine et les États-Unis d’Amérique avait commencé assez tôt sur fond de guerre commerciale, dès que la pandémie CoViD-19 avait été déclarée par l’OMS le 11 mars 2020. Cet échange d’accusations est documenté dans de nombreuses références.

Pour rappel, au mois de mars 2020 certains pays laissaient entendre que l’origine du SRAS-Cov 2 serait étatsunienne : pour les uns à travers « le patient zéro » parmi les 300 soldats et officiels états-uniens ayant participé aux jeux mondiaux militaires du 18 au 27 octobre 2019 à Wuhan (Hubei), pour d’autres une arme biologique issue du ‘fameux laboratoire’ états-unien’ Fort Detrick, l’un des plus importants centres de recherche médicale militaire des États-Unis d’Amérique BSL-4.

La thèse du patient zéro étatsunien à Wuhan avait été soutenue quasi-officiellement par la Chine à travers le tweet du porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, Lijian Zhao, sur son compte Twitter en date du 12 mars 2020.

Le tweet chinois venait suite à l’audition, le 12 mars 2020 (le jour même), devant la Chambre des représentants, de Robert Redfield, directeur des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC en anglais). Ce jour là, le patron de cette agence fédérale coiffant tout le système sanitaire étatsunien reconnaissait qu’en raison d’un nombre insuffisant de tests de dépistage, certaines personnes décédées du Covid-19 n’avaient pu être identifiées comme telles. Leur décès aurait même été attribué à la grippe saisonnière.

Ajoutant tout cela au fait que les variations du génome des coronavirus en Iran et en Italie ont été séquencées et qu’il a été révélé qu’elles n’appartiennent pas à la variété qui a infecté Wuhan, les médias chinois posent maintenant ouvertement des   questions  et établissent un lien entre la  fermeture  en août 2019 du laboratoire d’armes biologiques « dangereux » à  Fort Detrick, les Jeux militaires et l’épidémie de Wuhan. Certaines de ces questions avaient été posées directement aux États-Unis d’Amérique mais sont restées, à ce jour, sans réponse.

A ce propos, le magazine chinois Global Time annonçait dans sa livraison du 25 mars 2020 ce qui suit ;

Chinese netizens and experts urge the US authority to release health and infection information of the US military delegation which came to Wuhan for the Military World Games in October to end the conjecture about US military personnel bringing COVID-19 to China.  An American journalist claimed one US military athlete in the delegation could be patient zero of the deadly new disease.   George Webb, an investigative journalist in Washington, DC claimed in recent videos and tweets that he believes Maatje Benassi, an armed diplomatic driver and cyclist who was in Wuhan in October for the cycling competition in the Military World Games, could be patient zero of COVID-19 in Wuhan.
In a report by the US Department of Defense official website on October 25, Maatje Benassi has participated 50-mile cycling road race in Wuhan.

Mais ce n’est pas tout : des questions supplémentaires, et non des moindres, persistent sur l’événement dénommé  Event 201  tenu à New York, le 18 octobre 2019 pour une répétition face à une pandémie mondiale causée par un virus mortel – qui se trouvait être un coronavirus ! Cette magnifique coïncidence s’est produite un mois avant le déclenchement de Wuhan. Coïncidence ou hasard : L’événement 201 qui avait été parrainé par la Fondation Bill & Melinda Gates, le Forum économique mondial (WEF), la CIA, Bloomberg, la Fondation John Hopkins et l’ONU s’était ouvert le jour même que les Jeux militaires mondiaux débutaient à Wuhan.

La deuxième thèse chinoise (et pas seulement) qui n’est pas sans relation avec la première, consistait à mettre en accusation l’Institut de recherche médicale de l’armée étatsunienne sur les maladies infectieuses (The U.S. Army Medical Research Institute of Infectious Diseases alias USAMRIID) d’être à l’origine d’une fuite. Cet institut est classé BSL 4 (Biosafety level 4). La classification P4 d’un laboratoire signifie « pathogène de classe 4 » et le rend susceptible d’abriter des micro-organismes très pathogènes. Ces agents de classe 4 sont caractérisés par leur haute dangerosité (taux de mortalité très élevé en cas d’infection), l’absence de vaccin protecteur, l’absence de traitement médical efficace, et la transmission possible par aérosols. La protection maximale exigée pour manipuler ces germes est désignée par le sigle NSB4 (niveau de sécurité biologique 4). Nous verrons plus loin que le Laboratoire de Wuhan est aussi classé P4 !

Pour démêler l’écheveau d’une affaire classée secret défense, il nous a fallu des journées de prospection et de recherche qui nous ont permis d’aboutir aux éclaircissements suivants :

Le 15 juillet 2019, l’Institut de recherche médicale de l’armée étatsunienne sur les maladies infectieuses avait reçu un ordre de cesser toute activité de recherche. En août 2019, ce laboratoire avait été fermé temporairement suite  à une inspection du Center for Disease Control, alias CDC), de nombreux projets avaient, alors, été suspendus. A cette occasion, le laboratoire lui-même avait signalé que l’arrêt était dû à des problèmes d’infrastructure liés à la décontamination des eaux usées. Pour sa part, le CDC avait refusé de fournir la raison de la suspension des activités du laboratoire, et ce, en raison, disait-t-il, de problèmes de sécurité nationale.

Plus tôt en 2019, l’USAMRIID avait annoncé une expérience au laboratoire de Fort Detrick (Maryland) qui impliquerait d’infecter des singes macaques rhésus avec le virus Ebola actif pour tester un médicament qui était en cours de développement. Les documents rédigés par CDC avaient décrit, avec force détails, les violations découvertes au cours d’une série d’inspections, dont certaines violations avaient été jugées « graves ». Plusieurs violations par l’USAMRIID que le CDC a notées en 2019 concernaient des “primates non humains” infectés par un “agent sélectionné”, dont l’identité est inconnue – elle a été expurgée dans tous les documents reçus, car la divulgation de l’identité et de l’emplacement de l’agent était susceptible de  mettre en danger la santé ou la sécurité publique, selon l’agence.

En plus d’Ebola, le laboratoire travaille avec d’autres agents mortels comme l’anthrax et la variole. Les agents sélectionnés avaient été définis par le CDC comme « des agents biologiques et des toxines dont il a été déterminé qu’ils peuvent constituer une menace grave pour la santé et la sécurité publiques, la santé animale et végétale ou les produits d’origine animale ou végétale ». Les violations constatées par le CDC lors des inspections de Fort Detrick alors étaient au nombre de 7 allant du niveau grave (3) à léger (1) en passant par le niveau modéré (3)

La première observation de niveau grave rapportée par le CDC, après sa visite, signalait qu’un individu était entré dans une pièce plusieurs fois sans la protection respiratoire requise tandis que d’autres personnes dans cette pièce effectuaient des procédures avec un primate non humain sur une table d’autopsie. Le CDC avait conclu cette première observation en ces termes: « This deviation from entity procedures resulted in a respiratory occupational exposure to select agent aerosols ».

La deuxième observation grave l’était plus que la première : Le CDC avait indiqué que le laboratoire ne s’est pas assuré que la formation des employés était correctement vérifiée en ce qui concerne les toxines et les agents sélectionnés. Le CDC a ensuite précisé qu’un laborantin qui ne portait pas de protection respiratoire appropriée avait été vu plusieurs fois « pénétrer partiellement » dans une pièce où des primates non humains infectés par …. [expurgé] étaient « logés dans une cage ouverte ». « Ils ont également observé un laborantin jetant des déchets dans une poubelle à risque biologique, sans porter de gants ».

L’argument officiel justifiant la fermeture de ce laboratoire était –disait-on, un souci sécuritaire à cause d’un manque de « systèmes suffisants pour décontaminer les eaux usées », comme cela avait été expliqué dans un article du New York Times dans sa livraison du 5 août 2019. Les documents des inspections du CDC avaient mis en exergue de graves manquements pouvant entraîner de possibles infections, comme explicité plus haut et n’avaient rien à voir avec la décontamination des eaux usées du laboratoire. C’est sur la base de  ces révélations que la théorie chinoise, avait avancé qu’une « série de cas de pneumonie ou des cas similaires » était apparue à la suite de la fermeture du laboratoire de Fort Detrick[1].

L’épisode que nous venons de présenter est largement documenté, notamment au niveau des législateurs du Maryland qui avaient demandé alors pourquoi le Congrès n’avait pas été informé de cet ordre de fermeture de ce laboratoire. Les sénateurs Chris Van Hollen (D-Md.) et Ben Cardin (D-Md.), ainsi que le représentant David Trone (D-Md.) avaient publié une lettre envoyée à l’armée le 14 août 2019, posant, à propos de l’arrêt des travaux du laboratoire, les questions suivantes:

1. Quelles lacunes spécifiques ont conduit le CDC à fermer les activités d’USAMRRIID, et depuis combien de temps USARMIID est au courant de ces lacunes?

2. Pourquoi l’armée n’a-t-elle pas officiellement informé la délégation fédérale du Maryland lorsque le CDC a rendu l’ordonnance de cesser et de s’abstenir le 15 juillet? Pourquoi l’armée a-t-elle retardé la notification des autres représentants du gouvernement local?

3. Quelle est l’incidence sur la sécurité en matière de santé au travail et le statut d’emploi des employés fédéraux civils et contractuels?

4. Comment cette situation affecte-t-elle la capacité de l’USAMRIID à répondre à ses besoins opérationnels, à son plan budgétaire et à son financement et à son soutien aux efforts de sécurité nationale?

5. Quelles mesures spécifiques l’armée prend-elle pour corriger les lacunes identifiées par le CDC et atténuer les risques pour le personnel, l’infrastructure et la communauté environnante?

6. Quels sont le plan et le calendrier de l’Armée de terre pour mettre l’USAMRIDD en pleine conformité avec les exigences fédérales et revenir à sa pleine capacité opérationnelle?

Tout cela était de nature à susciter doutes, interrogations, perplexité et incrédulité.

C’est dans cette ambiance au cours de laquelle le Président Trump affirmait qu’il s’agissait d’une simple grippe, que cinq chercheurs anglo-saxons (de nationalités diverses : États-Unis d’Amérique, Royaume-Uni et Australie),  publient un article dans la revue Nature Medicine le 17 mars 2020 affirmant que  le SRAS-CoV 2 ne serait pas une construction de laboratoire ni un virus délibérément manipulé.

Les auteurs affirmaient, en conclusion de leur article :

Les caractéristiques génomiques décrites ici peuvent expliquer en partie l’infectiosité et la transmissibilité du SRAS-CoV-2 chez l’homme. Bien que les preuves montrent que le SRAS-CoV-2 n’est pas un virus délibérément manipulé, il est actuellement impossible de prouver ou de réfuter les autres théories de son origine décrites ici. Cependant, puisque nous avons observé toutes les caractéristiques notables du SRAS-CoV-2, y compris le RBD (en français: domaine de liaison au récepteur)  optimisé et le site de clivage polybasique, dans les coronavirus apparentés dans la nature, nous ne pensons pas qu’un type de scénario en laboratoire soit plausible

Quand l’accusé accuse l’accusateur !

Du côté étatsunien, la théorie du complot avait été lancée par un article de Bill Gertz datant du 26 janvier 2020 dans le Washington Times intitulé Coronavirus may have originated in lab linked to China’s biowarfare programsuggérant que l’épidémie du virus pourrait être liée à l’Institut de virologie de Wuhan, qui est un laboratoire BSL-4 équipé pour gérer les agents pathogènes les plus meurtriers. Dans cet article, un officier du renseignement israélien Dany Shoham avait été cité comme auteur de cette affirmation, qui a ensuite été reprise par d’autres sites et promue par des responsables du gouvernement étatsunien tels que le sénateur Tom Cotton et certains membres du Committee on the Present Danger: China (CPDC)[2].

Des agents pathogènes mortels s’échappant des laboratoires de recherche ne sont pas sans précédent. Bien qu’il n’y ait aucune preuve dans les informations open source que l’épidémie de SRAS de 2003 a été causée par des fuites de laboratoires, les cas de SRAS de 2004 ont en effet été causés par des fuites d’un laboratoire de Beijing.

De telles accusations de la Chine venant des milieux complotistes de l’extrême droite états-unienne ne sont étayées par aucune preuve factuelle ou scientifique, alors que les soupçons chinois ont un caractère plus vraisemblable.

La campagne menée par Donald Trump et son secrétaire d’Etat Mike Pompeo, le premier appelant le nouveau coronavirus de « China virus » et le second de « Wuhan virus » au moment où les critiques de la gestion trumpienne de la pandémie dans son pays atteignent des niveaux élevés. Comme à son habitude, le président étatsunien alterne compliments et accusations contre la Chine et son régime.

Il est très difficile de se retrouver dans les prises de positions de Trump, le premier tweet élogieux à l’égard de la Chine date du 24 janvier 2020) dans lequel il assurait :

Il faut signaler que le premier cas confirmé de Covid-19 aux États-Unis d’Amérique avait été annoncé le 21 janvier 2020. Quand, plus tard, les tweets de Trump s’étaient transformés en accusateurs de la Chine pour « sa gestion de l’épidémie de coronavirus » et ses autorités « de n’avoir pas été assez transparentes », cela ne l’avait pas empêché d’avoir un entretien téléphonique le 26 mars 2020 avec le Président Xi Jinping au cours duquel il avait affiché un ton conciliant envers la Chine.

Dans un tweet, rendant compte de cette conversation, le Président Trump affirmait :

L’administration de Donald Trump reprit de plus belle ses accusations contre la Chine malgré ses « respects » ce qui l’avait conduit à geler, le mardi 14 avril 2020, la contribution étatsunienne au budget de l’OMS la qualifiant d’agence « chinoise ».

Le jour suivant et dans un entretien téléphonique avec le plus haut responsable du Parti communiste chinois pour la politique étrangère, Yang Jiechi, le chef de la diplomatie étatsunienne, Mike Pompeo, a de nouveau insisté sur « la nécessité d’une transparence totale et du partage d’informations pour lutter contre le Covid-19 et prévenir de futures épidémies ». Mais il a aussi semblé vouloir se montrer conciliant en soulignant, d’après un communiqué du département d’État, l’aide fournie par Washington à Pékin en janvier et les exportations de matériel médical chinois vers les États-Unis d’Amérique pour « répondre à une demande cruciale ». « Les deux parties avaient confirmé leur engagement à vaincre l’épidémie de Covid-19 et rétablir la santé et la prospérité mondiales », avait assuré la diplomatie étasunienne. Impossible de comprendre quelque chose, devant tant de versatilité !

Pour conclure

En tout état de cause, la question devrait être traitée au seul plan scientifique dont l’exigence première n’est pas seulement de reposer les conclusions sur la base d’articles dans des revues de haute qualité, mais en n’oubliant pas qu’il n’y a point de vérité scientifique : il n’y a que des vérités réfutées et des vérités non encore réfutées comme l’affirmait fort justement l’épistémologue autrichien Karl Popper. La morale de l’histoire est de laisser de côté l’arrogance d’un scientisme désuet pour laisser place à une plus grande humilité d’une science nouvelle marquée désormais par la complexité, l’incomplétude et l’indétermination. Cette science nouvelle ne pourra pas, très probablement, dévoiler, un jour, les dessous de cette complotite (aussi mortifère sinon plus que les coronavirus connus et à venir) étant d’ordre géopolitique et non scientifique.

Mais au sujet de l’origine de ce coronavirus, il est une vérité qu’il est possible d’avancer, sans trop de risques, à savoir que c’est l’homme ‘civilisé’ qui avait été et est à l’origine de toutes les zoonoses passées, émergentes et ré-émergentes ! A cet égard, je vous invite à lire l’article de David Quammen publié par le New York Times le 28 janvier 2020 sous le titre : We Made the Coronavirus Epidemic.

En attendant, mobilisons-nous pour vaincre la pandémie en sauvant le maximum de vies humaines et tirer toutes les leçons de cette méga-crise (aux plans civilisationnel, intellectuel et existentiel) en vue d’édifier une véritable « politique de civilisation » fondée sur la solidarité, l’empathie et le progrès qui ne vaut que s’il est équitablement partagé, mais fondée aussi sur le bannissement du consumérisme, jetant, ce faisant, aux oubliettes de l’histoire, le néolibéralisme pour ses flagrantes carences d’avoir favorisé le capital au détriment du travail, sacrifié prévention et précaution pour accroître rentabilité et compétitivité, pour avoir amplifié les inégalités, aggravé les violations des droits humains et pour avoir, extrême hubris (démesure), choisi d’opter pour le soutien de l’argent et des flux financiers en sacrifiant des vies humaines, atteignant, par là même, le sommet de l’inhumanité.

Notes

[1]              Sources :

Diana DiGangi / ABC7:  Army germ research lab in Md. that was working on Ebola treatment is shut down by CDC. August, 17th 2019.

[Online]: https://wjla.com/news/local/army-germ-research-lab-in-frederick-was-shut-down-by-cdc

Diana DiGangi / ABC7: Army germ lab shut down by CDC in 2019 had several ‘serious’ protocol violations that year. January 22nd 2020.

[Online]: https://wjla.com/news/local/cdc-shut-down-army-germ-lab-health-concerns

Meghann Myers : The CDC shut down an Army lab that’s working on an Ebola vaccine. Army Times. August 8, 2019.

[Online]: https://www.armytimes.com/news/your-army/2019/08/08/the-cdc-shut-down-an-army-lab-thats-working-on-an-ebola-vaccine/

Pour connaître la triste histoire de Fort Detrick et la CIA lire à ce propos le livre de Stephen Kinzer : The Secret History of Fort Detrick, the CIA’s Base for Mind Control Experiments, à cette adresse :

https://www.politico.com/magazine/story/2019/09/15/cia-fort-detrick-stephen-kinzer-228109

[2]              Voir Yael Halon: “Steve Bannon defends Sen. Tom Cotton’s controversial coronavirus claim”. Fox News, March 1, 2020.