Moulay Sami professeur de l’université de Tunis et membre du CTVIE qui dépend de l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises, a publié le 28-07-2011 un rapport ainsi que plusieurs articles dans les médias concernant la soutenabilité de la dette extérieure de la Tunisie. Ce rapport, de grande qualité statistique présente cependant des carences. Il met en évidence divers contre-sens entre utilité de la dette extérieure, son emploi, la manière dont cet endettement est géré et il ne fait pas toute la vérité sur sa soutenabilité. Pourtant son auteur, Moulay Samy, en déduit un certain nombre de conclusions pour le moins absurdes qui relèvent plus du suicide économique que d’une perspective de développement durable et d’avenir pour la Tunisie. Ces conclusions s’inscrivent dans un cadre contre-révolutionnaire tant elles s’opposent aux revendications légitimes du peuple tunisien libéré de l’obscurantisme de la dictature. Le présent article est une réponse aux conclusions du CTVIE et de Moulay Sami dont les contre-sens et contre-vérités seront dévoilés.

Pour mémoire, il est nécessaire de rappeler que l’actuelle dette extérieure de la Tunisie est une dette du régime totalitaire de Ben Ali et à ce titre elle est qualifiable de dette odieuse et illégitime pour laquelle il existe une jurisprudence dans le droit international permettant au pays de procéder de manière unilatérale à son annulation. En effet, la dette extérieure contractée par Ben Ali a servi à financer l’administration de la dictature, la répression et la torture du peuple tunisien lorsqu’il a osé protester et s’opposer au régime. Cette dette a également servi à financer les cercles du pouvoir totalitaire qui en ont profité pour monopoliser des pans entiers de l’économie du pays. Un des caractères les plus odieux de cette dette est que les créanciers étaient parfaitement informés des agissements de la dictature et certains d’entre eux, telles que les USA et la France, ont soutenus le régime jusqu’à sa dernière heure, en témoigne l’attitude de Michel Alliot-Marie à l’égard du peuple tunisien. Les revendications de la Révolution Tunisienne sont de suspendre le règlement de ses créances extérieures, afin de réaliser un audit citoyen puis de procéder légalement à l’annulation de sa part odieuse et illégitime. Accepter le règlement de cette dette de manière inconditionnelle, tel que le préconise l’actuel gouvernement de transition, revient à accepter d’hypothéquer l’avenir du pays, sa souveraineté et faire porter cette responsabilité à nos générations futures.

L’évolution de la dette extérieure de la Tunisie s’inscrit dans une tendance exponentielle bien visible lorsque l’on tient compte des intérêts dans la représentation de l’évolution du stock de la dette extérieure (figure 1). D’après le rapport de Moulay Sami, le niveau de l’endettement extérieur de la Tunisie en 2010 s’élève à 23 600 millions TND. L’actuel gouvernement de transition a souscrit, pour l’année 2011, à 9 407 millions de TND de nouvelle dette. Ce nouvel endettement extérieur est historique par son ampleur et correspond à une augmentation de 39,8% en une seule et unique année. La tendance reste résolument exponentielle et ne s’infléchit pas.

On apprend dans le rapport du CTVIE que 49,3% des tirages sur crédits est destiné au financement de l’administration et 50,7% aux entreprises. Il est important de noter que le financement de l’administration par de la dette extérieure est une aberration économique et financière, ce que ne dit pas Moulay Sami. Cette utilisation des créances est dans la continuité de la politique de la dictature. En effet, financer une administration par de la dette extérieure caractérise une dette de régime qui ne bénéficie pas au peuple tunisien (et qui entre dans le cadre juridique de la dette odieuse). Il est essentiel de noter que la dette intérieure est faite pour ça et que la BCT a non seulement le devoir mais également le pouvoir de fournir ce type de financement, soit par des emprunts à taux zéro envers l’état, soit par une création monétaire. Le gaspillage de la dette extérieure dans le financement de l’administration est un assassinat économique car ce type d’investissement est à inscrire dans les pertes nettes de la nation pour lesquelles l’administration sera incapable de réaliser le remboursement. Ainsi les entreprises et les projets des Tunisiens ont clairement été lésées par un emploi irresponsable de l’endettement extérieur.

Aussi bien Moulay Sami que la plupart des analystes considèrent que la dette est maitrisée car elle s’évalue à près de 45% du PIB. Comparer la dette au PIB n’a de sens qu’en cas de croissance économique. Cet indicateur est utilisé pour évaluer la capacité d’endettement du pays. Il est important de noter qu’en cas de récession, la contraction du PIB conduira inévitablement à la dégradation du ratio dette/PIB, qui n’aura alors plus aucune utilité. Il ne faut jamais perdre de vue le niveau réelle de la dette : son montant total effectif. Ce n’est pas le niveau PIB qui peut renseigner sur la capacité de rembourser une dette mais bien, dans le cas de la Tunisie, le montant des réserves en devises. Sachant que ces réserves en devises sont estimée à 9 milliards au 30.06.2011 et que le stock de la dette est évaluée en 2011 à 33 000 millions, il devient judicieux de dire que la Tunisie est endettée à 366% de ses réserves et donc que sa capacité de remboursement et quasiment nulle en cas de récession.

Dans son rapport Moulay Sami explique que 2 257 millions de dinars seront alloués au remboursement des anciennes dettes extérieures justement contractées par la dictature. Ce montant figure également dans la loi de finance 2011 au premier poste de dépense de l’état au titre du règlement du service de la dette pour cette même année. Lorsque Moulay Sami recommande la poursuite de l’endettement, il devient alors évident qu’il souhaite que la Tunisie reste engagée dans la spirale du surendettement pour le remboursement des anciennes dettes illégitimes et odieuses. Si Moulay Sami nous explique que la Tunisie doit s’endetter pour obtenir des devises nécessaires aux réserves du pays, il oublie de dire que les intérêts de ces dettes sont une saignée dans ses réserves et appauvrissent durablement le pays.

Le gouvernement provisoire est non élu et son un mandat ne peut excéder la période de transition. Pourtant, il a de manière illégitime contracté 9 407 millions de dinars au titre de l’année 2011 qui engage la Tunisie bien au-delà de ses prérogatives. Ceci est inacceptable et injustifiable. Sur ce montant de nouvelle dette, il apparait que 7 150 millions seront alloué au financement du programme économique et au crédit d’infrastructure décidé par le gouvernement de transition sans légitimité, sans qu’aucun détail des investissements et de la répartition des crédits ne soit communiqué dans la transparence et sans qu’aucun audit ne soit réalisé alors même que celui-ci figure dans les revendications exprimées par la Révolution Tunisienne.

En ce mois de septembre 2011, la BCT et le gouvernement provisoire s’apprête à payer la deuxième tranche du règlement de la dette extérieure pour l’année 2011 qui fait suite aux 790 millions de dinars payés au mois d’avril 2011. Le service de la dette pour l’année 2011 s’élève à 2 257 millions de dinars selon la loi de finance, ainsi la seconde tranche du mois de septembre devrait s’élever à 1467 millions de dinars. Outre le remboursement de la première tranche, la BCT a également réalisé le règlement de la participation de Princesse Holding dans Tunisiana (QTel) d’une valeur de 700 millions de dinars sans aucune transparence, ni justification. Ainsi au début de cette année, la BCT a dilapidé 17,7% des réserves en devises du pays sans aucune légitimité. Au final, le service de la dette payée de manière inconditionnelle, n’aura permis ni de remplir les objectifs de la révolution, ni de servir le peuple Tunisien, mais bien au contraire elle aura appauvri le pays et dilapidé les réserves de devise du pays.

Il est temps que la souveraineté de la Tunisie soit restaurée et assurée par un gouvernement responsable qui aura la vertu de faire ressortir la vérité sur le passé et le présent de l’escroquerie de la dette extérieure notamment en permettant son audit de manière transparente et citoyenne afin de préserver les générations futures des larcins de la dictature.