Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

C’est un tableau admirable que dresse Hichem Djaït du monde hétéroclite et captivant des religions mondiales dans son dernier livre «Penser l’Histoire, penser la Religion», paru récemment à Tunis, aux éditions Cérès (2021, 172 pages).

Djaït ne se limite pas à l’approche comparative des trois monothéismes, mais il étend son objet d’étude au religieux dans ses rapports complexes à l’Histoire conçue comme connaissance, pensée et réalité sociale.

Le panorama des principales religions du monde inclut, dans son dernier essai, les monothéismes que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam qui ont émergé au Moyen-Orient avec le zoroastrisme, et également les religions de l’Inde et de la Chine : l’hindouisme, le bouddhisme, le jaïnisme et le taoïsme.

Tout un kaléidoscope accueillant les orthodoxies et les schismes ainsi que les mysticismes savants et populaires, s’offre à l’analyse par le biais d’une approche dynamique, conjuguant le savoir historique à la réflexion philosophique et à l’interprétation sociologique et anthropologique.

C’est pour cela que le livre de Djaït ne pourrait être débattu d’un point de vue strictement disciplinaire – historique, sociologique ou autre -, ni par «le grand public» en quête de sensationnel.

Sa lecture est certes laborieuse car elle exige la patience et l’humilité qu’impose l’érudition de l’auteur. Néanmoins, le dialogue avec le texte, dense et pénétrant, est fort passionnant. Le lire et le finir d’un trait ou de plusieurs procure un immense plaisir et une sensation de bonheur résultant du voyage à travers le temps. Le livre permet, en effet, de se déplacer d’une époque à une autre – de l’Antiquité aux temps présents – et d’un proche continent comme l’Europe aux contrées lointaines de l’Extrême-Orient.

Toutefois, le grand mérite de l’essai de Djaït est de décentrer le regard en offrant l’opportunité de s’émanciper définitivement de ce tropisme intellectuel qu’est devenu le concept d’islam mêlé à toutes les sauces et de découvrir, par-delà l’univers identitaire étroit, d’autres religions, civilisations et mondes en ébullition.

La connaissance profonde des idées et croyances humaines invite à relativiser les appartenances confessionnelles en les contextualisant et en en saisissant la portée ainsi que les limites. En cela, l’essai de Djaït constitue une rupture avec la littérature dominante dans les pays musulmans, en matière d’études historiques et de sciences sociales.

Son analyse des religions dont l’islam n’est qu’une variante est exceptionnelle au niveau de sa méthode comparative d’autant plus que les autres contributions sont souvent prisonnières des grilles de lecture binaires et surpolitisées: islam vs démocratie, islam vs Occident, islam vs modernité.

Bien évidemment, le politique n’est guère absent de la réflexion de Hichem Djaït même s’il ne constitue pas l’unique perspective, mais seulement une dimension où interfèrent l’idéel et le social, le culturel et l’économique, l’imaginaire et le symbolique, au sein d’une configuration historique riche et variée.

Empruntant la forme de l’essai, le livre de Djaït n’est pas accompagné d’un appareil de notes, sauf quelques «orphelines» insérées vers la fin (p. 105 et suiv.), ni de références bibliographiques que le lecteur retrouvera aisément à partir des noms des auteurs cités dans le texte (Ibn Khaldoun, Hegel, Marx, Kant, Weber, Jaspers, Arendt, Schmitt, Lévi-Strauss, Gauchet…).

Aussi, nous ne sommes pas en présence d’un livre académique même si la teneur est savante et la démarche rigoureuse, tout en étant atypique du fait même que l’auteur ne dialogue avec personne à l’échelle locale – nationale et régionale -, révélant de la sorte son statut particulier de penseur isolé et à part.

Au passage il fustige, en paraphrasant Hegel, les intellectuels musulmans qui, depuis plus d’un demi-siècle, «n’ont que le mot «modernité» à la bouche» (p. 115, note 1). Tout le monde se prétend moderne et musulman alors que la modernité demeure, dans bien des cas, inachevée. Et l’islam, partout et nulle part, il faut bien le concéder.

Au niveau de la forme, le livre de Djaït se compose de deux parties, la première est consacrée aux problèmes majeurs de l’histoire que sont les migrations et les conquêtes et la seconde à la religion, en résonnance avec le titre de l’essai «Penser l’Histoire, penser la Religion».

L’impression de l’absence d’équilibre entre les deux parties – la seconde compte pratiquement le double de la première – se justifie par le choix thématique de l’auteur qui considère, d’entrée de jeu, que la religion et le religieux «représentent le thème le plus important du livre» (p. 10).

Du coup, la première partie lui permet de jeter les bases de sa vision qui embrasse aussi bien le passé que le présent, la période ancienne de fondation et la période contemporaine de recompositions incessantes.